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Ordination et fonctions exercées par des femmes dans le bouddhisme par Bhikshuni Jampa Tsedroen

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Ordination et fonctions exercées par des femmes dans le  bouddhisme et le mouvement de renouveau des ordres de moniales

par Dr. phil. Carola Roloff (Bhikshuni Jampa Tsedroen)

 

Sakyadhita Indonésie 2015

 

En Occident, le bouddhisme jouit d’une réputation de tolérance, d’ouverture et de non-misogynie. Mais qu’en est-il réellement des femmes occupant des positions religieuses dirigeantes? Existe-t-il des « fonctions, ministères ou charges » dans le bouddhisme? Comment faut-il comprendre des termes tels « ordre » et « ordination »? Les moines et les nonnes doivent-ils vivre dans le celibat? Y-a-t-il un genre d’ordination de prêtre – avec ou sans célibat – ou d’autres formes permettant de diriger des services religieux ou d’enseigner? Et comment se présente alors la répartition entre les sexes?

Avant d’approfondir ces questions, je me permets une remarque préliminaire : le « bouddhisme » n’existe pas plus que le judaïsme, le christianisme ou l’islam. Le bouddhisme s’est développé pendant 2500 ans et, au cours de son histoire, il s’est répandu à partir de l’Inde vers une grande partie de l‘Asie. Lors de son expansion, il a dû s’adapter à plusieurs reprises aux cultures locales, ce qui a donné lieu à la formation d’écoles et de courants très différents.

Un processus d’intégration similaire du bouddhisme est en cours en Occident depuis environ 200 ans. Ici, en Europe aussi, il prend racine dans un contexte de pluralisation religieuse et idéologique des cadres de vie. C’est en France qu’il est le plus répandu. En Autriche, le bouddhisme est reconnu comme association de droit public depuis plus de 30 ans, et en Allemagne, les estimations modérées font état d’à peu près 0,2 % de pratiquant·e·s.

Face à la diversité des situations européennes, je ne peux aborder la question de l’ordination et des charges des femmes dans le bouddhisme qu’à travers des exemples. Ce faisant, mon approche – je suis nonne dans le bouddhisme depuis 1981– est dialogique-théologique.

Les fonctions dans le bouddhisme

Les structures des fonctions dans les communautés religieuses bouddhistes sont variées, tout comme les désignations des fonctions. Il y a des chevauchements résultant des origines communes avec le bouddhisme indien et des différences dues en partie aux traditions indiennes et d’autre part dues aux différences culturelles des pays d’accueil.

Alors que les structures organisationnelles des monastères présentent des hiérarchies relativement verticales, elles sont plutôt horizontales dans la vie quotidienne à travers les traditions. Dans certains pays, un monastère ou une association de monastères a la possibilité d’agir dans une relative autonomie, dans d’autres pays comme la Chine ou la Thaïlande, l’état installe des fonctionnaires pour contrôler les monastiques ou bien il participe même à la décision quant à la nomination des hauts dignitaires. Dans certaines traditions, il y a/avait aussi des moines fonctionnaires, par exemple au Tibet. Les nonnes ou les laïques n’ont rarement, voire jamais occupé de telles fonctions. En ce moment, les chefs spirituels de toutes les traditions bouddhistes sont des moines ou des laïcs.

Les bouddhistes des différentes traditions ont en commun le fait de suivre le Bouddha, l’Eveillé, qui est leur maître. Le Bouddha n’a pas désigné de successeur. Seuls ses enseignements, le « Dharma » en sanscrit (Pāli « Dhamma »), et les textes ayant trait aux pratiques de la communauté, le Vinaya, devaient être considérés comme ses représentants. Un rôle important échoit alors aux membres de la Sangha, la communauté des moines et des nonnes qui, dans l’idéal, ont entièrement dédié leur vie à atteindre l’éveil, rôle qui peut parfois devenir un rôle de dirigeant·e·, au fur et à mesure de l’ancienneté et en fonction des qualifications et des besoins.

La Sangha fait partie des trois joyaux (triratna) dans lesquels prennent refuge tous les bouddhistes. Les deux autres joyaux sont le Bouddha et son enseignement (le Dharma). Aux origines du bouddhisme, la Sangha faisait référence surtout à l’ordre des moines ou bien à la Noble Sangha (Mahāsangha), c.-à-d. aux deux communautés religieuses, celle des moines et celle des nonnes. Mais au fil du temps, le terme a été élargi pour englober la communauté de tous les bouddhistes, donc à tous les adeptes du Bouddha. Celle-ci se compose de quatre groupes : les moines (bhikus), les moniales (bhikunis), les laïcs (upāsakas) et les laïques (upāsikās). Lors de son premier sermon dans le parc aux gazelles de Bénarès, le Bouddha loue les vertus de ces quatre groupes et les envoie répandre son enseignement pour le bien et le bonheur de tous les êtres humains et divins. C’est cela qui permet de déduire l’autorisation d’enseigner à chacun de ces quatre groupes, bien que, de nos jours, ce soient majoritairement des moines bouddhistes qui occupent le devant de la scène, notamment en Asie.

Un petit retour sur le passé : la formation de l’ordre des moines et des moniales

Siddhārtha Gautama, le Bouddha Sakyamuni historique, vécut en Inde à peu près au Ve siècle avant J.-C. Après avoir atteint l’éveil, il décida, après quelques hésitations au début, de transmettre son enseignement. Lorsqu’il rencontra cinq ascètes qu’il avait connus auparavant, il mit son projet à exécution et il tint devant eux son premier sermon sur les Quatre Vérités. On dit que c’est ainsi qu’il mit en mouvement « la roue de l’enseignement ». Ces « cinq bons ascètes » furent les premiers disciples du Bouddha. C’était la fondation de l’ordre des moines. L’ordination complète ou encore pleine ordination, (l’upasaṃpadā), se déroulait à l’époque encore sans rituel, il suffisait que le Bouddha déclare : « Viens moine ! »

Quelques années plus tard, le Bouddha fonda un ordre de moniales aussi.

Mahāprajāpatī, sa tante et nourrice, fut la première femme à demander l’ordination complète. Dans un premier temps, les 500 femmes de sa compagnie – toutes issues du clan des Sakyas auquel appartenait aussi le Bouddha – reçurent la pleine ordination du Bouddha, puis, par la suite de la main des moines. Plus tard, la responsabilité de certaines parties de l’ordination – un processus échelonné sur plusieurs années – passa à l’ordre des moniales. L’ordination des nonnes requiert toutefois jusqu’à nos jours la présence de moines. Il est donc impossible pour les ordres des moniales d’exister indépendamment de l’ordre des moines, bien qu’il s’agisse d’une institution séparée par ailleurs. Pour l’ordination de moines en revanche, la participation de nonnes n’est pas nécessaire.

Le terme d’ordination et l’essence de la vie monastique

Le bouddhisme traditionnel entend par ordination (upasaṃpada) l’acte liturgique par lequel est conféré le titre de moine ou de moniale dans le contexte des communautés religieuses. Dans la littérature plus récente, le terme upasaṃpadā est aussi traduit par « ordination complète », afin de la distinguer du premier accueil au sein de la communauté monastique (pravrajya) et de l’ordination du noviciat (sramanerika). L’âge minimum pour entrer au monastère est de sept ans et celui de l’ordination complète est de 20 ans. Pour les femmes, il y a encore une période supplémentaire d’essai et de formation de deux ans avant la pleine ordination en tant que siksamana.

Cette règle est en vigueur dans chacun des trois courants principaux du bouddhisme transmis jusqu’à nos jours : le bouddhisme Theravāda pratiqué principalement en Asie du Sud et du Sud-est, donc au Sri Lanka, en Thaïlande, au Myanmar, au Laos, au Cambodge et quelques parties du Vietnam, le bouddhisme Mahayana de l’Asie de l’Est, en Chine, au Japon, à Taïwan, et le bouddhisme Vajrayana, au Tibet, au Bhoutan, en Mongolie ainsi que dans certaines parties du Népal, en Inde du Nord et au sud de la Russie.

Les moines et les nonnes se distinguent des laïc·que·s par leur tête tondue et l’habit religieux. Traditionnellement, le bras droit reste nu, la robe est drapée par-dessus l’épaule gauche et le bras gauche. Dans toutes les traditions, les novices, hommes et femmes, obéissent dans un premier temps à dix règles. La pleine ordination exige ensuite d’observer l’ensemble des règles, différentes pour les moines et les moniales : en fonction de la tradition, les moines doivent suivre 227, 250 ou 253 règles, pour les moniales, ce sont 311, 348 ou 364 règles.

Dans l’idéal, la motivation de l’ordination est le souhait de se libérer du cycle éternel de la mort et de la naissance – du Samsara. Le modèle étant le cheminement du Bouddha. Mais les laïc·que·s aussi prononcent un vœu de jeûne en huit parties à la pleine lune, à la nouvelle lune, lors de jours fériés particuliers ou d’un pèlerinage et suivent par moments la discipline monastique.

Les quatre interdictions principales, aussi bien pour les moines que pour les nonnes, sont : les rapports sexuels, le vol, l’homicide volontaire et le fait de prétendre avoir des facultés surnaturelles. S’y ajoutent quatre autres interdictions principales pour les nonnes : 1. tolérer un contact physique sexuel rapproché, 2. tolérer une promiscuité visant un rapport sexuel, 3. taire la faute principale d’une autre religieuse et 4. faire preuve de respect envers un moine suspendu par l’ordre des moines. Enfreindre l’une de ces règles principales engendre l’exclusion de l’ordre, d’autres infractions d’une certaine gravité engendrent une suspension temporaire, il est possible de se purifier de fautes mineures lors de la cérémonie de confession bimensuelle (pleine lune et nouvelle lune).

Lorsqu’il y a rupture des vœux, donc en présence de l’une des quatre fautes principales (ou huit pour les nonnes), un retour dans l’ordre après l’exclusion est impossible. Si l’on déclare cependant son souhait de quitter l’ordre avant de commettre une faute, les moines ont la possibilité de réintégrer l’ordre au maximum sept fois. Cela ne s’applique toutefois pas aux nonnes : si elles quittent l’ordre il n’y aura plus de retour. Il est donc impossible de revenir sur un départ, même volontaire.

D’autres règles du Vinaya portent sur la vie dans la Sangha, des rapports entre les personnes, de la prise en charge des novices, sur la nourriture, les vêtements, l’hébergement, l’hygiène et la santé ainsi que sur la gestion des possessions, pour ne citer que quelques exemples. Au fond, le but du Vinaya est de permettre de se concentrer sur l’essentiel : la pratique du Dharma. Le respect de la discipline est la condition nécessaire pour développer les capacités méditatives et la sagesse.

Contrairement aux laïc·que·s, les personnes ordonnées sont obligées de mener une vie de chasteté, une « vie pure ». Un autre signe distinctif est leur absence de possessions personnelles. Elles sont tenues de faire preuve d’obéissance et de respect non seulement envers les ancien·ne·s de l’ordre mais aussi envers tous les membres de la Sangha. Dans la tradition tibétaine, la fin du rituel d’ordination se termine par l’injonction de plaire à celles et ceux qui suivent les mêmes règles et de ne leur donner aucune raison de ressentir du déplaisir. Une autre consigne souligne la pratique de la non-violence et de la patience. Voici son contenu :

Dès aujourd’hui, ceci s’applique à toi :
Si tu es insulté, n’insulte pas en retour.
Si quelqu’un est en colère contre toi, ne réagis pas par la colère.
Si quelqu’un te frappe, ne frappe pas en retour.
Si quelqu’un se moque de toi, ne réagis pas par des moqueries.

En demandant l’ordination, on promet de respecter les règles jusqu’à la fin de sa vie. Mais, de nos jours, il y a bien des moines et des nonnes qui n’habitent pas dans un monastère en raison de leurs activités, par exemple parce qu’elles/ils travaillent comme professeur à l’université, qu’elles/ils dirigent un centre du Dharma ou qu’elles/ils travaillent sur certains projets. Elles/Ils restent quand même membres de leur ordre. Mais elles/ils peuvent aussi changer pour un autre ordre.

À Taïwan (tradition Mahayana), on reçoit, à la fin de la cérémonie d’ordination d’une durée de 30 jours et qui comprend une formation de base dans la discipline et les règles de l’ordre, un certificat de l’ordre indiquant le lieu et le moment de l’ordination et qui liste les noms des maîtres d’ordination. Un tel certificat permet aussi d’inscrire le nom religieux dans les papiers d’identité.

Une particularité du bouddhisme chinois est le fait de célébrer une ordination appelée « Bodhisattva » environ une semaine après l’ordination complète. Cette pratique existe dans toutes les traditions Mahāyāna, pour les laïc·que·s aussi, mais elle est devenue ici une partie de la cérémonie d’ordination dont elle est devenue le point culminant.

Ordination de prêtre et mouvement de renouveau des ordres de moniales bouddhistes

Une ordination bouddhiste est tout à fait comparable à l’ordination d’un prêtre du christianisme. Les moines et nonnes enseignent le Dharma aux laïc·que·s, ils/elles célèbrent tous les rituels importants pour la vie de la communauté et participent à la prise de décisions. Il n’y a aucune différence entre eux pour ce qui est de leur fonction vis à vis des laïc·que·s.

De leur côté, les laïc·que·s assurent le bien-être matériel de la Sangha, dans les limites de leurs possibilités – en offrant des repas en aumône, par des offrandes sous forme de robes religieuses et en faisant des dons destinés à la construction d’un monastère, etc. Ils sont convaincus que ce soutien leur permet d’accumuler du mérite religieux et de créer ainsi un bon karma pour un futur bonheur dans cette vie ou l’une des suivantes.

Il y a des niveaux hiérarchiques internes à l’ordre. En principe, les moines et les nonnes vivent séparément, la plupart du temps aussi dans des monastères séparés. Après l’ordination complète, un moine doit vivre avec un ancien de l’ordre de son choix durant au moins cinq à dix ans, pour une nonne, ce sont six à douze ans avec une ancienne de son ordre. Pendant ce temps, il/elle est initié·e à tous les rituels monastiques et aux autres devoirs et tâches (“learning by doing”). Cela comprend aussi l’apprentissage par cœur des textes liturgiques. De cette manière, le nouveau/la nouvelle venu·e·s’intègre à la communauté et et sera progressivement reconnu·e par celle-ci au fil du temps. D’autres qualifications consistent en une bonne connaissance et l’expérience des rituels monastiques, du Dharma et du Vinaya en général. Ce n’est qu’après avoir officié durant dix ans en tant que moine ou douze ans en tant que nonne que l’on peut accueillir soi-même de nouveaux aspirants et, avec l’accord de la communauté de l’ordre, célébrer soi-même l’ordination d’un bhiku ou d’une bhikuni. Dans le Theravāda, un moine sera appelé Mahāthera au bout de dix ans, une nonne sera appelée Mahātherī au bout de douze ans.

Une communauté d’un ordre, donc une sangha monastique, est composée d’au moins quatre moines ou moniales ayant reçu l’ordination complète. Pour l’ordination d’une femme comme siksamana (candidate à l’essai pour deux ans), il faut, en fonction de l’école, une sangha de nonnes d’au moins dix ou douze moniales ayant reçu l’ordination complète (cinq à six dans les régions reculées). L’ordination complète requiert la participation de cinq à dix moines. Sur le plan hiérarchique, les Bhikunis sont subordonnées aux Bhikus, ce qui est de plus en plus remis en question aujourd’hui, non seulement en Occident, mais aussi en Asie, dans le cadre de la démocratisation et de la sécularisation. Les voix demandant l’égalité des moines et des nonnes se font de plus en plus entendre.

Un autre défi qui attend les femmes souhaitant emprunter la voie monastique aujourd’hui est le fait que la lignée d’ordination s’est éteinte dans certains pays ou n’a jamais été établie à ce jour. Toutes les lignées remontent au Bouddha ou à ses disciples les plus proches et elles ont été transmises du maître à l’élève d’une génération à l’autre. Ainsi s’est formé, au fil des siècles, un tissu compliqué de différentes lignées comparable aux lignées des ancêtres en généalogie. Comme, selon le Vinaya, la validité de l’ordination d’une nonne requiert la participation d’un ordre de moines, un différend juridique a vu le jour pour déterminer si la lignée d’ordination des nonnes est transmise par les nonnes elles-mêmes ou par les moines.

Dans les pays du Theravāda, où l’ordination complète des femmes n’existait plus, un genre de demi-statut pour les femmes s’est développé, dérivé de la pratique des préceptes par les laïques mentionnée plus haut. De fait, elles vivent comme des nonnes, de droit, elles ne font pas partie de l’ordre monastique. Ce qui signifie qu’elles ont la tête tondue, portent un habit religieux, vivent une vie monacale dans le célibat, et respectent soit les huit règles des laïc·que·s, soit les dix règles des novices sans jamais avoir été intégrées et reconnues comme telles. En Thaïlande, ces femmes s’appellent Maechis. Elles portent un habit religieux blanc, la couleur des laïc·que·s. En Birmanie, on les appelle Thilashin, leur habit est rose vif. Et au Sri Lanka on les appelle Dasa-Sīla-Mātā. Elles portent un habit brun ou couleur safran comme les moines, mais avec manches, ce qui est interdit aux moines.

Dans le bouddhisme tibétain, il y a également des femmes dont la tête est tondue. Elles portent un habit religieux bordeaux qui se distingue à peine de celui des moines et elles respectent soit les cinq règles des laïc·que·s – ne pas tuer, ne pas voler, éviter des fautes d’ordre sexuel, ne pas mentir et ne pas consommer de boissons enivrantes – soit les dix règles d’une novice, « Getsülma » en tibétain (sramanerika).

En principe, il incombe aux nonnes ayant reçu l’ordination complète de raser la tête d’une aspirante, de l’habiller, de répondre à sa demande de recevoir les dix règles et de l’accueillir en formation. Les novices font partie de la Sangha des nonnes. À défaut d’un ordre de moniales, la tradition qui s’est développée au Tibet veut que les moines donnent les dix préceptes de novices aux nonnes qui vivent dans des monastères séparés. Elles se regardent toutefois comme des nonnes et s’engagent à respecter leurs vœux de novice jusqu’à leur mort.

Depuis les années 1970, il existe un mouvement mondial de renouveau des ordres de moniales bouddhistes. On en attend non seulement l’égalité religieuse des femmes, mais aussi une revalorisation du rôle de la femme dans la société en général et donc une amélioration de la situation en matière de droits humains en termes d’équité entre les sexes pour de grandes parties de l’Asie. Dans certaines parties du monde telles le Sri Lanka et la Thaïlande, l’ordination complète des nonnes a été rétablie, ce qui n’est toutefois pas reconnu par tous les moines. Au Sri Lanka, il n’y a quasiment plus de résistance publique, l’état refusant cependant aux nonnes l’inscription de leur titre de Bhikkhuni sur leurs papiers d’identité. Et en Thaïlande, le moine le plus élevé dans la hiérarchie, le Sangharaja, a demandé à l’Etat après la première ordination de nonnes sur le territoire thaïlandais – elle s’est faite avec la participation déterminante de moines venus de l’étranger – de ne plus autoriser d’ordinations avec la participation de moines étrangers sans son accord.

Au Sri Lanka, les premiers efforts de renouveau de l’ordre des moniales remontent à 1988. Après quelques problèmes au départ, la lignée rétablie en 1998 s’est imposée et c’est à cette lignée qu’appartiennent maintenant des nonnes de Thaïlande et des USA. L’ordre des moniales du Sri Lanka s’est agrandi ces dernières années jusqu’à compter désormais plus de 1.200 nonnes. Il y en a plus de cinquante en Thaïlande, au Népal, en Indonésie, à Singapour, en Europe, en Amérique du Nord et en Inde. La tradition Theravāda a donc une certaine avance sur la tradition tibétaine. Depuis les années 1970, il y a bien des nonnes ayant reçu leur ordination complète dans l’école est-asiatique de Dharmaguptaka et qui portent à présent l’habit religieux tibétain, mais une ordination de l’école Mūlasarvāstivāda propre au Tibet se fait toujours attendre. Un groupe d’experts composé de moines tibétains érudits des quatre écoles actuelles – sans participation de femmes – s’est rencontré à l’automne 2012 pour trois mois de discussion. Un rapport final volumineux a été publié en 2013. Il ne parvient toutefois pas à une conclusion claire. Les sources sont ambiguës, tout dépend donc de la volonté « politique ». Si l’on décide d’introduire l’ordination, il y a suffisamment de sources pour étayer la démarche, il n’y a cependant que peu d’érudits assez courageux pour prendre une position claire dans ce débat controversé. C’est dû à la crainte de provoquer une scission de l’ordre. Bien que le Dalaï-Lama n’exige pas de consensus, il demande toutefois au moins le soutien par une bonne majorité de moines séniors respectés.

Il existe deux possibilités de faire renaître l’ordre des moniales tibétaines. Primo: seulement par des moines, comme les sources en font état du temps du Bouddha, habitude qui s’est perdue ensuite durant des siècles. Secundo : à travers une cérémonie « œcuménique », à savoir que des nonnes issues de l’école est-asiatique Dharmaguptaka la célébreraient ensemble avec des moines de l’école Mūlasarvāstivāda tibétaine et occuperaient ainsi la place vacante des nonnes Mūlasarvāstivāda.

Le sujet de l’ordination des nonnes tibétaines est de plus en plus à l’ordre du jour et de plus en plus de moines sont favorables au renouveau de l’ordre des moniales dans le bouddhisme tibétain. Le soutien ne vient pas seulement du 14e Dalaï-Lama mais aussi, depuis quelques années, du 17e Karmapa Ogyen Trinley qui a entrepris en mars 2017 les premières mesures concrètes pour l’ordination complète des nonnes tibétaines avec l’aide de nonnes taïwanaises.

Il est urgent de faire des réformes. Du point de vue féministe, le fait que l’ordre des moniales soit toujours subordonné à l’ordre des moines et ne puisse pas agir en toute indépendance de ce dernier pose problème. C’est pourquoi il y a débat parmi les féministes bouddhistes pour savoir s’il est souhaitable de faire revivre l’ordre des moniales, sans parler du doute d’ordre général de savoir si une vie monastique et dans le célibat correspond encore à l’esprit de notre époque ou bien si cela va à l’encontre de la nature humaine. On pourrait aussi se poser la question de savoir s’il n’est pas possible d’être plus utile pour soi-même et les autres dans une forme autre que celle de la vie monacale avec célibat, ou encore s’il ne serait pas préférable pour les monastères de devenir indépendants des dons des laïc·que·s. D’un autre côté, les monastères ont toujours été considérés comme des cellules germinales de la vie spirituelle. Ils sont des îlots de calme et de recueillement, surtout à notre époque moderne, où tout va très vite. Les femmes bouddhistes qui aspirent à une vie de nonne devraient donc – vu de l’intérieur – continuer à disposer de la possibilité de mener une telle vie, d’autant plus que le Bouddha lui-même l’avait prévue.

Autres formes d’autorisation à enseigner et à réaliser des services religieux

Finalement se pose la question s’il existe quelque chose comme une « charge/fonction de prêtre » bouddhiste sans célibat, donc pour les « laïc·que·s » vivant seul·e·s ou en famille. Quelles sont les formes nécessaires pour effectuer des services religieux et enseigner qui existeraient en-dehors des dispositions du Vinaya, et comment se présenterait alors l’équité entre les sexes?

Aujourd’hui, la plupart des traditions bouddhistes offrent aux laïc·que·s, hommes et femmes, la possibilité de se retirer temporairement dans des monastères pour méditer ou participer à des retraites de méditation de plus longue durée (jusqu’à trois ans). Outre les études du bouddhisme, dont l’orientation en Occident n’était jusqu’à présent pas théologique mais philosophique, les centres et universités bouddhistes nationales et à l’étranger proposent divers programmes d’études. La qualité et l’étendue de ces filières sont très variables.

Dans le bouddhisme Zen japonais, les séjours dans les monastères sont généralement temporaires, le temps d’une formation. Le Vinaya n’y est plus mis en pratique pour des raisons historiques. Les monastères sont dirigés par un Roshi (littéralement vieux maitre) ou aussi nommé prêtre Zen. L’abbé du monastère peut être marié ou vivre dans le célibat. Les prêtres et prêtresses Zen sont autorisés à enseigner par leurs maîtres au moyen d’une transmission du Dharma. La mission d’un Rōshi consiste à apporter un enseignement spirituel à une communauté Zen. De manière similaire, on distingue en Corée les moines vivant dans le célibat et les prêtres mariés. Les transmissions du Dharma existent aussi dans le Chan chinois, le Thiền vietnamien et le Seon coréen.

Particularités du bouddhisme tibétain

Dans le bouddhisme tibétain, il faut distinguer entre les lamas, c’est-à-dire. des enseignants spirituels, et les moines ou les nonnes. Il y a des membres du clergé qui sont à la fois monastiques et lamas ou seulement monastiques ou lamas. Pour les moines et les nonnes, le célibat est obligatoire, pour les lamas seulement s’ils sont moines ou nonnes en même temps. Ainsi, il y a par exemple des lamas qui sont des moines et vivent dans le célibat, mais qui n’habitent pas dans un monastère tout en appartenant à une communauté religieuse précise. C’est le cas par exemple de S. S. le Dalaï-Lama. Il habite à proximité d’un monastère et il appartient à sa communauté, mais il n’en est pas l’abbé. Lorsqu’il procède aux ordinations de moines issus de différents monastères, il est assisté par des moines de ces monastères.

Mais il y a aussi des lamas de haut rang qui ne sont pas moines ou novices et qui ont une famille, par exemple le Sakya Trizin, l’ancien chef de l’une des quatre écoles du bouddhisme tibétain, qui a transmis sa charge à son fils en mars 2017, et sa sœur, son éminence Sakya Jetsün Chime Luding Rinpoche (*1938), qui vit aux USA. La charge de Sakya Trizin lui interdit de devenir moine, car elle se lègue d’une génération à l’autre à l’un de ses fils. Deux maisons de la tradition Sakya, qui fournissent le chef à tour de rôle, ont récemment introduit de nouvelles règles de succession selon lesquelles la charge dépendra désormais de la qualification et qui réduisent la durée du mandat à trois ans.

En alternative à la vie comme moine ou nonne – de même que pour les laïc·que·s – il y a la vie de yogi ou yoginī. Le plus souvent, ces dernier·e·s ne vivent pas en communauté ou en famille, mais se retirent dans la montagne en ermite, dans un endroit calme pour se consacrer intensément à la méditation tantrique. Cela peut être à vie ou bien pour une certaine période, par exemple jusqu’à l’obtention de signes clairs indiquant que l’on a atteint l’objectif spirituel que l’on s’était fixé. Cet objectif peut être la préparation à la pratique tantrique de samatha (calme de l’esprit) ou l’apparition d’une vision, par exemple une rencontre mystique avec le Bouddha ou l’une de ses nombreuses manifestations. Dans certaines traditions, une retraite d’au moins trois ans confère le titre de lama et d’autres titres honorifiques. Ainsi, la nonne britannique Tenzin Palmo (Diane Perry, *1943) a reçu à Katmandou (Népal), en reconnaissance de ses acquis spirituels et de ses efforts afin de favoriser le statut des pratiquantes féminines du bouddhisme tibétain, en février 2008, des mains du chef de la lignée tibétaine Drukpa le titre de « Jetsunma » dont la signification s’approche de « vénérable maîtresse ».

Un autre idéal tibétain est une personne qui est à la fois yogi/yoginī et pandita, maître·sse· de méditation et érudit·e·. C’est au moins dans ce domaine que nous enregistrons de véritables progrès. En décembre 2016, le Dalaï-Lama a décerné pour la première fois de l’histoire du bouddhisme tibétain, en dépit d’une grande opposition dans ses propres rangs, le titre de Geshe au féminin, celui de Geshema, à 20 nonnes du Tibet et de la région de l’Himalaya. Ce titre, le plus haut titre monastique et académique, qui requiert 21 ans d’études, était réservé aux seuls moines depuis des siècles. Le Dalaï-Lama a prédit qu’elles dirigeront un jour une communauté monacale en tant qu’abbesses (tib. Khenmo, scr. upādhyāyikā). Pour occuper une telle position, elles devraient toutefois avoir reçu l’ordination complète. Mais il y a de l’espoir!

Carola Roloff  est une nonne bouddhiste allemande, pleinement ordonnée. Son nom monastique est Bhiksuni Jampa Tsedroen. Professeure, traductrice, auteure et oratrice en activité, elle joue un rôle important dans la campagne pour l’égalité des droits des nonnes bouddhistes.  Son site = http://www.jampatsedroen.de/

Voir aussi: Les activités du Comité pour l’ordination des Bhikshuni (CBO)

http://www.buddhistwomen.eu/FR/index.php/Projets/CommitteeForBhikshuniOrdinationCBO

Article traduit de l’allemand par Sakyadhita France. Voir l’original (avec notes complémentaires) sur le site www.buddhistwomen.eu (sous documentations/ textes).