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Etre bouddhiste quand on est parent, cela fait-il une différence ?

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Est-ce que le fait d’être bouddhiste change notre regard sur nos enfants ?
La perspective bouddhiste nous donne-t-elle des outils pour être parent ? Peut-on utiliser notre rôle de parent (ou de grand parent) comme une pratique spirituelle ?

Nous avons oublié ce que nous ressentions en tant qu’enfant. Nous avons oublié ce que c’est que d’être dépendant de géants au comportement imprévisible, magique, incompréhensible, rassurant ou inquiétant.

Par un conditionnement inconscient nous reproduisons les schémas de nos parents. Nous voulons que nos enfants se conforment à un modèle produit par la société dans laquelle nous vivons et si nous sommes complimentés sur nos enfants c’est une image de ‘’ bons parents ‘’ satisfaisante qui nous est renvoyée. Nous nous sentons le droit et le devoir d’exercer une certaine contrainte sur nos enfants et même parfois d’user de la force si nécessaire. L’enfant doit obéir « pour son bien », la relation d’autorité et de pouvoir semble aller de soi.

La puissance de notre conditionnement, la  façon dont nous reproduisons les schémas de nos parents, nos préjugés, nos réactions automatiques, l’ignorance de la manière dont l’autre fonctionne, dont il sent les choses, c’est tout cela qui fait du monde ce qu’il est.

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Si le rapport à l’enfant et l’éducation ont évolué ces dernières années, nous le devons à plusieurs pionnières, en particulier à Françoise Dolto. On peut dire qu’en France il y a eu un avant Dolto et un après Dolto ; c’est la référence en la matière.

Elle a défendu l’idée que l’enfant est un sujet à part entière dès son apparition dans ce monde. Capable de comprendre ce qui le concerne, il se vit comme un sujet qui n’a pas d’âge : « l’enfant ne sait pas qu’il est un enfant. Le sujet n’est pas dans le temps, le langage n’est pas dans le temps » (voir son ouvrage : Tout est langage)

Le tout jeune enfant n’est pas un simple tube digestif, n’éprouvant et ne comprenant rien comme le considéraient les scientifiques jusqu’assez récemment. (La souffrance physique du nouveau né était même ignorée au point qu’il n’y a pas si longtemps, on opérait les nourrissons sans anesthésie.)

L’approche de Françoise Dolto est tout à fait en accord avec le bouddhisme qui enseigne la réincarnation. Les constituants psychiques du sujet existaient avant de se manifester dans ce corps. Il n’est donc pas un terrain vierge. En plus de l’héritage génétique de ses parents et de l’influence du milieu dans lequel il va être élevé, il s’éveille à cette nouvelle incarnation après d’autres vies qui ont laissé des traces en lui.

Voir en l’être qui vient de naître un individu autonome et différent de soi grâce à la compréhension du fait que cet être a un passé antérieur à ce corps est incontestablement une aide pour laisser un espace entre ce nouvel être et le parent.

Françoise Dolto a montré par la pratique tout au long de sa carrière que le besoin premier de l’enfant est de communiquer avec son entourage, qu’il a faim de contact et de parole pour exister en tant que sujet. Elle a pointé cette importance vitale de mettre des mots sur ce qui est vécu, d’humaniser une expérience en la mettant en parole.

 

Dans la continuation de Dolto, Isabelle Filliozat a formalisé son expérience de thérapeute et de parent dans plusieurs ouvrages dont : Au coeur des émotions de l’enfant qui donne des clés importantes aux nouveaux parents. (plus de 50 commentaires sur Amazon)
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« L’enfant envoie des messages à ses parents pour leur dire ce dont il a besoin. Les parents peuvent comprendre leur enfant et avoir une attitude juste envers lui pour autant qu’ils n’obéissent pas de manière automatique à des principes éducatifs, qu’ils ne soumettent pas aveuglément leur jugement aux « experts », qu’ils ne soient pas enfermés dans des schémas rigides issus de l’éducation qu’ils ont reçue ou ne restent pas encore trop blessés par leur propre histoire. »

Ce qui est significatif dans cette approche, c’est l’importance pour le parent d’être attentif, de ne pas réagir de façon automatique aux comportements de l’enfant, d’essayer d’en trouver la clé, cela demande le développement d’une attention dans l’instant, c’est une véritable pratique de retour au présent.
Et les difficultés qu’on va inévitablement rencontrer à un moment ou à un autre avec les enfants sont des occasions pour devenir plus conscients, autrement dit d’introduire de la conscience et de la vigilance là où généralement il n’y a que réactions.

« Comment entendre les émotions qui animent les enfants ? Ecoutons nos enfants pour qu’ils sachent écouter, respectons-les et ils sauront respecter autrui. Acceptons de sentir et de libérer notre propres émotions, nous ne projetterons plus nos souffrances sur nos enfants et saurons accepter leurs pleurs.
Se préoccuper des émotions est quelque chose de très nouveau. Respecter les enfants et les considérer comme des personnes est aussi quelque chose de très nouveau. »

 

Dans la même approche de respect de l’enfant en tant que personne, ce qui en veut nullement dire permissivité, il faut recommander l’ouvrage Parents efficaces le grand classique du Docteur Gordon (plus de 40 commentaires sur Amazon) qui a aidé des centaines de milliers de parents et d’enfants à mieux se comprendre et à vivre ensemble, ce livre traduit dans de nombreuses langues montre que cette approche de la relation parents/enfants n’est pas culturelle, qu’il y a là une valeur universelle.
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Le problème majeur de la relation parents/enfant est qu’elle se situe dans une relation de pouvoir : si le pouvoir est du coté du parent, le parent gagne et l’enfant perd, si le pouvoir est du côté de l’enfant, le parent perd et l’enfant gagne. Comment sortir de cette dualité ? c’est toute la méthode du docteur Gordon, établir une relation sans perdant, pratiquer l’écoute active de l’enfant, ne pas le bombarder de conseils moralisateurs, d’ordres préremptoires, de reproches, voire de paroles blessantes, entendre ses besoins, exprimer ses propres besoins, établir un dialogue basé sur un respect mutuel.

Thomas Gordon met au jour toutes les différentes formes de conflits que nous avons pu connaître avec nos parents lorsque nous étions nous-mêmes enfants en soulignant l’action négative des « messages-tu dois » qui n’ont contribué qu’à renforcer notre entêtement et notre rigidité face aux ordres que nous recevions.
Ajoutons que la méthode de Thomas Gordon dépasse le cadre des relations familiales parent(s)/enfant(s) pour embrasser celui des relations époux/épouse ainsi que patron/employé(e). C’est tout une révolution positive des rapports humains qui nous est proposée dans les pages de ce livre et qu’il ne tient qu’à nous de faire vivre…pour le bénéfice, le développement et l’équilibre de chacun.

Gordon nous donne des clés qui devraient nous sembler évidentes et qui en fait ne le sont pas. Traitons nos enfants comme nous aimerions être traités. Cela peut paraitre évident, mais dans la pratique, ça ne l’est pas. Par exemple, soyons aussi polis avec eux que nous voulons qu’ils le soient avec les autres.
En fait, cela demande une grande vigilance pour casser les comportements déjà établis, qu’on a reçu de ses propres parents avec tous les préjugés qui vont avec (du genre: une bonne fessée, ça ne peut pas faire de mal !)

Le sujet des punitions, fessées et autres humiliations renvoie à une troisième pionnière, Alice Miller, qui a montré les terribles conséquences de la violence éducative ordinaire, amenant les enfants à nier leurs propres sentiments, et les poussant de façon compulsive à reproduire une fois adulte cette violence sur leurs propres enfants, et c’est ainsi que la souffrance et ses racines qui plongent dans l’ignorance se perpétuent.

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Si l’enfant, dès sa naissance est regardé comme un être humain autonome auquel est dû le même respect qu’à l’adulte, alors l’arsenal des punitions et des récompenses devient inutile, mais cela nous demande un véritable déconditionnement et d’avoir confiance dans la capacité de l’enfant à imiter spontanément l’adulte. À nous de faire que le modèle proposé – c’est-à-dire ce que nous sommes – soit en accord avec ce que nous savons être souhaitable pour lui et pour nous.

Attentif à l’autre, présent à ce qu’il veut nous dire, dans le respect de son être et dans la non-violence intérieure et extérieure, c’est une parentalité qui est complètement en accord avec l’enseignement du Bouddha.

« Il n’est pas vrai, écrit Alice Miller, que le mal, la destruction, la perversion fasse nécessairement partie de l’existence humaine, même si on le répète sans arrêt. Mais il est vrai que le mal se reproduit sans cesse, et qu’il engendre pour des millions d’êtres humains un océan de souffrance qui pourrait aussi être évité. Lorsque sera levée l’ignorance résultant des refoulements de l’enfance, et que l’humanité sera réveillée, cette production du mal pourra prendre fin. »

Elle souligne que l’urgence c’est la prise de conscience des conséquences que les gestes et paroles des adultes — parents, et éducateurs — ont sur les enfants.

On frappe quand les mots ne suffisent plus. On humilie quand on a le pouvoir, qu’on veut l’affirmer et qu’on se plaît à disqualifier l’autre. C’est vrai dans la relation à un enfant mais également dans certaines relations adultes du quotidien.

Cette prise de conscience concerne bien tous les citoyens, bien au-delà de la fessée familiale dite éducative. Les textes et la pratique clinique d’Alice Miller sont des références indispensables à la réflexion et au changement d’attitude et de mentalité.

La violence éducative ne se limite pas aux violences physiques. Notre relation avec les enfants est souvent telle que nous trouvons normal de les traiter, verbalement et psychologiquement, comme nous ne traiterions pas les adultes et les personnes âgées et, plus précisément encore, comme nous supporterions très mal d’être traités nous-mêmes, surtout par quelqu’un de proche et qui dit nous aimer.

Comment supporterions-nous (ou supportons-nous !), par exemple, que notre conjoint ou conjointe nous menace de nous punir, nous sermonne, nous fasse la morale, nous critique, nous injurie, se moque de nous, nous compare à d’autres de façon désobligeante, etc. ? Or, qui n’a connu cela dans son enfance ? Et qui ne l’a fait plus ou moins subir à ses enfants ?

C’est parce que nous avons presque tous subi ces traitements que nous trouvons normal de les infliger aux enfants.

Autrement dit, ce qui est nécessaire, c’est un changement de regard sur les enfants, changement qui ne peut probablement s’effectuer qu’à condition de changer notre propre regard sur l’enfant que nous avons été. C’est le plus souvent parce que nous avons fait nôtre le mépris subi dans notre enfance que nous ne voyons plus ce qu’il y a d’anormal dans tous ces comportements à l’égard des enfants.

L’Observatoire de la violence éducative ordinaire créé par Olivier Maurel a pour but de faire prendre conscience aux parents mais aussi à la société toute entière de l’importance et des conséquences de la violence éducative ordinaire, une démarche qui a pris sa source dans les travaux d’Alice Miller. Il est lui-même auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet.

Extrait d’un article d’Olivier Maurel publié dans Bio contact :

« Aucun comportement inné de l’enfant ne le prépare à être agressé par sa mère ou son père qui  sont sa base de sécurité. Un enfant agressé par une tierce personne peut crier pour appeler sa mère ;  s’il est assez grand, il peut courir se jeter dans ses bras. Mais un enfant agressé par sa mère ou son père, même si cette agression se limite à une tape, une gifle ou une fessée, ressent cette situation  d’isolement comme une situation de danger. Tout son corps sait qu’il ne peut pas survivre seul. Et  la relation de confiance établie avec ses parents est pour lui vitale. Attaqué par ceux qui assurent sa survie, ce que son corps éprouve, c’est angoisse et stress.

Nous croyons en général qu’une gifle ou une fessée dissuade simplement l’enfant de reproduire  un comportement répréhensible. Mais le message idéologique qu’une gifle ou une fessée envoie à un enfant est bien plus complexe  et plus destructeur. Parce que nous sommes les modèles de nos enfants, une gifle ou une fessée  inculque en un seul geste et d’un seul coup (c’est le cas de le dire !) une formidable leçon  d’immoralité et d’antidémocratie.

Elle leur apprend en effet que :
– Quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un, on a le droit de le frapper, même si on l’aime.
– Quand on est grand et fort, on a le droit de frapper les êtres petits et faibles.
– Quand quelqu’un vous frappe ou vous menace, il faut se soumettre à lui.
– La violence est un mal mais c’est aussi un bien, puisque c’est “pour son bien” qu’on frappe  l’enfant.

De telles maximes ne peuvent que dérégler la boussole intérieure d’un enfant et lui rendre difficile  la distinction du vrai et du faux, du bien et du mal. Elles le rendent vulnérable à toutes les  propagandes, au prestige des caïds de quartier ou des prédicateurs de terrorisme.  Faire violence aux autres “pour le bien” d’un parti, d’une religion, d’une nation ou pour son propre  bien lui paraîtra normal : c’est ce que ses modèles lui ont appris pendant les années où son cerveau  se formait. Et il pourra aller très loin dans la violence, parce qu’un autre effet de la violence éducative est de  détériorer le sens de l’empathie.

Le résultat minimum presque garanti de la violence éducative, si nous ne l’avons pas  identifiée comme un mal, c’est de nous rendre aveugles à nos propres contradictions parce que cette  violence a perturbé notre sens moral et notre sens de la logique.  Ainsi, nous serions outrés si un policier nous giflait pour une infraction au code de la route.  Pourtant, nous giflons les enfants pour des actes bien moins graves que nos infractions. De même,  nous serions outrés si, dans une maison de retraite, nous voyions un membre du personnel gifler une  pensionnaire qui, en raison de son âge et de la détérioration de son cerveau, refuse de manger ou de  se laver. Pourtant, les comportements de nos enfants sont aussi dus à leur âge et à l’immaturité de  leur cerveau.

Et il n’est pas nécessaire d’être gravement maltraité pour tomber dans cette contradiction. L’enfant victime de banales gifles et fessées dès son plus jeune âge ne voit plus ensuite ce qu’il y a d’anormal à frapper les enfants car sa tolérance à l’égard de la violence s’est accrue.

Prendre conscience de cette contradiction et des dégâts causés par la violence éducative peut agir sur l’avenir du monde. Depuis des millénaires, les êtres humains ont été soumis, au moment où leur cerveau se formait, à des violences dont la forme la plus courante était la bastonnade. Le neurobiologiste, Antonio Damasio, m’a personnellement confirmé que nos violences, très supérieures à celles dont les animaux sont capables sur leur propre espèce, peuvent avoir leur source dans ces traitements infligés aux enfants.

Interdire toute forme de violence éducative et aider les parents à adopter des méthodes d’éducation sans violence est donc probablement la plus sûre façon de réduire la violence humaine. »

Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même.
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain,
que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d’être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.

Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s’attarde avec hier.

Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes,
sont projetés.
L’Archer voit le but sur le chemin de l’Infini,
et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l’Archer soit pour la joie ;
Car de même qu’Il aime la flèche qui vole, Il aime l’arc qui est stable.

Khalil Gibran (Le Prophète)

                            

 

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