Pourquoi parler de la mort en ce printemps où la vie éclate de toutes parts ? peut-être justement parce que la vie nait de la mort, que le printemps nait de l’hiver, que, sans hiver, il ne peut y avoir de printemps et que, sans mort, il ne peut y avoir de vie. C’est ce cycle de la transformation constante de la mort en vie et de la vie en mort que le bouddhisme nous enseigne.
Un sutra célèbre nous enseigne l’omniprésence de la mort. Il s’agit de l’histoire de Kisa Gautami, elle venait de perdre son unique enfant, et dans son immense douleur vint déposer le petit corps aux pieds du Bouddha, en l’implorant de ramener celui-ci à la vie. Le Bouddha la regarda avec compassion, et lui demanda d’aller chercher une poignée de graines de moutarde, dans une maison où il n’y avait jamais eu de mort.
Kisa erra de maison en maison en quémandant ces graines, mais partout la réponse fut la même : chacun était disposé à lui donner la poignée de graines, mais aucun foyer n’était exempt de deuil, ici un enfant, là un mari, ailleurs une grand’mère… Finalement, elle revint auprès du Bouddha, épuisée mais apaisée par la prise de conscience qu’elle n’était pas la seule à souffrir d’un deuil, et que la mort était le lot de tous les vivants. Elle demanda alors au Bouddha de la prendre comme disciple et parvint plus tard à l’état d’Arahant, c’est-à-dire d’Eveillée.
À notre époque et dans notre monde occidental, on meurt généralement à l’hôpital, et il serait donc tout à fait possible à Kisa Gautami de trouver des lieux où il n’y a jamais eu de mort, puisque cet événement se passe ailleurs, dans un ailleurs qui éloigne la mort, la rend étrangère, séparée de la vie quotidienne.
Dans des films un peu anciens, on voit des processions derrière un corbillard dans lequel était placé le cercueil, l’église était drappée de noir, les gens suivaient à pied jusqu’au cimetière. Tout un rituel accompagnait la mort. À présent, les corbillards sont des voitures banalisées. Il n’y a plus beaucoup d’intérêt ni de croyances en la nécessité d’un rituel religieux, la mort est devenue une sorte d’accident désagréable que l’on déplore mais dont il vaut mieux ne pas parler et encore moins y penser.
Seulement, en ignorant la mort, la vie perd toute une dimension qui la vide de son sens.
C’est là où le Bouddhisme a un rôle à jouer, nous avons évoqué dans le dernier numéro l’importance fondamentale de la pensée, qui précède et détermine l’action. C’est vrai aussi et particulièrement pour la pensée de la mort.
L’Occident est dans l’extraversion, dans l’action, dans le faire frénétique, sans pause, sans réflexions, (ou des réflexions futiles sur le monde extérieur, qui n’abordent jamais les vrais problèmes de la vie : pourquoi vivre ? comment mourir ? )
Le Bouddhisme regarde la mort comme un passage, non vers un paradis que l’on aurait gagné, mais vers un autre état mental. La question de la mort ne peut être abordée sans parler du livre majeur du bouddhisme tibétain : le livre des morts tibétain et de la version « modernisée » de Sogyal Rimpoche qui transcrit et commente le savoir bouddhique en matière de mort et de renaissance.
Cette connaissance, nous devons l’acquérir dans cette vie, pour mourir autrement. Le fait même que la mort puisse être vécue autrement que comme une épreuve effrayante dont on ne comprend pas le sens est une découverte pour beaucoup de gens. C’est là où le Bouddhisme a un message d’une importance essentielle pour l’Occident.
Comment meurt-on en Occident ? Dans beaucoup de services hospitaliers, la mort est encore vécue comme un échec par le personnel soignant et les médecins. Il y a quelques années, la situation était terrifiante, le mourant gisait seul dans une chambre où personne ne rentrait. Les soins palliatifs ont peu à peu acquis droit de cité dans les hôpitaux, même si c’est encore loin d’être généralisé. Les soins palliatifs, ce sont des soins donnés à des personnes en fin de vie, simplement pour soulager et donner à cette personne les meilleures conditions possibles afin qu’elle puisse quitter ce monde sans souffrances inutiles. Ce sont des femmes qui ont initié ce changement, la pionnière en Angleterre, Cicely Saunders, aux Etats-Unis, Elisabeth Kubler-Ross et, en France plus tard, Marie de Hennezel. Elles ont réintroduit l’humanité et la compassion autour de la personne qui part et qui est encore vivante jusqu’à son dernier souffle, une personne que l’on peut aider, entourer, écouter, c’est toute l’approche des soins palliatifs.
Ces femmes ont réagi et agi pour changer l’univers médicalisé de l’hopital devenu tellement technique et déshumanisé. Ce sont d’abord les femmes qui soignent, les infirmières, les aides soignantes sont au contact des malades bien plus que les médecins (qui d’ailleurs sont de plus en plus des femmes aussi). Et ce sont elles qui sont en première ligne en face de la peur, de l’angoisse et de la souffrance des patient(e)s.
D’une façon générale, les femmes ont plus de contact avec la mort. En effet, ce sont principalement les filles qui accompagnent jusqu’au dernier moment leurs parents vieillissants, ce sont encore les femmes qui veillent leur compagnon qui est souvent plus âgé et qui meurt plus tôt, et ce sont elles qui sont largement majoritaires dans les maisons de retraites médicalisées où elles voient les autres partir avant elles.
Dans le milieu médical, un changement de mentalité est en train de s’opérer, mais il est encore loin d’être suffisant. On meurt encore dans la souffrance et la solitude, dans le silence et dans la peur. Tout dépend du lieu, de la formation des soignants, de leur conditionnement, de leurs croyances et de leurs projections, mais aussi des projections de toute une société qui glorifie la jeunesse, refuse la vieillesse et nie la mort.
Les soins palliatifs ont été élaborés dans une approche chrétienne de la mort, ce qui signifie une vision de la personne différente de la vision bouddhiste (voir le livre d’Alexandra David Neel : Immortalité et réincarnation), et aussi une approche différente de la notion de vie et de mort.
En particulier la question de l’euthanasie se pose de façon fort différente si l’on est chrétien ou bouddhiste. Voir un résumé des positions pour et contre. Les médias entretiennent constamment une confusion entre les positions chrétiennes basées sur des croyances et les positions bouddhistes qui doivent être basées sur la connaissance.
Selon le Traité de la grande vertu de sagesse, le suicide n’est pas un péché parce qu’il n’occasionne pas la mort d’autrui. L’école des Sarvâstivâdin, quant à elle, reconnaît divers types d’arahants, dont certains peuvent commettre le suicide, tandis que d’autres, comme le Bouddha, peuvent raccourcir de manière surnaturelle leur durée de vie. Le suicide, dans leur cas, n’est donc plus un acte entraînant rétribution karmique. En fait, on peut se demander si la mort même du Bouddha n’était pas un suicide déguisé, dans la mesure où, étant omniscient, il savait que le repas que lui offrait son disciple laïc Chanda allait causer l’intoxication alimentaire dont il périra. Il avait d’ailleurs, nous dit-on, prédit sa mort trois mois avant l’événement.
L’un des grands maitres du Bouddhisme Dzogchen déclarait que l’on ne crée pas de karma en se suicidant, on crée du karma par la façon dont on le fait. De grands maitres bouddhistes, ayant connu l’éveil, ont décidé de mourir (dans le zen en particulier) en se laissant mourir de faim. Cela peut paraître choquant à des personnes qui ne comprennent pas que pour quelqu’un qui est réellement éveillé, la mort du corps n’est qu’un passage qui n’altère pas l’esprit éveillé. La personne qui décide de mettre fin à sa vie n’est pas « punie » par une puissance divine extérieure qui sanctionnerait ceux qui osent ne pas « attendre sa volonté ».
Quelques centres bouddhistes commencent à créer des associations d’accompagnement des mourants pour aider à ce passage si important pour la/le pratiquant(e), et aussi pour aider toute personne désireuse de se préparer à ce moment qui nous attend toutes.
Les associations d’accompagnement des mourants qui existent depuis une vingtaine d’années (ASP et JALMAV) sont, comme dit précédemment, d’inspiration chrétienne, par conséquent, elles considèrent que les soins palliatifs sont la seule réponse acceptable à la demande de délivrance d’un mourant, et plus encore, elles affirment que, s’il y a soins palliatifs, la demande du mourant de hâter son départ disparait. (voir ici cette vidéo)
C’est certainement vrai dans certains cas, mais c’est loin d’être la généralité affirmée par ces associations qui répétons-le sont généralement d’inspiration, voire d’obédience catholique, tout dépend de la pathologie, de l’âge, de la pratique spirituelle ou religieuse des personnes en souffrance.
voir ici cette vidéo :
Il y a des cas terribles comme ceux cités dans l’article de Wikipédia.
Il y a là une liberté à respecter. (voir aussi le livre du célèbre cancérologue Léon Schwarzenberg Requiem pour la vie. Il y expose des cas où il a personnellement aidé des patients atteints de pathologies dramatiques à quitter leur corps). La loi en France ne permet pas aux médecins, contrairement à d’autres pays, d’aider le patient à partir, aussi il a été interdit d’exercer pendant un an.
Il faut encore dire que, contrairement à ce qu’affirment les associations de soins palliatifs, on ne peut pas toujours soulager la douleur.
Pour nous, bouddhistes, notre credo doit être le kalama sutra :
“Ne croyez pas sur la foi des traditions quoiqu’elles soient en honneur depuis de nombreuses générations et en beaucoup d’endroits ;
ne croyez pas une chose parce que beaucoup en parlent ;
ne croyez pas sur la foi des sages des temps passés ;
ne croyez pas ce que vous vous êtes imaginé, pensant qu’un dieu vous l’a inspiré.
Ne croyez rien sur la seule autorité de vos maîtres ou des prêtres.
Après examen, croyez ce que vous-même aurez expérimenté et reconnu raisonnable, qui sera conforme à votre bien et à celui des autres.”
C’est pourquoi nous pensons que la question de l’euthanasie, comme celle de l’avortement, ne peut être décidée pour d’autres, au nom de principes et de croyances, par des personnes qui ne sont pas (encore) dans cette situation.
Il est totalement compatible d’être bouddhiste et de considérer comme souhaitable que le départ de ce monde puisse être choisi et assisté lorsqu’on est dans des conditions de souffrance et de dégradation physique que l’on juge intolérables. (voir l’ADMD et aussi les associations Exit et Dignitas en Suisse).
Remarquons au passage que, sur la question de l’euthanasie comme sur l’IVG, et plus généralement sur les questions d’éthique qui les concernent au premier chef, les femmes sont le plus souvent absentes des débats et qu’encore et toujours, les médias considèrent que la réflexion, la sagesse et l’autorité se conjuguent quasiment exclusivement au masculin. (un documentaire récent sur les positions de l’Eglise catholique en la matière, diffusé sur Arte, en était la parfaite illustration.)
Si le Bouddhisme nous invite à une réflexion sur la mort physique qui nous attend, il nous parle avant tout de la mort spirituelle. Sans la vigilance, nous sommes déjà morts :
« La Vigilance est le sentier qui mène à la Vie Eternelle. L’inattention est le sentier qui mène à la mort. Ceux qui sont vigilants ne meurent pas, ceux qui sont inattentifs sont déjà morts. » (Dhammapada 21)
La vigilance, la discipline de l’esprit, le controle du mental, le Bouddha l’a rappelé dans de nombreux soutras, c’est la porte de l’éternité.
Notre vie et notre mort se déroulent ici et maintenant, dans un ici et maintenant qui détermine la façon dont nous accueillerons le moment de notre départ de ce monde, c’est cela la leçon inestimable du bouddhisme.
Quelques articles complémentaires autour de la mort et le mourir :
Méditer pendant une séance de chimiothérapie
L’accompagnement spirituel des mourants
Trouver l’espoir face à la mort Formation bouddhiste à l’accompagnement des mourants à Karma Ling
Tonglen : Formation à l’accompagnement.
L’enseignante célébrée Joan Halifax a développé toute une approche d’être avec les mourants. (en anglais)
Voir aussi l’ouvrage : une femme bouddhiste face au cancer
et sur le même thème Diary of a zen Nun – Nan Shin
Voir ci-dessous trois vidéos :
Cette belle citation de Gandhi sur l’euthanasie :
« Beaucoup de personnes en Inde ont acquis une horreur instinctive de tuer des êtres vivants dans quelque circonstance que ce soit. On a même proposé d’enfermer les chiens enragés et de les laisser mourir d’une mort lente. L’idée que je me fais de la charité me rend cette solution absolument inacceptable. Je ne pourrais souffrir un seul instant de voir un chien, ou d’ailleurs n’importe quelle autre créature, abandonné sans secours à la torture d’une longue agonie. Si dans les mêmes circonstances je ne donne pas la mort à un être humain, c’est parce que je dispose de remèdes moins désespérés. Mais si je tue un chien qui se trouve dans le même cas, c’est parce que je n’ai pas de remède pour le guérir. Si mon enfant était atteint de rage et qu’il n’existât aucun remède permettant d’alléger ses souffrances, je considérerais comme de mon devoir de lui donner la mort. Le fatalisme a des limites. Nous devons nous en remettre au sort uniquement lorsque nous avons épuisé tous les remèdes. L’un des moyens, qui est définitif, de soulager un enfant dans les affres d’une atroce souffrance, est de lui donner la mort. «
L’accompagnement des mourants avec le Bardo Thodol à San Francisco:
La façon d’appréhender la mort dans le bouddhisme tibétain :
Ondrea et Stephen Levine sont devenus célèbres aux Etats Unis par leur livre « Who Dies ».
Ils ont accompagnés des mourants pendant de nombreuses années. Voir ci-dessous :