Accueil Magazine N° 28 Automne/hiver 2018-2019 La sexualité dans le bouddhisme

La sexualité dans le bouddhisme

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L’actualité de cette année a été suffisamment fertile en événements traitant de la sexualité pour que nous abordions cette question dans ce numéro 28 d’octobre 2018.

Le monde profane ou le monde religieux, aucun n’est épargné.

Qu’en est-il du bouddhisme qui enseigne la doctrine du karma, de la responsabilisation de ses actes ? Nous évoquons ici les causes de ces dérives et les actions mises en pratique dans certains centres pour y remédier.

Le monde profane

En octobre 2017, le producteur hollywoodien Harvey Weinstein est accusé de harcèlement sexuel, puis de viol. Le mouvement Me Too permet à des femmes de révéler le harassement sexuel subi en particulier au travail et de faire connaitre l’ampleur du phénomène.

Après les accusations portées contre Harvey Weinstein, de nombreuses célébrités sont nommément accusées de comportement inapproprié. Le hashtag #MeToo s’est diffusé dans 85 pays.

Les milieux professionnels impliqués comptent aussi bien le monde des médias que la politique, la finance, le sport et les nouvelles technologies — sans oublier en France l’affaire DSK en 2011, à cette époque directeur du fonds monétaire international, favori à l’élection présidentielle, arrêté à New York pour avoir agressé et violé une femme de chambre de son hôtel. Il fait alors également l’objet d’une plainte en France pour tentative de viol d’une journaliste. La France découvre qu’il est un obsédé sexuel qui ne cesse de harceler les femmes de son entourage, y compris ses collaboratrices, ce que toute la classe politique savait, sans s’en émouvoir.

Après les révélations de #MeToo, le premier ministre suédois Stefan Löfven parle de « rompre la dépendance aux schémas patriarcaux », tandis que la responsabilité collective des hommes et l’éducation des garçons sont citées pour arrêter les agressions envers les femmes.
Parmi les pistes proposées pour éviter à l’avenir les actes dénoncés par le hashtag, figurent en bonne position l’éducation des jeunes générations et la sensibilisation contre le harcèlement sexuel au travail.

Les violences sexuelles commises envers les femmes sont présentes, à différents degrés, dans tous les pays du monde. Dès qu’un homme est en position d’autorité, il a la tentation d’en abuser, et certains – pas tous  heureusement ! – en abusent. Ce qui change c’est qu’on en parle, y compris pour des personnalités qui, jusque là, jouissaient d’une totale impunité.

Un autre phénomène a également fait surface ces dernières années, c’est la fréquence des agressions sexuelles commises sur les enfants, souvent par l’entourage immédiat, mais également par des éducateurs, des enseignants ou tout autre personne en charge de la jeunesse.

Le monde religieux

Qu’en est-il dans le monde religieux qui est supposé enseigner aux fidèles un comportement éthique ?

Pour ce qui est du monde catholique, les religieuses ne sont pas à l’abri d’agressions perpétrées par des prêtres. Un article écrit en 2001 signale déjà l’ampleur du phénomène et la non réponse des autorités ecclésiastiques. En 2018, d’autres abus sont révélés.

Partout dans le monde, des scandales de viols, d’abus sexuels, et surtout de pédophilie et de sévices physiques sur des enfants ne cessent d’éclabousser l’Église catholique.  Elle a couvert pendant des décennies les abus de centaines de prêtres aux Etats Unis, en Allemagne,  en Irlande, au Québec  et ailleurs.

En Occident, le bouddhisme est à une autre échelle que l’Eglise catholique, mais les dérives sont du même ordre.

Le bouddhisme tibétain

En mai 2017, Kalou Rimpoche démet de ses fonctions le lama qui dirige le centre KRTL de l’Hérault, pour abus sexuels et corruption, il le remplace par trois lamas occidentaux. Mais déjà auparavant, en 2011 il démet de leurs fonction trois lamas bouthanais en charge du centre Paldenshangpa la Boulaye, dont deux étaient accusés de viol.

En 2012, il publie une vidéo dans laquelle il confesse avoir subi des abus sexuels dans son monastère, avoir échappé de peu à une agression de son tuteur qui voulait le tuer.

Kalou Rimpoche

À la suite de cette révélation, d’autres jeunes tibétains avoueront avoir eux aussi subi des agressions sexuelles dans les monastères où ils ont été envoyés dès leur plus jeune âge.

D’autres moines témoigneront de la façon dont ils étaient traités en tant qu’enfants dans les monastères.

En juillet 2017 éclate le scandale de Sogyal Rimpoche, violences physiques et psychologiques, abus sexuels, dépravation, détournement financier dénoncés par huit de ses plus proches disciples. Le Dalai Lama a reconnu être au courant depuis 1993 et avoir pourtant continué à lui apporter sa caution. (Au sujet de la violence à l’égard des femmes dans la culture tibétaine, voir le livre « Ma voix pour la liberté« .)

En octobre 2017, un « maitre » tibétain Tenzin Dhonden, administrateur du Dalaï lama trust aux Etats Unis est démis de ses fonctions pour corruption, brutalité et chantage.

En Aout 2018 un rapport met en accusation le comportement de Sakyong Mipham et des instances dirigeantes de Shambala.

Shambala a été créé à l’origine par Chogyam Trungpa qui a lui-même exercé une pression constante sur ses disciples femmes pour obtenir leurs faveurs, sans oublier le fait qu’il était alcoolique à un degré extrême. Voir à ce sujet le livre écrit par sa femme.

À la suite des révélations sur les dirigeants de la communauté Shambala, Pema Chodron adresse une lettre à la communauté pour s’excuser de n’avoir pas pris au sérieux les allégations de viol qui lui avaient été rapportés.

Pema Chodron Sakyong Mipham

Pour résumer toutes ces affaires, on retrouve dans le domaine du religieux les mêmes ingrédients que dans le domaine profane, une position d’autorité donne le sentiment qu’on peut commettre des abus en toute impunité.

Pour ce qui relève de la spécificité du bouddhisme tibétain, la relation au gourou justifierait une vénération qui occulte toute discrimination, d’où les différentes affaires ci-dessus.

La sexualité

La sexualité est, pour tout être vivant, l’une des trois pulsions fondamentales : se nourrir, se protéger, et se reproduire, les humains n’échappent pas à cette loi du vivant. Donc, la pulsion de la reproduction est extrêmement forte dans la nature et monopolise beaucoup d’énergie.

Pour les autres espèces, la sexualité est associée à la reproduction. L’animal obéit à la pulsion de s’accoupler et de se reproduire et, selon son espèce, s’occupera ou pas de sa progéniture. Ce qui est d’ailleurs fabuleux, c’est la variété des moyens mis en oeuvre, la question du consentement ou de la pudeur ne se pose pas. Il faut obéir à la loi de l’espèce. Si les moyens mis en oeuvre ne sont pas efficaces, l’espèce disparait.

L’espèce humaine est celle où les petits restent dépendants des adultes pendant le plus longtemps. Les sociétés humaines se sont constituées autour de cette contrainte, et elles ont trouvé des réponses variées, le développement de l’anthropologie (étude de l’humain sous tous ses aspects sociétals, culturels et religieux) a permis de constater le large éventail de réponses et de relativiser les codes de nos sociétés occidentales. Voir à la rubrique films deux sociétés basées sur la filiation matriarcale, les Khasis et les Mosuos. Ces sociétés sont généralement paisibles et sont menacées par notre société moderne encore très largement patriarcale.

Qu’est-ce qui caractérise une société patriarcale ? la mise en oeuvre de moyens permettant aux hommes de contrôler le pouvoir reproductif des femmes, pour cela, le corps des femmes appartient à un homme dès sa naissance (le père)  et est transmis à un autre homme (le mari) moyennant une tractation éventuellement financière.

Les femmes donnent la vie, c’est ce privilège exorbitant que les hommes dans les sociétés patriarcales ont toujours essayé de compenser en interdisant aux femmes l’accès au même statut qu’eux, quel que soit l’interdit, le but étant de tracer une ligne que les femmes – simplement parce qu’elles sont femmes – ne peuvent pas franchir. Tout comme, simplement parce qu’ils sont hommes, eux-mêmes ne peuvent pas donner la vie. D’où l’interdit d’accès à la prêtrise dans l’Eglise, ou à l’ordination complète dans le bouddhisme tibétain ou théravada, l’interdit d’accès au savoir, à la transmission des biens, à la parole publique, à certains métiers ou fonctions de prestige, voire à certains vêtements, les interdits changent d’une culture à une autre, mais l’objectif reste le même.

Tous les combats féministes ont eu et ont encore pour objectif d’avoir pour une femme le droit de disposer de son propre corps. Compte tenu de la puissance des mécanismes en jeu, ce droit est toujours menacé (comme on le voit aux Etats Unis en ce moment), toutes les justifications religieuses ont pour fondement cette revendication masculine à laquelle s’ajoute un autre phénomène tout aussi puissant, celui du plaisir sexuel.

Dans les sociétés patriarcales, les femmes ont toujours rencontré une profonde résistance masculine à admettre leur droit au choix du partenaire sexuel et au droit de refuser l’acte sexuel. La société occidentale a longtemps considéré que les femmes avaient un « devoir conjugal » auquel elles ne pouvaient pas se soustraire. Les violences domestiques n’ont que très récemment été regardées en France comme punissables par la loi, mais ce n’est pas encore le cas dans bien d’autres pays où une femme battue et/ou violée par son mari n’a nulle part où se plaindre et se réfugier.

Les harcèlements sexuels et les viols ont toujours fait l’objet d’une mansuétude particulière par la justice qui est toujours patriarcale dans son essence. Les victimes sont le plus souvent déboutées de leurs plaintes. C’est ce qui se passe également dans l’Eglise catholique où les prêtres violeurs et/ou pédophiles ne sont que peu ou pas sanctionnés et, en tout cas, échappent à la juridiction de leur pays en étant couverts par les autorités ecclésiastiques. Il en est de même des moines bouddhistes, ils peuvent perdre leurs privilèges mais ne se retrouvent pas en prison comme cela arriverait à un laïc.

Or, les prêtres chrétiens comme les moines bouddhistes commettent un crime encore plus grave que celui d’un laïc, car du fait de leur statut, en abusant sexuellement de femmes et ou d’enfants, ils détruisent la confiance mise en eux, et rend très difficile à leurs victimes d’établir par la suite des relations saines avec autrui. Voir à ce sujet l’article de Willa B. Miller.

Les racines de la misogynie et de la pornographie

L’être humain est le mammifère vivant qui a le plus long temps d’apprentissage et de maturation sexuelle. Lorsque le corps de l’enfant commence à changer, ce changement implique un bouleversement psychique et émotionnel sur lequel l’adolescent·e n’a aucun contrôle. Il/elle sent des émotions et des pulsions qu’il/elle ne contrôle pas.

La fille se focalise sur son apparence et son pouvoir de séduction.

Le garçon découvre que l’érection est un phénomène qui n’obéit pas à sa volonté. Les filles ne connaissant pas ce problème, il en retire une peur et un ressentiment à l’égard des femmes qui sont à la racine de la misogynie.

D’où le fantasme de la femme insatiable qui a pour fondement la peur de l’impuissance. Pour contrôler le désir des femmes et garantir la filiation masculine des enfants, les sociétés patriarcales ont mis en place toutes sortes d’enfermement des femmes derrière des grilles physiques ou psychiques qui peuvent même aller chez certains peuples jusqu’à des mutilations sexuelles atroces (excision et infibulation)

Comme le mental joue un rôle fondamental dans la stimulation sexuelle, la pornographie intéresse majoritairement les hommes qui n’ont jamais fini de se rassurer sur leurs capacités à avoir un rapport sexuel.

voir l’article sur ce que la pornographie dit de nos sociétés.

Chez les animaux, la préoccupation sexuelle ne dure que durant le bref instant de l’accouplement, après, selon les espèces, les petits seront pris en charge par la mère (mammifères), par le couple (les oiseaux), par le groupe (les insectes sociaux), etc.. Chez les humains, la préoccupation sexuelle est constante, car un autre facteur intervient, qui change tout, le moi, l’ego, nourri par le mental, qui a besoin sans cesse de se rassurer sur sa propre existence.

Chez les garçons, la pulsion sexuelle se traduit, comme chez les jeunes mammifères mâles par un désir de se mesurer à d’autres garçons, tandis que chez la fille, la pulsion sexuelle se traduit par le désir de plaire, de séduire. Et comme la nature le lui commande, elle sera attiré par le « chef de la meute », celui qui a une autorité, un prestige.

Le cadre monastique

Les moines, bouddhistes ou chrétiens, qui ont fait voeu de chasteté sont la proie de fantasmes sexuels où les femmes sont de terribles tentatrices, comme Eve dans le jardin d’Eden, comme les filles de Mara qui viennent, selon la légende, tenter le Bouddha. C’est pourquoi les monastères bouddhistes qui éduquent les garçons dès leur plus jeune âge sont des fabriques de misogynes qui développent des pratiques spécifiques pour visualiser le corps des femmes comme impur.

Voila ce que dit à ce sujet Jetsunma Tenzin Palmo dans sa biographie par Vickie Mac Kenzie, un ermitage dans la neige  p. 88-91 :

« L’une des prières principales des Tibétaines a pour objet la renaissance dans un corps d’homme. Elles sont totalement méprisées. C’est tellement injuste. Un jour, je me suis rendue dans un couvent ou les nonnes rentraient d’un enseignement donné par un grand lama. II leur avait dit que les femmes étaient impures et que leur corps était “inférieur” à celui de l’homme. Comment voulez-vous construire une pratique spirituelle authentique lorsque de toutes parts on vous dit que vous n’avez aucune valeur ?

« Un jour, j’ai demandé à un grand lama s’il pensait que les femmes pouvaient atteindre l’état de bouddha. II m’a répondu qu’elles pouvaient presque atteindre cet état, mais qu’à la dernière étape elles devaient prendre une forme masculine pour y parvenir. J’ai alors rétorqué : “En quoi un pénis est-il si essentiel pour atteindre l’Éveil ? Qu’y a-t-il de si extraordinaire dans un corps d’homme ?” Puis je lui ai demandé s’il y avait un quelconque avantage à avoir un corps de femme. II m’a répondu qu’il allait réfléchir a la question. Le lendemain, il est revenu et il m’a dit : “J’ai pensé a votre question et la réponse est ‘non’, il n’y a aucune sorte de bénéfice à être doté d’un corps féminin.” En moi-même, j’ai pensé : “L’un des avantages est de ne pas avoir un ego masculin.” »

Son propre désarroi, lié a l’injustice flagrante d’une telle situation, incita Tenzin Palmo à rechercher les raisons de cette répugnance pour le corps féminin. Ses découvertes furent révélatrices.

« Le Bouddha n’a jamais nié que les femmes pouvaient atteindre l’Éveil, explique-t-elle. Dans les premiers soûtras, le Bouddha parle des trente-deux points du corps sur lesquels il faut méditer avec une profonde concentration. Le méditant doit visualiser qu’il enlève sa peau afin d’examiner ce qui existe vraiment : les intestins, le sang, le pus, les excréments. Le but du Bouddha était double : se détacher de l’obsession de son propre corps et diminuer l’attirance pour le corps des autres êtres. L’idée maîtresse d’une telle analyse est que l’on est bien moins fasciné quand on voit un squelette rempli d’intestins, de sang et d’excréments ! Mais la teneur des textes a changé au fil des siècles. Les grands philosophes Nagarjuna et Shantidéva ont pris comme objet de méditation le corps de la femme. Le méditant doit donc contempler ce corps comme impur. »

«Le Bouddha, en tant qu’être pleinement éveillé, voyait vraiment les choses telles qu’elles sont. Par contre, d’autres personnes ont utilisé sa très grande pénétration pour servir leurs propres desseins. Aussi les enseignements du Bouddha qui ont été formulés afin d’analyser notre identification obsessionnelle à l’aspect physique ont-ils servi ultérieurement à susciter le dégoût de la femme. »

L’idée de la femme « dangereuse », dont la séduction et la sexualité latente détournent l’homme de la sainteté et du salut est aussi ancienne que l’histoire d’Adam et Ève. Tendzin Palmo n’était pas prête à accepter cela : «Vraiment ! Ce n’est pas la femme qui est la cause du problème, ce sont les souillures mentales de l’homme. S’il n’éprouvait ni désir ni passion, toutes les séductions d’une femme ne réussiraient pas à le troubler. Une fois, un lama m’a accusée d’être charmeuse et de lui créer des difficultés. J’étais horrifiée. J’ai protesté : “Je ne vous fais absolument rien, tout vient de votre propre esprit.” Il a ri et a admis que c’était vrai.

« C’est le problème de l’homme et toute la responsabilité en incombe à la femme. On fait des femmes des créatures de luxure et de séduction, mais il suffit d’analyser cette idée pour voir qu’elle est absurde. Qui possède les harems ? Les femmes ont-elles jamais eu des cours d’hommes à leur disposition pour satisfaire leurs besoins sexuels ? Est-ce que les hommes ont peur de marcher seuls la nuit dans les rues, craignant que les femmes ne les agressent et ne les violent ? Il n’y a qu’à voir la façon dont se comportent les hommes dans les prisons et les casernes ! Combien y a-t-il d’hommes prostitués ? Et encore ne sont-ils là que pour satisfaire d’autres hommes ! Tout cela est une incroyable projection. Les hommes ont ce gros problème et ils en rejettent toute la faute sur les femmes parce qu’il se trouve qu’elles ont des formes qui éveillent leur désir. »

Le texte auquel Tenzin Palmo fait allusion est la  » Précieuse Guirlande des avis au roi « attribué à Nagarjuna :

L’attirance pour une femme vient surtout
De la pensée que son corps est pur,
Mais il n’y a rien de pur
Dans le corps d’une femme,
De même qu’un vase décoré rempli d’ordures
Peut plaire aux idiots,
De même l’ignorant, l’insensé
Et le mondain désirent les femmes.
La cité abjecte du corps,
Avec ses trous excrétant les éléments,
Est appelée par les stupides
Un objet de plaisir ».

Dans le Théravada comme dans le bouddhisme tibétain, le Dharma est transmis par des moines qui véhiculent depuis des siècles les projections du genre de celle exposée ci-dessus. Aussi ce n’est pas une coïncidence si dans le Théravada comme dans le bouddhisme tibétain, il y a la même opposition des moines à laisser les nonnes retrouver ce à quoi elles ont toujours eu droit : l’ordination complète accordée par le Bouddha qui leur confère le même statut qu’un moine et leur permet à elles aussi de transmettre le Dharma, débarrassé de toutes ces projections.

En Asie, les structures monastiques du bouddhisme tibétain et du bouddhisme théravada sont les mêmes que les institutions catholiques avec les mêmes débordements : des hommes contraints à la chasteté et des enfants, séparés de leur famille, d’où abus sexuels.

Les monastères zen sont principalement des lieux de formation temporaires et n’accueillent que des adultes, ce qui n’est pas le cas pour le bouddhisme tibétain ni pour le bouddhisme théravada où les enfants y sont envoyés à des fins d’éducation monastique.

C’est toute l’institution monastique tibétaine (et Théravada) qui devrait être remise en question et, de l’aveu même de certains Tibétains, celle des tulkus. Kalou Rimpoche suggère de ne plus confier d’enfants aux moines, mais de les laisser avec leur famille et de leur faire suivre un cursus normal, même si ils ont été reconnus comme tulkus. Si vraiment ils font montre d’une capacité spirituelle hors du commun, elle se révélera tôt ou tard. Cela évitera des traumatismes et une éducation totalement inadaptée à la réalité du monde actuel.

Une vocation monastique réelle ne peut être le résultat d’une pression exercée par la famille, la société ou le monastère. Ce doit être un choix d’adulte qui comprend à quoi il s’engage en faisant voeu de chasteté. Ce n’est pas le cas pour beaucoup de moines qui se retrouvent moines sans l’avoir voulu, comment dans ces conditions s’étonner des dérives ?

Les Tibétains formés dans les monastères établis en Inde et envoyés en Occident pour répondre à la demande de « maitres » en sortent bien conditionnés à regarder tous les autres bouddhismes comme inférieurs et les femmes comme méprisables.

Les moines en général et les tulkus en particulier se voient gratifiés d’une vénération et d’une auréole telles qu’il leur est bien difficile de résister aux tentations. Dans leur pays d’origine, ils sont littéralement adorés, et certainement, l’idée même de se plaindre de leurs agissements est tout simplement impensable. Kalou Rimpoche rapporte qu’après l’agression de son tuteur qui a tenté de le tuer, sa mère et sa soeur ont pris fait et cause pour le tuteur. Cela rappelle malheureusement l’attitude de familles catholiques face aux agissement de certains prêtres. Il a fallu toute la force de l’évidence dans plusieurs pays sur des décennies pour que les enfants soient crus. Ce n’est certainement pas encore le cas dans les régions himalayennes.

Tenzin Palmo dit dans l’un de ses livres que, entre eux, les Tibétains se moquent de la crédulité des Occidentaux. Marion Dapsance qui y a assisté dit que personne ne bronchait quand Sogyal Rinpoche déclarait avoir guéri le cancer de quelqu’un par le seul son de sa voix.
On peut aussi entendre des dévots d’un lama affirmer que si celui-ci mange du foie gras, ce n’est pas parce qu’il aime ça et se moque de la souffrance animale, mais pour aider l’animal à évoluer, pour qu’il puisse « renaitre en Dewatchen’ (paradis tibétain de grande félicité) ou encore  que manger de la viande serait particulièrement nécessaire à la santé d’un lama tibétain…  Il est nécessaire pour chacun·e de faire preuve de discernement car c’est aussi grâce à la crédulité et aux projections de la sangha que les dérives trouvent leur terrain d’expression et perdurent.

Dans les centres bouddhistes en Occident, qui sont mixtes, il y a dix fois plus de femmes que d’hommes, d’où la tentation omniprésente, surtout lorsque certaines femmes jouent le jeu de la séduction. Il y a bien sûr en plus dans le bouddhisme tibétain, le fantasme – hérité de l’hindouisme – de la voie tantrique, qui permettrait d’avoir, si l’on peut dire, le beurre et l’argent du beurre, c’est à dire qu’on atteindrait l’éveil sans se priver de sexualité, mais en la transmutant, notons au passage qu’il s’agirait d’une transmutation concernant essentiellement le partenaire masculin…

Les précautions à prendre

La pulsion sexuelle est à part la nourriture, la pulsion la plus basique et vitale qui soit, il ne faut donc pas s’étonner de sa puissance dès que des hommes et des femmes sont réunis. Il parait indispensable de prendre des mesures nécessaires à maintenir l’attention de chacun·e· sur sa propre pratique.

Les institutions monastiques asiatiques étaient jusque récemment majoritairement masculines, les nonnes n’ayant que peu ou pas de lieux et de ressources. Au village des Pruniers, les nonnes sont séparées des moines qui résident dans des endroits différents, cela évite les tentations. Les femmes seules sont reçues au hameau des nonnes, les hommes seuls au hameau des moines, les familles pouvant être reçues partout.

Aux Etats-unis pour le Théravada (laïc) et le Zen, les communautés (mixtes) ont mis en place un espace où la parole est possible et où elle peut être entendue, cet espace peut être extérieur à la communauté et relever d’un·e professionnel·le.

Rappelons que le bouddhisme regarde les êtres vivants comme étant à des niveaux d’évolution différents, il n’y a pas de doute que, pour les humains, la sexualité est un point critique d’évolution et que les problèmes et les besoins peuvent être largement différents d’une personne à une autre.

Les préceptes concernant la conduite sexuelle enseignés par le Vénérable Thich Nhat Hanh nous paraissent de nature à prévenir bien des abus et des dérives:

Troisième entraînement : Amour véritable

Conscient-e de la souffrance provoquée par une conduite sexuelle irresponsable, je suis déterminé-e à développer mon sens de la responsabilité et à apprendre à protéger l’intégrité et la sécurité de chaque individu, des couples, des familles et de la société. Je sais que le désir sexuel et l’amour sont deux choses distinctes, et que des relations sexuelles irresponsables, motivées par l’avidité, causent toujours de la souffrance de part et d’autre. Je m’engage à ne pas avoir de relation sexuelle sans amour véritable ni engagement profond, durable et connu de mes proches. Je ferai tout mon possible pour protéger les enfants des abus sexuels et pour empêcher les couples et les familles de se désunir par suite de comportements sexuels irresponsables. Sachant que le corps et l’esprit ne font qu’un, je m’engage à apprendre les moyens appropriés pour gérer mon énergie sexuelle. Je m’engage à développer la bonté aimante, la compassion, la joie et la non-discrimination en moi, pour mon propre bonheur et le bonheur d’autrui. Je sais que la pratique de ces quatre fondements de l’amour véritable me garantira une continuation heureuse dans l’avenir.

Adolescents au Village des Pruniers

voir aussi Question aux enseignant·e·s : comment traite-t-on la sexualité dans la sangha

voir aussi le communiqué de l’EBU : abus dans les communautés bouddhistes

voir aussi  : Les lunettes de la discrimination