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L’argent et nous ?

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argent

« Maitre Cheng Yen, quelle est votre définition de l’argent » demandai-je.

Elle répondit brièvement : « L’argent est un outil. Avec lui, on peut faire beaucoup de choses. A part le fait d’être un outil, l’argent n’est rien. »

Dans l’un de ses ouvrages, Maître Cheng Yen a écrit :  » quelqu’un doit savoir comment utiliser l’argent qu’il gagne, s’il ne sait pas comment l’utiliser, c’est son argent qui l’utilisera. »

Et dans le même livre, elle rappelle aux gens que, selon les enseignements du Bouddha, l’argent de quelqu’un va finalement à cinq autres parties : le gouvernement, les catastrophes, les voleurs, la guerre et les enfants.

Elle explique que, quel que que soit l’endroit ou le temps où vit une personne, son argent va finalement tomber entre les mains soit de l’une ou l’autre de ces cinq parties ou être divisé entre toutes. Elle rappelle que, quel que soit le gouvernement, on paie toujours des taxes.
Beaucoup perdent leur maison et leurs biens à la suite d’un désastre ou d’une catastrope naturelle.
Les voleurs et les escrocs peuvent survenir sous différentes formes et nous voler de plusieurs façons.
Nous payons le prix de la guerre dans le monde soit directement, soit indirectement.
Quant à nos enfants, ils partagent notre argent, soit avant, soit après la mort de notre forme physique.

Notre forme physique ne peut durer que le temps d’une vie et c’est le seul moment où nous pouvons décider quoi faire de notre argent. Si nous l’utilisons pour aider l’humanité, le karma favorable que nous créons restera pour toujours avec nous… et il ne peut nous être pris par aucune de ces cinq parties. »

(Extrait de « Master of Love and Mercy »)

L’argent est sans doute un sujet que nous n’avons pas trop l’habitude d’aborder. Notre rapport à l’argent est irrationnel, lié à des pulsions très instinctives. C’est pour cela que la place de l’argent dans notre vie est une question intéressante pour la pratique.

L’argent, pour nous, c’est d’abord la sécurité

L’argent, c’est le toit sur la tête et la nourriture dans l’estomac. Nous portons en nous une crainte immense, venue du fond des âges, de ne pas arriver à survivre. Et l’argent représente un rempart contre cette crainte, rempart contre l’incertitude, l’inattendu, l’inquiétant.
Les besoins essentiels du corps sont incontournables. Etre dans un corps, c’est la nécessité de le nourrir, de le protéger, de le soigner. Et dans nos sociétés modernes, cela veut dire de l’argent.

Les nonnes et moines bouddhistes ou chrétiens renoncent à l’argent car la communauté est là pour les soutenir. Or le groupe social sur lequel s’appuyer, la famille élargie qui existe encore dans les pays pauvres et qui est pour ces gens un pôle d’entraide indispensable a disparu chez nous — avec les avantages et les inconvénients de dépendre des autres et de faire partie d’un groupe, quel qu’il soit.

Dans notre société complexe — où l’aide du groupe a été remplacé par le rôle de l’état —, c’est par l’argent que chacune et chacun assure ses besoins matériels, d’où un sentiment de peur panique si on n’a pas d’argent.

L’argent en lieu et place du religieux

Mais l’argent occupe dans la vie une place qui va bien au delà de la seule survie. Il est devenu l’étalon suprême pour tout. Les projets, mais aussi les accidents, les catastrophes ou tout autre événement douloureux ou non, tout finit par être mesuré en argent, cela a coûté ou coûtera tant de millions d’euros, de dollars, la référence universelle !

C’est banal de dire que nous pratiquons un nouveau culte : la religion de l’argent. Les jeunes générations sont conditionnées de façon dramatique à croire que la vie ne vaut la peine d’être vécue que si l’on a beaucoup d’argent. Comment résister à la pression de toute une société ? comment lâcher ce qui cristallise nos désirs et nos peurs ? ce n’est pas facile, c’est bien pourquoi notre relation à l’argent est un sacré lieu de pratique !!

Comment nous libérer de ce conditionnement, même si nous savons intellectuellement que l’argent ne peut pas nous combler, le message martelé par la pub nous assaille de partout : l’argent, c’est la promesse de satisfaire tous les désirs, ce serait donc le bonheur assuré dans ce monde matérialiste, c’est aussi ce qui nous garantirait contre tous les dangers.

Nous avons en nous une faim de quelque chose qui nous apporterait le bonheur, mais comme les croyances religieuses et idéologiques ont disparu, c’est l’argent qui prend la place de l’idéal et devient le but de la vie pour beaucoup de gens. De façon logique, en gagner par tous les moyens devient donc légitime.

L ‘argent est devenu la réponse aux questions fondamentales de l’existence. Il y a en l’être humain une fracture secrète, la peur de n’être rien. Si on se précipite vers toutes sortes de biens matériels, on va exister, on sera remarqué, on sera quelqu’un. (Les vendeurs connaissent bien ce mécanisme qu’ils utilisent tout le temps, donner aux gens l’impression qu’ils sont des clients « privilégiés ».)

Non seulement, il faut de l’argent, mais il faut beaucoup d’argent. Bien sûr, puisque l’argent serait la certitude d’être quelque chose. Devenir « riche », ce serait la recette pour être admiré, et être admiré, ce serait exister dans le regard des autres, ces autres qui représentent une sorte de garantie de la réalité de notre propre existence.

Qui suis-je ? suis-je quelque chose ? qu’est-ce que « moi »  ? Le bouddhisme répond anatta, la non réalité du moi. Tout ce qu’on pense, tout ce qu’on est résulte d’un conditionnement construit par les impressions reçues du monde extérieur. Après la mort du corps, quand il faudra tout abandonner, que restera-t-il de « moi » ?
Cette question est là en nous, formulée ou non, on l’oublie en comblant les désirs immédiats, grâce à l’argent.

Pour se libérer du pouvoir qu’exerce l’argent sur nous, si on se demandait : mais au fond, qu’est-ce que l’argent ? Il n’a pas d’existence en lui-même, c’est une convention, un étalon de la valeur de l’échange entre les choses, au lieu de dire j’échange trois kilos de carottes contre deux heures de votre temps ou une brouette de pommes de terre contre un vêtement, c’est évidemment plus pratique d’utiliser de l’argent, mais l’argent n’existe pas intrinsèquement en lui-même.

Et comme l’argent, le moi n’a pas d’existence intrinsèque en dehors des éléments qui l’ont constitué. Si on arrivait par la pratique à voir qu’en accordant toute notre attention à l’argent et à ce que nous appelons « moi », nous courons après des chimères. C’est sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire !

Moins les gens s’intéressent à une quête intérieure, plus ils ont besoin d’argent, il y a là un rapport inversement proportionnel. Plus on a de richesse intérieure, moins on a besoin de richesses extérieures.
Moins il y a « être », plus on veut « avoir ». Et l’argent c’est le symbole d’avoir.

Ayya Khema nous dit : « Acquérir, devenir, posséder et conserver sont les mots clés de notre société. La libération est la voie du lâcher-prise, ne pas devenir, simplement être et renoncer. C’est l’exact opposé de ce que la société préconise. » (« Rencontre avec des femmes remarquables Martine Batchelor Editions Sully).

Le Bouddha nous enseigne le lâcher-prise, rien dans ce monde ne peut nous protéger de la maladie, de la vieillesse et de la mort, l’argent est un leurre. La seule réponse, la seule protection, c’est la voie intérieure. L’outil bouddhiste par excellence c’est de devenir conscient de ce qui se passe en nous.
Regarder la peur, l’identifier, regarder le désir, l’identifier, se dire à soi-même, il y a peur, il y a désir, et tout à coup, quelque chose lâche, ce n’est plus si important. Quel bonheur d’avoir fait un pas en direction de la libération.

Nos enfants sont tellement vulnérables au martèlement idéologique de la société de consommation… Alors, leur apprendre à identifier leurs peurs et leurs désirs comme des peurs et des désirs qui viennent du mental ? Pourquoi pas ?
Arthur Rubinstein raconte à ce sujet une anecdote très significative : quand il réclamait un deuxième chocolat à son père, celui-ci lui répondait : imagine que tu l’as déjà mangé. Très intéressant d’un point de vue bouddhiste !!

Voir l’illusion de l’argent, voir sa relation à l’image du moi, ça peut devenir très intéressant, et un sacré lieu de pratique !

Les quatre femmes remarquables que nous vous présentons, Maria Nowak, Ela Bhatt, Madjiguène Cissé, et Albina du Boisrouvray, ont un autre rapport à l’argent que celui auquel nous conditionne notre société. L’argent ça peut être aussi la joie du don, de la générosité, donner et apprendre à donner.

Quelques pistes ci-dessous pour avoir un autre rapport à l’argent :

Le mouvement pour la simplicité volontaire ( qui vient du Québec) est en droite ligne d’une pratique bouddhiste.

Pour une meilleure utilisation de l’argent, changeons de banque, rejoignons la Nef et son partenaire le Crédit Coopératif, pour gérer son argent avec des valeurs de partage.

Notre société devrait bien se rappeler le mythe grec du roi Midas : Midas, roi de Phrygie, obtint de Bacchus la faculté de changer en or tout ce qu’il touchait. Mais à peine son vœu fut-il exaucé que tout, jusqu’à ses aliments, se transformait en or dès qu’il y portait la main. Il allait mourir de faim quand il obtint d’être délivré de son funeste voeu. Voir : L’argent ne se mange pas

L’évolution des problèmes d’environnement va forcer la société économique actuelle à imaginer – dans la douleur – d’autres modèles et d’autres rapports à l’argent, certains se sont déjà attelés à la tâche : Une monnaie « verte »

Pour comprendre l’intérêt de ce qu’on appelle les « monnaies complémentaires » une vidéo sur l’argent, sa nature, sa fonction par un économiste qui a changé son regard sur l’argent :


Bernard Lietaer au Labo Colibris 1/2 par mouvementcolibris

Sur ce même sujet écouter dans les archives de l’émission Terre à Terre de Ruth Stegassy sur France Culture

1 – Les monnaies complémentaires

1 – les monnaies complémentaires en Argentine et en Grèce

2 – Monnaies complémentaires au Kenya

Voir les initatives qui se sont créées dans la zone francophone à la suite d’une réflexion sur le changement climatique et la nécessité de remplacer l’énergie pétrole.

et encore ce qui bouge en France dans ce domaine.

Découvrir Maria Nowak,  Ela BhattMadjiguène Cissé, Albina du Boisrouvray