Accueil Articles - Nouvelles des numeros precedents La place des nonnes dans le boudhisme Théravada

La place des nonnes dans le boudhisme Théravada

PARTAGER

SriLanka1 Nous terminons notre tour d’horizon de la place des nonnes dans le bouddhisme par le Théravada. Rappelons pour mémoire que ce mot de Théravada signifie la voie des anciens, c’est-à-dire ceux qui se reconnaissent comme les continuateurs directs de la voie enseignée par le Bouddha historique, cette voie est parfois appelée « hinayana » par les autres courants du bouddhisme, un mot signifiant « petit véhicule » et qui implique une connotation péjorative. Nous resterons donc avec le mot Théravada.

Cette branche du bouddhisme est relativement peu médiatisée en France, bien qu’en nombre les pratiquants soient plus nombreux que les autres branches, car elle regroupe des communautés provenant du sud est asiatique (principalement Birmanie, Thaïlande, Laos, Cambodge, Sri Lanka) et implantées en France depuis quelques décennies. Le Théravada s’est largement implanté dans d’autres pays Occidentaux, notamment aux Etats Unis, mais il s’agit principalement de centres dirigés par les laïcs, alors qu’en Asie, la voie des Anciens est principalement monastique.

Dans son ouvrage Rencontres avec des femmes remarquables, Martine Batchelor évoque le statut des nonnes dans le bouddhisme sous forme du résumé suivant : Les nonnes coréennes sont les égales des moines à 90%, les nonnes japonaises à 60%, les Taïwanaises à 85%, les Thaïs à 15%, les Tibétaines à 45%.

Revenons aux sources du bouddhisme, en particulier à la fondation de l’ordre des nonnes. D’après les écritures, le Bouddha refusa d’abord à Mahapajapati, la femme qui l’avait élevé et soeur de sa propre mère morte à sa naissance, d’accepter des femmes dans la communauté monastique. Puis, sur l’insistance d’Ananda qui prit leur défense, il y consentit, mais en y mettant huit conditions que Mahapajapati fut contrainte d’accepter.

(Lire plus dans cet article)

Si les moines observaient 217 règles, les nonnes de leur côté devaient se conformer à 311 préceptes dont les Huit Grandes Conditions. Ces Huit Grandes Conditions dont l’acceptation a été la condition préalable à l’ordination de Mahapajapati et à l’établissement de l’ordre des nonnes étaient :
1. Une nonne, quand bien même elle serait ordonnée depuis cent ans, doit, devant tout moine, quand bien même il serait ordonné du jour même, le saluer respectueusement, se lever en sa présence, s’incliner devant lui et lui rendre tous les honneurs qui lui sont dus.
2. Une nonne ne doit pas passer la saison des pluies dans une region ou ne séjournent pas de moines.
3. A chaque demi-lune, une nonne doit s’adresser à l’ordre des moines en vue de deux choses : la date de la cérémonie uposatha, et le moment auquel les moines vont dire la prédication de l’Enseignement.
4. A la fin de la retraite de la saison des pluies, les nonnes doivent tenir pavarana devant les deux sanghas, celle des moines et celles des nonnes, pour savoir si aucune faute n’a été commise en fonction de ce qui a été vu, entendu ou suspecté à leur propos.
5. Une nonne qui s’est rendue coupable d’une faute grave doit se soumettre à la discipline marlatta devant les deux sanghas, celle des moines et celle des nonnes.
6. L’ordination majeure (l’initiation upasampada) ne peut être sollicitée devant les deux sanghas que lorsqu’une novice a observé pendant deux ans les six préceptes (les cinq premiers préceptes plus le précepte qui impose de ne prendre qu’un repas par jour avant midi).
7. En aucun cas il n’est permis à une nonne d’injurier ou d’insulter un moine.
8. Les nonnes n’ont pas le droit de réprimander les moines ; il n’est pas interdit aux moines de réprimander les nonnes.


Il est clair qu’un ordre monastique qui s’appuie sur les règles exposées ci-dessus ne peut pas fournir aux femmes les meilleures conditions pour leur libération. Néanmoins, dans les premiers temps du bouddhisme, si grand était leur désir d’atteindre l’Eveil qu’en dépit de ces obstacles, nombreuses ont été celles qui ont atteint le but, c’est-à-dire la condition d’arahant.

Voir à ce sujet le livre de Susan Murcott sur les premières femmes bouddhistes et dont le titre français « Bouddha et les femmes » ne rend pas compte du contenu. Voir l’ouvrage présenté avec un commentaire de notre part.

Au fil du temps, les conditions historiques et culturelles changeant, dans tous les pays de traditions Théravada, l’ordre des nonnes disparut. Celles qui souhaitaient s’engager dans une pratique avaient donc un statut non reconnu et n’étaient pas soutenues dans leur pratique comme les moines.

Quelle est la situation actuelle ?

Dans les pays Théravada, des femmes qui se tournent vers la vie monastique et font vœu de suivre des règles en nombre variable, vivent soit en communauté, soit isolément. Elles sont appelées anagarikas (errantes) ou thilashins (morales) au Myanmar(Birmanie), dasasilmatas (errantes) à Sri lanka et maechis en Thaïlande, et portent des robes de couleur différente selon la région.

Thailand1

Dans la plupart des pays, leur statut est incertain car elles n’appartiennent à aucune des quatre catégories du grand sangha défini par le Bouddha (moines et moniales, laïcs des deux sexes). Elles ne reçoivent, contrairement aux moines, aucune assistance de l’État, et très peu des laïques qui préfèrent soutenir les moines confirmés. Ainsi, les maechis thaïlandaises, au nombre de 14 700 en 1997, se trouvent-elles à la fois dépourvues du droit de vote comme les moines, mais privées par les autorités bouddhiques du droit d’enseigner le dharma et d’accomplir des rituels. Les nonnes theravada ayant reçu une formation et tournées vers le service social trouvent plus facilement un soutien en fondant des écoles maternelles, des jardins d’enfants ou des centres d’assistance pour les femmes. Celles qui voudraient se concentrer sur la pratique religieuse rencontrent par contre beaucoup de difficultés. Elles vivent indépendantes dans un grand dénuement, ou deviennent dépendantes des temples où elles rendent des services d’intendance. Le manque de statut officiel fait qu’il est facile à des mendiantes de se faire passer pour des nonnes, rabaissant encore leur image.

C’est la situation contre laquelle s’éleva Ayya Khema que nous célébrons dans ce numéro et qui, en fondant une communauté monastique internationale de nonnes au Sri Lanka, contribua à faire changer la situation dans ce pays. Elle est également, avec deux autres nonnes, à l’origine de l’association internationale des nonnes bouddhistes qui s’est dénommée : Sakyadhita (les filles du clan des Sakya, autrement dit, les filles du Bouddha)

birmanie

Depuis sa création en 1998, l’association a mené des actions pour redonner aux nonnes de la tradition Théravada (et aussi de la tradition tibétaine) les conditions d’une ordination complète, notamment en organisant une cérémonie d’ordination supérieure à Bodh Gaya  en amenant des bhiksunis de Corée et de  Taiwan.  Ainsi 30 nonnes Sri Lankaises devinrent bhiksunis en 1998. Il y a à présent plus de 400 bhiksunis au Sri Lanka.

En Thaïlande, les femmes qui ressentent une vocation religieuse prennent 5 ou 8 préceptes et portent des habits blancs. Elles ne sont pas considérées comme des nonnes au même titre que les moines.  Depuis que l’Institut des Nonnes Thaï a été crée en 1969, les nonnes ont commencé à s’organiser pour étudier et méditer. 

En 1956, après une vie bien remplie, Voramai Kabilsingh reçut à Taiwan une première ordination de nonne et en 1971 elle reçut l’ordination complète.  Elle décida de porter les vêtements jaunes qui la distinguait des maechis en tant que nonne pleinement ordonnée et fut très critiquée par la hiérarchie monastique masculine thaï.


Sa fille, Chatsumarn Kabilsingh, un éminent professeur spécialiste des questions féminines et des préceptes bouddhiques, suivit son exemple et reçut la première ordination à Ceylan en 2001 et l’ordination supérieure en 2003 du nouvel ordre des bhiksunis qui venait juste de se former.  Maintenant elle porte des habits marrons.  Leur action a créé un grand débat à tous les niveaux de la société Thaïlandaise : gouvernement, medias et hiérarchie bouddhiste.

Un article publié dans le monde des religions sur Chatsurman Kabilsingh devenue la nonne Dhammananda.

Un article sur les difficultés d’ordination de Dhammarakita Samaneri, toujours en Thaïlande (après Dhammananda).

Chatsurmarn Kabilsingh est également l’auteure d’un ouvrage « Thaï women in Buddhism« . Nonne birmane Bouddhisme au femininOn le voit, la position des nonnes dans la tradition Théravada est l’objet de nombreuses réflexions, de nombreuses actions et est en pleine mutation. Les choses bougent, y compris une remise en cause des textes bouddhiques eux-mêmes pour en finir avec des propos dont l’intolérable sexisme ne peut être nié et que l’on ne peut justifier simplement en les référant à la situation des femmes en Inde à cette époque.

D’ailleurs, de nombreux moines occidentaux sont tout à fait surpris et gênés de trouver le genre de propos cités plus haut et supposés avoir été tenus par l’être qui a atteint l’Eveil Suprême faisant de lui un Bouddha. Il faut rappeler que le Bouddha n’a lui-même jamais rien écrit, que les textes du canon pâli ont été recueillis et transmis par des moines faisant voeu de célibat, sans aucun doute troublés par les puissantes exigences de la nature en eux et qui, comme des moines chrétiens, risquaient de ne voir les femmes que comme des tentatrices et non comme des êtres humains aspirant, comme eux à la libération.

Tout au long des années où le Bouddha a enseigné, il n’a cessé d’insister sur le caractère éphémère de toutes choses, y compris des règles qu’il promulguait et qu’il a changé selon les circonstances. Rappelons-nous le Kalama sutra dans lequel il exhorte les habitants du village de Kalama à ne rien croire aveuglément.

Il est temps pour les nonnes de la tradition Théravada de se libérer de règles injustes et de montrer, s’il en était besoin, qu’elles sont en tout point égales aux moines.

L’actuelle présidente de l’association Sakyadhita, la Vénérable Karma Lekshe Tsomo souligne que « L’ordination est une opportunité que peu de femmes vont choisir, mais l’accès à une complète ordination est symbolique de quelque chose de beaucoup plus large. Si les femmes sont des novices à vie, sans aucun espoir d’accéder à une ordination complète, elles peuvent être d’excellentes pratiquantes, mais psychologiquement, elles seront appesanties par l’idée erronée que de toutes façons, elles ne sont pas assez bonnes.
Si les moines sont révérés dans un pays, parce qu’ils appartiennent à la Sangha, mais qu’il n’y a aucune femme dans la Sangha, ceci envoie le message que les femmes sont d’une façon ou d’une autre inadéquates. Elles ne sont pas marginalisées, elles ne figurent tout simplement pas dans le tableau… ».d76

Témoignage : Dans les années quatre-vingt, aux Etats-Unis, une nonne occidentale de la tradition du Théravada, Dhammadina vivait aux cotés de son maitre birman, avec une communauté exclusivement masculine, faute d’une communauté de nonnes à laquelle se joindre. Bien évidemment elle était tenue de respecter les règles évoquées plus haut. Voici quelques mots sur des moments douloureux qu’elle vécut et qu’elle confia à Sandy Boucher (publiés dans l’ouvrage de celle-ci sur le bouddhisme aux Etats-Unis : Turning the Wheel):

« L’autre jour, Taungpulu Sayadaw décida de faire une petite réunion de questions/réponses sur le Dharma, comme personne d’autre n’était encore arrivée, je m’assis devant. Au fur et à mesure que les moines temporaires arrivaient, il me fit signe de me reculer, indiquant que les moines devaient avoir les premières place. Bien que je sois plus détachée de ce genre de situation que par le passé, il y a toujours en moi une blessure que je n’ai pas réussi à guérir. Au quotidien, j’ai rarement des problèmes avec les moines (99% sont birmans). Notre relation est de personne à personne, de moines à nonne, de yogis à yogi. Le célibat supprime beaucoup de toutes ces histoires habituelles homme-femme. Personne ne montre de condescendance à mon égard. ils me traitent avec le même respect que celui que je leur montre. Ces conventions profondément sexistes semblent parfois transparentes et sans signification, et parfois elles peuvent être très pénibles à supporter.
Quand je vois les moines se préparer pour une ordination, il y a beaucoup d’attente et d’excitation. c’est l’initiation à l’ordre sacré, l’ordre des moines bouddhistes vieux de 2500 ans. Ils portent le même style de vêtement et obéissent aux mêmes règles. Je vois les moines rassemblant le nécessaire pour le nouveau moine, le bol, les trois pièces du vêtement, je vois que ce sont les symboles de sa vie, de l’ancienne vie sanctifiée. On ressent quelque chose de profond, un respect de soi, et de l’inspiration sur le visage de ceux qui ont préparé les postulants. Et les membres de la sangha s’assoient ensemble avec Taungpulu Sayadaw, ils sont avec lui, ils sont du même bord.
Quand je mets de coté mes opinions et les critiques et que je regarde objectivement ce qui se passe, je vois que je suis tout à fait désavantagée. J’ai la robe, mais pas LA ROBE, je suis les préceptes, mais je n’ai pas été ORDONNÉE. Je suis dans l’entourage, mais je ne fais pas partie du « club », c’est tellement évident… »