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L’autorité spirituelle

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Quand on commence à s’intéresser au bouddhisme, tout naturellement, on se tourne vers les aînés, celles et ceux qui incarnent l’autorité spirituelle, n’est-ce pas naturel ? Mais qu’est-ce que l’autorité spirituelle ?

L’autorité, nous l’avons toutes subies en tant qu’enfant, une autorité parentale qui nous a guidé, nous a protégé et que nous avons dû accepter de bon ou de mauvais gré, en raison de notre dépendance totale aux adultes pour survivre. Et puis, à l’école, l’autorité des détentrices/détenteurs du savoir représente une autorité incontournable. Alors, quand nous découvrons un enseignement, tout ce conditionnement puissant risque de nous porter à adhérer sans question à tout ce qu’une autorité spirituelle nous délivre comme message. Cette autorité spirituelle, cet enseignant est d’autant plus facilement écouté et suivi s’il s’agit d’un monastique (et d’un homme ?). Notre conditionnement est encore plus fort (et notre crédulité plus grande ?) si ce monastique est tibétain, japonais, coréen, ou de tout autre pays asiatique.

Et pourtant, lorsqu’une personne prend la robe, femme ou homme, est-elle automatiquement transformée par magie ? Ce monastique n’est-il pas en chemin, comme les laïques ? C’est la même personne qu’avant la robe, conditionnée, humaine, sujette à l’erreur et au doute, la seule différence, c’est que son choix montre qu’elle a voulu mettre la pratique au centre de sa vie, et mérite le respect pour ce choix.
Cela ne veut pas dire que tout ce qu’elle dit est forcément marqué de la plus grande sagesse et profondeur spirituelle. Lire à ce sujet l’enseignement de Sayalay Dipankara.

Ayya Yeshé que nous avons présentée précédemment, écrit : « Lorsque j’ai été ordonnée, j’ai trouvé que je n’étais pas du tout préparée. Soudain, les gens ne me voyaient plus; ils voyaient une nonne. Ils me posaient des questions sur le bouddhisme et ils me demandaient de les conseiller. »

Plus loin elle raconte : « un Rimpoché en visite a déclaré à toutes les femmes d’âge moyen dans la salle qu’elles ne pouvaient pas atteindre l’illumination d’un Bouddha dans le corps d’une femme. J’ai aussitôt discuté cette question avec les exemples de femmes telles que Yeshe Tsogyal, Machig Lapdron, Jomo Memno, et de nombreuses autres qui sont devenues illuminées. Personne d’autre dans la salle ne mettait quoi que ce soit en question. Une femme m’a dit: «Eh bien, si Rimpoché l’a dit, ça doit être vrai. »

Le conditionnement est là, un autre exemple dans un dialogue sur notre page Facebook : quelqu’un lance une question sur la misogynie dans le bouddhisme, et parmi les réponses, une femme répond : « mon lama m’a dit qu’il n’y a pas de misogynie dans le bouddhisme tibétain. » Donc, si « mon lama l’a dit, », il n’y a pas de problème…

Regardons d’un peu plus près les sources de cette autorité. Que ce soit dans le bouddhisme ou dans le christianisme, le fondateur n’a rien écrit, les textes de références ont tous été couchés sur le papier bien après la mort du maitre. Des études fouillées sur les sources existantes ont montré que, de leur vivant, le Bouddha comme le Christ ont été entourés de femmes disciples reconnues pour leurs réalisations spirituelles et qui ont diffusé leurs enseignements en enseignant elles-mêmes, et cela en dépit du fait qu’il s’agissait de sociétés patriarcales où les femmes étaient soumises au pouvoir masculin.

Après la mort du fondateur, l’enseignement s’est institutionnalisé, des conciles ont eu lieu. Chrétiens ou bouddhistes, ces conciles ont eu un point commun : les femmes en ont été écartées et la supériorité de l’autorité masculine monastique sur les nonnes et sur les laïques, hommes et femmes, a été établie par tous les moyens. Malgré leurs réalisations et leurs exploits sur le chemin spirituel, les femmes ont été reléguées à un rang subordonné. Pour qu’elles ne fassent pas concurrence au pouvoir des moines, les nonnes ont été interdites de célébration des rites. Pour justifier les interdits, des textes sur l’infériorité par « nature » des femmes, attribués au fondateur, ont été diffusés dans les communautés et transmis de moines à moines pendant des siècles.

moinestibetainsCette autorité des monastiques ne pourrait pas fonctionner si elle était seulement auto proclamée, mais ce sont les laïques elles-mêmes qui se tournent avec soumission vers quelqu’un qui va leur dire ce qu’elles doivent penser, ce qu’elles doivent croire, ce qui est bien, ce qui est mal.

Or justement, le Bouddha a réfuté l’autorité extérieure, il ne nous demande pas de croire mais d’essayer et de voir par nous-mêmes si ce qu’il a dit est vrai ou pas, c’est une pratique qui vise à nous faire grandir et à faire de nous des adultes et non des enfants obéissants à une autorité extérieure, quelle qu’elle soit.

L’obéissance aveugle à un dogme ne fait pas partie des préceptes du bouddhisme, l’adhésion à des règles de vie vient de la compréhension appliquée à chaque situation donnée et non d’une autorité extérieure qui nous dicterait, au nom d’une tradition – que le Bouddha lui-même a récusé –  ce qui serait « bien » ou pas.

La tradition n’est pas une garantie de vérité ou d’authenticité, nous avons déjà évoqué cette question dans le thème : impermanence et tradition. On peut véhiculer des clichés et des préjugés pendant des siècles, c’est même justement ce qui se passe tous les jours dans le monde.

moines2Lorsque des monastiques se consacrent pendant des années à « redresser leur esprit » (« Ce cœur vacillant, inconstant, difficile à garder, difficile à contrôler, le sage le rectifie comme le faiseur de flèches rend droite une flèche. » Dhammapada, 33), on peut raisonnablement les créditer d’une qualification dans ce domaine et leur demander conseil et guidance, mais cela vaut-il pour tous les autres domaines de l’existence ?

C’est bien là que se situe la question épineuse de l’autorité spirituelle. Le ou la monastique se retrouve crédité(e) d’une sorte d’omniscience dans tous les domaines et on va lui demander son avis sur des questions pour lesquelles il/elle n’a pas la moindre qualification.

moineszenOn voit cela tous les jours dans les médias qui interroge des prêtres catholiques en tant qu’autorités morales sur des questions pour lesquelles ils ne sont pas plus qualifiés que le commun des mortels, comme les soins en fin de vie, et surtout pour tout ce qui concerne la sexualité.

À l’automne 2015, des centaines d’évêques catholiques ont débattu pendant des semaines sur le thème de la famille, alors qu’eux-mêmes sont célibataires et n’auront jamais de famille, c’est surréaliste et pourtant on attend du pape, regardé comme l’autorité spirituelle par excellence, qu’il délivre un message de sagesse infaillible sur le sujet…

concilevatican2.2Cette autorité spirituelle auto déclarée repose uniquement sur l’adhésion des fidèles. Du jour où les fidèles n’accepteraient plus aveuglément cette autorité, elle n’existerait plus.

L’histoire montre néanmoins que l’autorité spirituelle, – toujours masculine – met en œuvre des moyens coercitifs pour obliger les laïques à suivre ce que eux-mêmes considèrent comme « la vérité ». L’Islam fanatique d’aujourd’hui en constitue un exemple aveuglant,  mais les religieux catholiques continuent eux aussi à exercer un pouvoir exorbitant qu’ils s’octroient sur la vie des autres, et particulièrement, – qui l’eut soupçonné ? – sur la vie des femmes ! Nous parlons ici d’une question qui ne concerne justement pas ces religieux, la question de la contraception et de l’avortement.

Que des ecclésiastiques jugent de la valeur « chrétienne » des différents moyens de contraception n’est-ce pas tout simplement risible ? Que des monastiques, chrétiens ou bouddhistes, s’arrogent le droit de juger et de condamner l’IVG – comme l’a fait récemment un tulku tibétain – alors qu’ils ne se trouveront jamais dans cette situation, n’est-ce pas moralement inacceptable ?

Au Salvador, pays catholique et l’un des pays les plus répressifs en matière d’avortement, des femmes sont condamnées à trente ou quarante ans de prison pour avoir avorté (même suite à un viol) ou fait une simple fausse couche.

Voir ici la vidéo d’amnesty International

voir plus sur Amnesty International

La société obéit aux diktats de prédicateurs ou de monastiques qui n’auront jamais à subir les conséquences de leurs positions. Derrière ces diktats, il y a le désir conscient ou inconscient  d’exercer un contrôle sur le corps des femmes et sur la reproduction.
Dans toutes les religions, l’autorité est masculine ainsi que l’accès aux textes dits sacrés. Dans toutes les religions, on trouve des interdictions édictées à l’encontre des femmes pour leur barrer l’accès aux fonctions de prestige et de pouvoir que les hommes s’octroient et se réservent, s’auto-déclarant des autorités spirituelles qui décident pour les femmes de ce qui est juste ou pas.

Beaucoup de femmes, y compris des monastiques, bouddhistes ou chrétiennes, acceptent sans discuter cette autorité  et, plus même, elles intériorisent ces interdits, les véhiculent  et assurent la pérennité de ce pouvoir sur leur vie et sur celle d’autres femmes.

Qu’il s’agisse de monastiques hommes ou de monastiques femmes, ils et elles n’ont pas de compétence sur la vie de famille, sur la relation de couple, sur la contraception et sur l’IVG.

Si certain.e.s monastiques ont vécu une vie de famille pendant des années, ont eu des enfants, ont travaillé pour gagner leur vie et cela, avant de devenir monastiques, alors peut-être ont-elles.ils  des compréhensions à partager, mais si ces monastiques n’ont jamais connu cette situation, qu’ils.elles ont pris la robe dès l’enfance ou très jeunes, alors n’est-il pas plus raisonnable pour elles.eux de se cantonner à des questions qui relèvent de leur compétence : maitriser le mental, gérer les émotions et méditer sur les enseignements du Bouddha ?

Lorsqu’il s’agit des expériences méditatives qu’ils.elles ont connues, les monastiques peuvent être des autorités reconnues, mais quand il s’agit de domaines étrangers à leur propre expérience, il est clair que toute pratiquante doit se souvenir des paroles du Bouddha dans le Kalama Sutra – paroles qui sont le credo de Bouddhisme au féminin ! :

“Ne croyez pas sur la foi des traditions quoiqu’elles soient en honneur depuis de nombreuses générations et en beaucoup d’endroits ; ne croyez pas une chose parce que beaucoup en parlent ;
ne croyez pas sur la foi des sages des temps passés ;
ne croyez pas ce que vous vous êtes imaginé, pensant qu’un dieu vous l’a inspiré.
Ne croyez rien sur la seule autorité de vos maîtres ou des prêtres.
Après examen, croyez ce que vous-même aurez expérimenté et reconnu raisonnable, qui sera conforme à votre bien et à celui des autres.”