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Prévenir les violences à l’école :

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Comment aborder le « problème » de la violence ?

Les recherches effectuées dans les établissements scolaires ayant des caractéristiques semblables montrent qu’à environnement social identique, la manifestation de la violence peut être complètement différente d’un établissement à l’autre. Il y a donc un « effet établissement » qui influe sur la manière dont se manifeste la souffrance, ce qui permet de penser que nous avons une marge d’influence possible sur les phénomènes de violence. Marie Choquet, directrice de recherches à l’INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale) et auteure de travaux épidémiologiques sur les adolescents, montre qu’il y a un déficit d’études épidémiologiques sur les violences subies par les jeunes. Tout se passe comme si, collectivement, nous choisissions de mettre le projecteur plutôt sur l’aspect des violences agies qui renforce notre sentiment d’être « menacés » par la violence des jeunes. Elle résume de la façon suivante les résultats de ses recherches : « le manque de soutien et de protection des parents, mais aussi de l’école et de la société, sont les facteurs qui résument le mieux les causes de violences ». Interrogeons-nous alors sur l’état d’esprit avec lequel nous abordons la problématique de la violence. Selon les choix que nous faisons dans notre façon de comprendre cette réalité, nous pouvons apporter des réponses susceptibles soit de contribuer à renforcer le phénomène, soit d’aider à l’apaiser. Examinons dans un premier temps quelques-unes des tendances rencontrées et leurs effets puis intéressons-nous à d’autres visions possibles:

Quelques tendances courantes :

Penser que la source du problème est à l’extérieur Nous pouvons avoir l’impression que tel ou tel autre, collègue ou élève, induit chez nous un inconfort, une menace, qu’il est la cause d’un désordre pour le groupe, pour nous-même. Cette vision peut faire naître en nous peur et colère et nous conduire à une logique de rejet et d’exclusion qui génère chez l’autre, colère, détresse, incompréhension. Nous pouvons alors nous trouver pris dans un enchaînement de difficultés en boucle, puisque notre rejet renforce ainsi la violence de l’autre, et du coup justifie notre idée de sa violence. Nous voilà prisonniers d’un cercle vicieux, qui alimente la souffrance pour tout le monde.

Vouloir changer les comportements sans s’intéresser vraiment aux causes Nous pouvons aussi tenter de convaincre les élèves d’abandonner les comportements que nous jugeons négatifs (consommations, transgressions diverses…) en faisant venir des spécialistes pour les informer. Mais en agissant ainsi, nous semblons ignorer les souffrances qui sous-tendent les comportements inadaptés et les jeunes risquent de comprendre que nous ne nous intéressons pas vraiment à ce qu’ils expérimentent. Ils peuvent nous percevoir indifférents à leur souffrance et incapables de les aider vraiment. S’ils se sentent frustrés, abandonnés, ils peuvent être tentés de continuer de nous provoquer avec les comportements désignés comme gênants pour nous.

Ne pas voir la situation dans son ensemble Il arrive que la violence des jeunes nous renvoie en miroir nos propres insuffisances et comportements problématiques. Or, ce lien entre le vécu des adultes et le comportement des jeunes, n’est pas forcément facile à percevoir. Prenons comme exemple les violences, brimades et jeux persécuteurs que des jeunes peuvent exercer contre d’autres jeunes, dans les cours de récréation par exemple. Il peut être intéressant de se demander comment ces rituels d’oppression illustrent ce que les enfants perçoivent du pouvoir dans les relations en classe, entre le maître et les élèves. Ou encore, comment les tensions vécues entre les adultes d’une équipe contaminent le mode de relation entre les élèves. Quand dans les établissements scolaires les violences entre enfants sont importantes, il peut être utile de s’interroger sur les possibles tensions existantes dans l’équipe des adultes. Demander de l’aide pour l’équipe adulte peut alors éviter les recours inflationnistes aux sanctions, et limiter ainsi le sentiment d’impuissance et d’échec.

Les attitudes violentes disent toujours quelque chose d’une souffrance qu’il importe d’essayer d’identifier et de comprendre. Nous nous donnons alors davantage de chances d’être aidant et de faire diminuer les négativités.

Une vision nouvelle : la bientraitance

Plutôt que de vouloir « lutter contre » la violence, en se focalisant sur ce qui va mal, il peut être intéressant d’associer l’ensemble des acteurs, (personnels, élèves, parents) d’un établissement scolaire, à la mise en œuvre de la bientraitance. Depuis quelques années on voit naître de nouvelles approches, apparaître de nouvelles façons d’aborder les difficultés. Avec un état d’esprit différent, plus confiant dans les capacités des uns et des autres à changer, on met le projecteur davantage sur les ressources que sur les manques. Ainsi, on peut par exemple aborder les parents des élèves difficiles avec un autre regard, en cherchant plutôt à faire émerger et soutenir leurs compétences plutôt que de stigmatiser leurs manques et leurs difficultés. Avec la réflexion autour du concept de résilience, on découvre également que le pire n’est pas toujours sûr. Il est possible de mobiliser les ressources chez les enfants ayant expérimenté des vécus extrêmement difficiles et de les aider à grandir et à devenir des adultes équilibrés qui ont pu métamorphoser leur souffrance. Cela donne pour les personnels des établissements scolaires de nouveaux rôles possibles, de nouvelles pistes pour la prévention des violences et des conduites à risques. Bien sûr, il ne s’agit pas de nier que des violences s’exercent au sein des écoles, mais de comprendre le phénomène dans son ensemble, en souhaitant qu’une meilleure compréhension contribue à générer une action plus juste, moins excluante, plus soutenante et protectrice. Le fil rouge de tout projet de prévention de la violence pourrait être formulé sous forme de question : Qu’est-ce qui, dans l’école, l’établissement, rend manifeste l’intention ou la volonté de développer de la bienveillance à l’égard des élèves, et ce dans les situations de la vie quotidienne ?

Les trois niveaux de prévention de la violence dans une communauté éducative

L’institution scolaire est un des meilleurs terrains possibles pour développer une activité favorable à la prévention de la violence. Elle est d’ailleurs fortement sollicitée par les instances nationales et internationales de santé publique. Il peut être intéressant de s’inspirer des concepts de prévention développés dans ce cadre pour tenter de mieux lire le fonctionnement collectif d’un établissement scolaire et donc de tendre vers davantage de cohérence. En santé publique, on définit la santé non pas comme l’absence de maladies, mais comme un état de bien être physique, psychologique et social.

La prévention intervient à trois niveaux différents, complémentaires et interdépendants : La prévention primaire : conserver et renforcer l’état de santé et de bien-être ; La prévention secondaire: prévenir les risques et restaurer l’état de santé et de bien-être ; La prévention tertiaire: aider à vivre au mieux et limiter les conséquences négatives lorsqu’il y a eu un préjudice. Ce pourrait être par exemple un engagement dans une conduite à risque et/ou grave victimation.

En général, nous nous investissons dans la résolution des problèmes au moment où ils surgissent, quand la crise est là, avec tel ou tel élève. Le quotidien peut être envahi de successions d’urgences à traiter sur-le-champ et la précipitation est difficilement évitable. On expérimente de la frustration, un sentiment d’impuissance, de découragement, voire de la colère. La prise de recul nécessaire est difficile. Les situations de crise encombrent, comme autant de moments exceptionnels et sans légitimité dans le cadre scolaire, attribuées à un petit groupe d’irréductibles, « qui n’ont pas leur place dans le système scolaire » et qu’il suffirait d’envoyer ailleurs pour que la paix soit acquise. Les conduites violentes ont bien sûr un sens lié à la singularité des parcours individuels, mais en même temps, chacun interagit avec les autres et concourt à créer un contexte plus ou moins perméable à une forme violente d’expression de la souffrance.

Au niveau de l’organisation d’un établissement scolaire, on pourrait envisager ainsi les trois niveaux de prévention : Le premier niveau de prévention consiste à agir pour que les adolescents qui vont plutôt bien continuent d’aller bien. Il s’agit de les aider à garder les ressources qui leur permettent de se protéger et de ne pas adopter de conduites nuisibles pour eux-mêmes et pour les autres. Ils peuvent s’investir dans des projets, trouver un sens à ce qu’ils font, respecter les autres, développer des comportements solidaires…Ceci semble facilité par le fait d’avoir une suffisante estime de soi. A ce niveau, l’établissement scolaire dispose de nombreuses activités qui peuvent être envisagées avec l’objectif de permettre à chacun de développer une suffisante attention à lui-même et aux autres. A travers toutes les activités d’apprentissage, d’évaluation, d’organisation de la vie collective, peuvent être rencontrées des occasions de veiller à ce que chacun soit valorisé et puisse manifester ses qualités. Là encore, l’état d’esprit au départ est important, puisqu’il s’agit d’avoir confiance en le fait que toute personne a des qualités, et d’œuvrer pour lui proposer des situations permettant de faire valoir ces qualités.

Au second niveau de la prévention, les activités vont s’orienter de manière plus ciblée sur les prises de risques, la prise en compte de souffrances et de débuts de dérapage. On s’adresse à des comportements d’élèves qui pourraient devenir problématiques, se chroniciser et entraîner des difficultés personnelles et des souffrances pour soi et pour l’entourage familial et/ou scolaire. Les espaces de parole, de régulation des conflits par exemple, des projets menés par les élèves eux-mêmes à partir de thèmes qu’ils proposent et de démarches qu’ils construisent avec l’aide des adultes, permettent d’aborder les interrogations des adolescents sur tous les aspects de la vie.

Au troisième niveau de prévention, l’activité est centrée sur les situations singulières qui sont la source de difficultés importantes pour les individus concernés, mais aussi pour la collectivité: élèves en grave mal-être, dans une souffrance personnelle telle qu’ils ne sont pas en mesure de répondre correctement aux attentes de l’institution, pas en état d’apprendre ni de supporter les contraintes de la vie en groupe. Les réponses vont être individualisées, adaptées, avec le double souci de protéger la vie du groupe et de susciter autant que faire se peut un soutien et une aide pour ces adolescents. Agir au premier niveau en veillant à tendre vers une qualité de vie au quotidien est un travail à plus long terme mais aura un effet aux autres niveaux : tout le monde est concerné si l’ambiance s’améliore. Ainsi, la première solution qui nous vient à l’esprit, répondre directement à un comportement problématique, n’est pas forcément suffisante : nous sommes happés dans une zone fortement émotionnelle, où il n’est pas évident d’être efficace, alors qu’en prenant le temps d’établir à chacun des trois niveaux des processus pour un accueil de qualité et pour un cadre clair, explicité, on a plus de chance que les situations de crises individuelles soient anticipées, qu’elles soient vues à temps, et que l’individu en souffrance se sente dans un espace sécurisé, où des repères lui ont été donnés, et où il a fait l’expérience du respect et du souci de bienveillance…

ROZENN PENAU

Source : Dhagpo Khagyu Ling