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Jésus vu par un regard bouddhiste par Ajahn Candasiri

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Ajahn Candasiri nous fait part de son regard bouddhiste sur Jésus et sur sa conviction que la souffrance de Jésus est illustrée dans de nombreux enseignements bouddhistes.

Ajahn Candasiri est une nonne senior au monastère bouddhiste d’Amarâvatî dans le Hertfordshire dans la tradition des monastiques de la forêt.

« Sa Sainteté le Dalaï Lama, parlant à un public réceptif dans l’Albert Hall en 1984 unit instantanément ses auditeurs avec un simple énoncé: «Tous les êtres veulent être heureux, ils veulent éviter la douleur et la souffrance. » J’ai été impressionnée par la façon dont il avait réussi à toucher ce que nous partageons toutes et tous en tant qu’êtres humains. Il a affirmé notre humanité commune, sans pour autant rejeter les différences évidentes.

Lorsque j’ai été invitée à regarder Jésus avec des yeux bouddhistes, j’avais imaginé que j’utiliserai une approche de comparaison et de différence, un peu comme un essai scolaire. J’ai grandi en tant que chrétienne et je me suis tournée vers le bouddhisme au début de ma trentaine, alors bien sûr j’ai des idées sur les deux traditions: celle dans laquelle j’ai grandie et dont je me détournais, et celle que j’ai adoptée et que je continue à pratiquer. Mais après avoir relu quelques-unes des histoires de l’Évangile, j’ai voulu rencontrer Jésus à nouveau avec des yeux neufs, et examiner dans quelle mesure lui et le Bouddha offraient en fait le même enseignement, même si les traditions du christianisme et le bouddhisme peuvent apparaître assez différentes en surface.

Quelques mots sur la façon dont j’en suis venue à être une nonne bouddhiste :

Après avoir essayé avec sincérité à approcher mon cheminement chrétien d’une manière qui ait du sens dans le contexte de la vie quotidienne, j’avais atteint un point de profonde lassitude et de désespoir. J’étais fatiguée de la complexité apparente de tout cela ; le désespoir avait surgi parce que je n’avais pas réussi à trouver un moyen de travailler avec les états défavorables qui surgissaient spontanément dans l’esprit: l’inquiétude, la jalousie, la mauvaise humeur, et ainsi de suite. Et même des états positifs pouvaient basculer et se transformer en fierté ou en orgueil, ce qui était bien entendu également indésirable.

Finalement, j’ai rencontré Ajahn Sumedho, un moine bouddhiste d’origine américaine, qui venait d’arriver en Angleterre après une formation de dix ans en Thaïlande. Son maitre était Ajahn Chah, un moine thaïlandais de la Tradition forêt qui, en dépit de son peu d’éducation formelle, a gagné le cœur de milliers de personnes, y compris un nombre important d’Occidentaux. J’ai participé à une retraite de dix jours au Centre bouddhiste Oakenholt, près d’Oxford, et j’étais à l’agonie, assise sur un tapis sur le plancher de la salle de méditation pleine de courants d’air, avec environ 40 autres retraitants de différentes formes et tailles. En face de nous était Ajahn Sumedho, qui a présenté les enseignements et nous a guidés dans la méditation, avec trois autres moines.

Ce fut un moment décisif pour moi. Bien que l’expérience ait été extrêmement difficile – à la fois physiquement et émotionnellement – je me suis sentie extrêmement encouragée. Les enseignements étaient présentés dans un style merveilleusement accessible, et me semblaient relever du bon sens. Il ne m’est pas venue à l’idée que c’était du «bouddhisme». En outre, ces enseignements étaient extrêmement pratiques et comme pour le prouver, nous avions, directement en face de nous, des professionnels – des gens qui avaient pris l’engagement de vivre ces enseignements vingt-quatre heures par jour. J’étais totalement fascinée par les moines: par leurs robes et leur tête rasée, et par ce que j’entendais de leur mode de vie de renonçant, avec ses 227 règles à suivre. J’ai vu aussi qu’ils étaient détendus et heureux – c’était peut-être la chose la plus remarquable, et même un peu déroutante, à leur sujet.

Je me suis sentie profondément attirée par ces enseignements, et par la vérité qu’ils pointaient : la reconnaissance du fait que, oui, la vie est fondamentalement insatisfaisante, nous éprouvons de la souffrance ou du mal-être, mais il existe un moyen qui peut nous conduire à la fin de cette souffrance. En outre, bien que l’idée ait été assez choquante pour moi, j’ai senti s’éveiller en moi un désir de faire partie d’une communauté monastique.

Alors maintenant, après plus de vingt ans en tant que nonne bouddhiste, qu’est-ce que je trouve quand je rencontre Jésus dans les récits de l’Évangile?

Eh bien, je dois dire qu’il apparaît comme beaucoup plus humain que dans mon souvenir. Bien qu’on parle beaucoup de lui en tant que fils de Dieu, cela ne semble pas aussi important que le fait qu’il soit une personne – un homme d’une grande présence, avec une énergie et une compassion énorme, et des pouvoirs psychiques importants.

Il a également une grande capacité pour transmettre des vérités spirituelles sous forme d’images, en utilisant des choses les plus quotidiennes pour illustrer les points qu’il souhaite exposer : du pain, des champs de blé, du sel, des enfants, des arbres. Les gens ne comprennent pas toujours sur le moment, mais se retrouvent avec une image à méditer. Aussi, il a une mission – de ré-ouvrir le chemin de la vie éternelle; et il est tout à fait intransigeant dans son engagement pour, comme il le dit, « réaliser la volonté de son Père ».

Son ministère est court mais mouvementé. Quand j’en lis le récit à travers Marc, je me sens fatiguée quand j’imagine les demandes incessantes sur son temps et sur son énergie. C’est un soulagement de trouver une référence occasionnelle où il a du temps seul ou avec ses disciples immédiats, et de lire comment, comme nous, il a parfois besoin de se reposer.

Une histoire que j’aime beaucoup est celle où, après une journée fatigante à donner des enseignements à une foule immense, il s’est endormi dans le bateau qui l’emmène avec ses proches disicples sur la mer. Son calme en réponse à la violente tempête qui éclate quand il dort, je trouve utile d’y penser quand les choses sont turbulentes dans ma propre vie.

Je me sens très touchée par le drame de sa vie; il y a une chose après l’autre. Les gens l’écoutent, aiment ce qu’il a à dire (ou dans certains cas, sont perturbés ou irrités par ses paroles) et sont guéris. Ils ne peuvent pas se lasser d’entendre ce qu’il a à partager avec eux. Je suis touchée par sa réponse aux 4000 personnes qui, après avoir passé trois jours avec lui dans le désert en écoutant son enseignement, sont fatigués et affamés. Réalisant cela, il utilise ses dons psychiques pour multiplier des pains et des poissons afin que tous aient à manger.

Jésus meurt jeune. Son ministère commence quand il a autour de trente ans (j’aurai aimé en savoir plus sur la formation spirituelle qu’il a sans doute reçue avant cette date), et se termine abruptement quand il a seulement trente-trois ans. Heureusement, avant la crucifixion, il est en mesure d’instruire ses disciples immédiats par un rituel simple par lequel ils peuvent réaffirmer leur lien avec lui et entre eux (je parle, bien sûr, de la dernière Cène) – fournissant ainsi un support central à la dévotion et à la nourriture spirituelle de ses disciples, jusqu’à notre époque.

J’ai l’impression qu’il ne désire pas particulièrement convertir les gens à sa façon de penser. Il s’agit plutôt d’enseigner ceux qui sont prêts ; ce qui est intéressant, c’est que souvent les gens qui le cherchent sont issus de milieux très modestes ou débauchés. Il est tout à fait clair que, pour Jésus, la pureté est une qualité du cœur, pas quelque chose qui vient d’une adhésion inconditionnelle à un ensemble de règles morales.

Sa réponse aux pharisiens quand ils critiquent ses disciples pour avoir omis de respecter les règles de pureté autour du repas exprime parfaitement cela: « Il n’y a rien venant de l’extérieur qui puisse souiller un homme » – et à ses disciples, il est tout à fait explicite pour ce qui concerne la nourriture consommée. « Au contraire, c’est de l’intérieur du cœur que viennent les souillures. » Malheureusement, il n’explique pas ce qu’il faut faire à ce sujet.

Ce que nous connaissons de ses dernières heures : le procès, les railleries, l’agonie et l’humiliation d’être déshabillé et cloué sur une croix pour mourir – est un récit extraordinaire de patience, de volonté de supporter l’insupportable sans aucun sentiment de culpabilité ou de malveillance. Cela me rappelle une comparaison utilisée par le Bouddha pour démontrer la qualité de metta, ou bienveillance, qu’il attendait de ses disciples: «Même si les voleurs vous attaquent et vous coupent les membres un à un, si vous cédez à la colère, vous ne suivez pas mes conseils « . Un défi de taille, mais que clairement Jésus a accompli à la perfection: « Père, pardonne-leur car ils ne savent ce qu’ils font. »

Source : BBC religions – Traduction Bouddhisme au féminin

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