Accueil Magazine N° 01 Eté Automne 2005 La place des nonnes dans le bouddhisme tibétain

La place des nonnes dans le bouddhisme tibétain

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nonnesLes agissements intolérables du gouvernement chinois sont régulièrement dénoncés par les nombreuses associations de soutien aux réfugiés Tibétains qui peuvent et doivent compter sur le soutien des bouddhistes occidentales. Cependant, en raison même de ce drame qui touche le peuple tibétain, il est considéré comme en quelque sorte spirituellement incorrect de ternir l’image du bouddhisme tibétain en dévoilant ses imperfections. Or le Dalaï lama lui-même a compris la nécessité d’une auto critique des coutumes féodales de la société tibétaine. Et justement, il est essentiel pour nous femmes de questionner l’attitude des Tibétains, moines et laïcs, par rapport à l’image de la femme. Il y a quelques mois, dans un magazine bouddhiste, la soeur du Dalaï Lama, avait déclaré à quel point la situation des femmes dans la société tibétaine était supérieure à celle de leurs voisines chinoises, ce qui est incontestable. Elle avait  ajouté qu’il faut tout de même reconnaitre qu’au Tibet, une femme est toujours considérée comme inférieure à un homme. D’ailleurs le mot femme signifie « inférieure » en tibétain.

En Octobre 2002, Samsara a consacré un article à une nonne tibétaine, d’un courage extraordinaire, et cela a été l’occasion de parler pour une fois, et sans fard, de la réalité du monachisme féminin au Tibet. (voir nouvelles)

Pierre Yves Ginet, auteur de l’article constate :

quote-cAlors que sa dévotion envers les moines paraît sans limites, la communauté laïque tibétaine ne s’est jamais trop préoccupée du sort de ses nonnes. Pour beaucoup, les filles qui deviennent religieuses sont seulement les « impossibles à marier ». Conséquence de ces idées fantaisistes, l’absence de donations des fidèles, qui concentrent leur énergie et leur argent vers les monastères, contraint aujourd’hui encore certains couvents à vivre dans des conditions matérielles dramatiques’

Les opportunités d’enseignement qui sont offertes aux nonnes ne sont en rien comparables avec l’éducation dont peuvent jouir les hommes. Leurs pratiques se limitent souvent à l’exercice quotidien des rituels et elles sont encore très nombreuses à ne pas savoir écrire leur propre nom. Pendant les deux années que Lobsang Dolma a passées à Garu, le maître spirituel dont dépendait le couvent ne leur a jamais rendu visite. Très rares sont les lamas qui se déplacent pour enseigner à leurs moniales et l’histoire du bouddhisme tibétain ne connaît que très peu de grands maîtres féminins. Pire encore, même si les abus sont exceptionnels, il y a cinq ans, au Ladakh, j’ai rencontré des nonnes quasiment réduites à l’état d’esclaves vis-à-vis des moines de la confrérie voisine. 

Ce dédain des sociétés religieuses et laïques à l’égard des moniales tibétaines est l’une des préoccupations du Dalaï-lama. Il s’est nettement engagé contre ce vieil adage de son pays « Si tu veux un maître, fais de ton fils un moine. Si tu veux une servante, fais de ta fille une nonne. » Alexandra David-Neel a fait beaucoup, par ses ouvrages, pour fairequote-o connaître le bouddhisme Tibétain mais elle ne s’est guère attardé sur la discrimination, qu’elle évoque brièvement, que subissaient les nonnes lors de ses séjours au Tibet dans les années vingt. Il semble bien que les choses n’aient guère changé au Tibet même.

Lorsque Tenzin Palmo que nous présentons par ailleurs, se retrouva dans les années quatre-vingt dans le Nord de l’Inde au milieu des réfugiés Tibétains, elle raconte :

quote-cL’une des prières principales des Tibétaines a pour objet la renaissance dans un corps d’homme. Elles sont totalement méprisées. C’est tellement injuste. Un jour, je me suis rendue dans un couvent où les nonnes rentraient d’un enseignement donné par un grand lama. Il leur avait dit que les femmes étaient impures et que leur corps était ‘inférieur’ à celui de l’homme. Comment voulez-vous construire une pratique spirituelle authentique lorsque de toutes parts on vous dit que vous n’avez aucune valeur ? Un jour, j’ai demandé à un grand lama s’il pensait que les femmes pouvaient atteindre l’état de bouddha. Il m’a répondu qu’elles pouvaient presque atteindre cet état, mais qu’à la dernière étape elles devaient prendre une forme masculine pour y parvenir. J’ai alors rétorqué « En quoi un pénis est-il si essentiel pour atteindre l’Éveil ? Qu’y a-t-il de si extraordinaire dans un corps d’homme ? » Puis je lui ai demandé s’il y avait un quelconque avantage à avoir un corps de femme. Il m’a répondu qu’il allait réfléchir à la question.quote-o Le lendemain, il est revenu et il m’a dit « J’ai pensé à votre question et la réponse est ‘non, il n’y a aucune sorte de bénéfice à être doté d’un corps féminin. » En moi-même, j’ai pensé « L’un des avantages est de ne pas avoir un ego masculin ».

Tenzin Palmo fit alors le voeu d’atteindre le but ultime dans un corps de femme. Elle a passé douze ans dans un ermitage à plus de 4000 m d’altitude, à méditer jour et nuit, un accomplissement rare même parmi les Tibétains.Bien des années plus tard, ayant acquis par cette longue ascèse, la reconnaissance de ses pairs, elle figurait parmi les rares femmes assistant à un colloque avec le Dalaï lama à Dharamsala, elle lui tint le discours suivant : « Lorsque je suis allée en Inde pour la première fois, j’ai vécu dans un monastère qui comptait cent moines. J’étais la seule nonne. »

Après quelques secondes, le temps que ses paroles pénètrent l’auditoire, elle reprit : « Je pense que c’est pour cette raison qu’en fin de compte je suis partie vivre toute seule dans une grotte ». Tout le monde comprit ce qu’elle voulait dire. « Les moines étaient très gentils et je n’ai rencontré aucun problème relationnel avec eux, mais j’avais la malchance d’être une femme. ils m’ont confié qu’ils priaient afin que dans une existence future je renaisse sous une forme masculine et que je puisse ainsi participer à toutes les activités du monastère. En attendant, disaient-ils, ils ne m’en tenaient pas trop rigueur. Ce n’était pas vraiment de ma faute si j’avais ce corps féminin. « 

Puis parlant de la sangha des nonnes occidentales, elle ajouta : « Elles s’impliquent au départ avec tant d’enthousiasme, avec une foi et une dévotion si pures! Peu à peu leur aspiration s’amenuise. Elles sont découragées, déçues et personne ne les aide. (…) Quelques monastères fonctionnent bien, pour la plupart de l’école Theravada. Mais qu’est-il prévu pour les religieuses ? Três franchement, quasiment rien. Et pour terminer sur une note plus élevée, je prie afin que cette vie de pureté et de renoncement, si rare et si précieuse en ce monde, que ce joyau qu’est la sangha ne soit pas jeté dans la boue de notre indifférence et de notre mépris. « 

Ainsi donc, c’est en partie grâce à elle, et au regard critique que des Occidentales ont portées et doivent encore porter sur certains aspects du bouddhisme tibétain que SS le Dalaï lama a  réalisé l’injustice flagrante de l’attitude des moines vis à vis des nonnes, privant de nombreuses jeunes femmes de la possibilité d’une pratique réelle.D’ailleurs, pour ce qui est des pauvres jeunes nonnes tibétaines qui risquent la torture, la prison, le viol en criant des slogans sur le Tibet libre, leur motivation n’est-elle pas fondée sur l’ignorance d’une vraie pratique?  Si elles avaient reçu un enseignement bouddhiste, ne rendraient-elles pas un plus grand service à leur pays et au monde en devenant, par une pratique assidue dont elles sont sans conteste capables, les grands « maitres » féminins dont le monde bouddhiste tibétain a bien besoin ? Quelle est la situation actuelle ? Où sont les monastères bouddhistes où des fillettes reçoivent le même enseignement  spirituel que les garçons ?  La jeune fille interviewée dans Samsara affirme : «  Ici, à Dharamsala, les choses sont différentes, même s’il reste encore du chemin à parcourir. Les enseignements que nous recevons se rapprochent vraiment de ceux que reçoivent les moines. Et la création de l’Institut Dolma Ling, réservé aux nonnes, nous permet de recevoir une éducation profane à laquelle nous n’avons jamais eu accès. »Dans son ouvrage Walking on Lotus Flowers (paru en français sous le titre Rencontres avec des femmes remarquables, ed. Sully) Martine Batchelor évoque le statut des nonnes dans le bouddhisme sous forme du résumé suivant : les nonnes coréennes sont les égales des moines à 90%, les nonnes japonaises à 60%, les Taïwanaises à 85%, les Thaïs à 15%, les Tibétaines à 45%.

Nous reviendrons dans l’avenir sur ces chiffres mais il semble bien que les  nonnes Tibétaines, dans leur pays, ne soient pas les « égales» des hommes à 45 % mais qu’elles soient plus proches de 0 %. La situation décrite dans l’article de Samsara est exactement la même que celle décrite brièvement par Alexandra David Neel dans les années vingt : des monastères en ruine, des nonnes illettrées, totalement livrées à elles-mêmes, sans enseignement, sans accès au savoir des universités monastiques, sans aucun soutien de la population. Les nonnes tibétaines qui seraient à 45% les égales des hommes sont probablement des Occidentales qui prennent l’habit de nonne, ce qui n’est pas pareil du tout.Il faut distinguer la situation des femmes bouddhistes au Tibet, en Inde, dans les pays Occidentaux, particulièrement anglo-saxons et enfin, en France. Il y a des différences très sensibles d’un pays à l’autre.Tenzin Palmo a fait bouger le monde bouddhiste, elle a ouvert les yeux de bien des femmes sur la réalité du bouddhisme tibétain, mais on ne change pas des mentalités du jour au lendemain, aussi les Occidentales doivent y contribuer. Beaucoup de femmes ont aidé et continuent d’aider les moines tibétains à créer de nombreux monastères en Inde ou ailleurs dans le monde, mais les nonnes ne reçoivent pas le même soutien, y compris d’autres femmes. Il faut aider Tenzin Palmo, elle lutte avec opiniatreté pour créer une structure offrant à des nonnes tibétaines les possibilités de formation identiques à celles des moines. Voir dans le numéro en cours : Actions.

Il est toutefois important de mettre en lumière les indices d’un changement,  voir dans la rubrique « Articles- Nouvelles » des informations montrant certains changements encourageant en cours.

Lire dans cet article de 2006 la situation de l’ordination des nonnes dans le bouddhisme tibétain – la conférence de Hambourg en juillet 2007 n’a semble-t-il pas fait évolué la situation, face aux réticences des moines conservateurs.