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Sexisme, andocentrisme, et misogynie par Bante Sujato

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30 novembre 2009

Dans cet écrit, j’aimerai regarder d’un peu plus près certains aspects du problème de la discrimination envers les femmes dans la Sangha.

C’est un sujet difficile qui peut engendrer beaucoup de résistance intérieure face à mes conclusions.

Tout ce que je demande est que le lecteur soit attentif à ses propres réactions, et qu’il prenne en considération le fait que l’auteur de ce billet a lui aussi eu à gérer des réactions similaires pendant les nombreuses années où il a travaillé sur cette question.

Pour cet article, je me concentrerai sur la « forme courante » du sexisme, c’est-à-dire celle où ce sont les hommes qui pratiquent la discrimination envers les femmes.

Sexisme

Tout d’abord, qu’est ce que le «sexisme»?
Je donnerais la définition suivante: le sexisme est une discrimination injustifiée et disproportionnée envers quelqu’un en raison de son sexe.

Le sexisme est, par définition mauvais, car il fait du mal aux femmes en les privant de leur pleine humanité.
D’une manière plus subtile, le sexisme nuit également aux hommes, car ceux-ci entretiennent un sentiment de sécurité en blessant les personnes qu’ils aiment.

Pour donner un exemple :

Le Bouddha a dit qu’il ne faut pas juger une personne quelque soit la caste à laquelle elle appartient : qu’elle soit khattiya, brahman, vessa ou sudda, elle devrait être jugé par ses actes, et non par sa naissance.

De la même façon, il ne faut pas juger une personne ou faire preuve de discrimination à son encontre simplement en raison de son sexe.

Comme Bhikkhuni Soma a déclaré: «Tout ce qui pense « je suis un homme « , ou » je suis une femme », ou« je suis quoi que ce soit d’autre » est du combustible pour Mara. (Samyutta Nikaya 5.2).

Dans les écritures bouddhiques, c’est Mara qui exprime des opinions sexistes, pas le Bouddha.

Il existe certains cas où la discrimination est tout à fait appropriée. Par exemple, c’est une question normale de demander si une femme enceinte va beneficier d’un congé maternité. La même question ne peut se poser pour un homme. Bien entendu, un homme pourrait bénéficier d’un congé paternité, mais c’est une autre question.

Dans ce cas, accorder un congé maternité aux femmes enceintes est une discrimination basée sur des motifs pertinents et n’est pas contraire à l’éthique. Il faut encore gérer des questions pratiques. Combien accorder, et sous quelles conditions ?
Il n’y a pas de réponse toute faite à cela. Cependant, n’importe qui serait d’accord qu’un jour c’est trop peu, et que quarante ans serait trop long. Ces options, bien qu’étant une discrimination qui semble appropriée, seraient rejetées comme étant disproportionnées.

En ce sens, la position structurelle de la Sangha Theravada est clairement sexiste. Car il n’existe pas de justification valable à la discrimination.

Le Bouddha, et la tradition toute entière, affirment que les femmes sont tout aussi capables de vivre la vie sainte et d’en récolter les fruits. Il n’y a pas d’arguments valables dans la réponse de la Sangha.
Les détails des procédures légales, la réticence à changer les traditions, ne sont pas des motifs suffisants pour refuser aux femmes leur capacité à vivre pleinement la vie spirituelle, si elles le désirent.

Je voudrais faire une distinction supplémentaire.

Le sexisme doit être divisé en deux aspects: androcentrisme et la misogynie.

L’androcentrisme

L’androcentrisme c’est voir les choses d’un point de vue masculin.

Notre langue l’incarne, par exemple, lorsque nous utilisons le «il» ou «l’homme» pour désigner toutes les personnes, ne remarquant pas combien cela exclut et marginalise les femmes.

La culture androcentrique traite l’homme comme le sexe par défaut, et la femme est l ‘«autre».
Dans un système androcentrique, les femmes sont exclues des ressources, de l’éducation et des opportunités qui sont de façon naturelle offertes aux hommes.

Cela peut se produire simplement par le conditionnement social, ou cela peut être renforcé par des règles et des lois.

Nous pouvons juger de l’androcentrisme d’une institution en examinant le pourcentage de femmes qui y sont impliquées et quelles positions elles y atteignent.

Selon cette norme, la Sangha du Theravada moderne est l’une des formes la plus absolue d’androcentrisme jamais atteint, avec un refus total de la participation des femmes à tous les niveaux.

Puisque l’androcentrisme est essentiellement une construction sociale, il doit être changé par des moyens sociaux.

Ce changement social, dans un premier temps, doit être conduit par celles qui souffrent le plus du sexisme, c’est à dire les femmes.

Comme Mahapajapati, qui a désobéi aux instructions du Bouddha, ignorant à plusieurs reprises son avis, et a revêtu la robe ocre sans avoir été ordonnée, les femmes auront à désobéir aux patriarches si elles veulent voir se réaliser un changement.

Toutefois, pour réussir ce changement il faudra également l’aide des patriarches eux-mêmes, c’est-à-dire des moines.

Je dirais qu’il y a trois choses essentielles que les moines doivent faire.
Premièrement, admettre que le sexisme existe et qu’il est mauvais.
Deuxièmement, travailler énergiquement pour venir à bout du sexisme.
Troisièmement, écouter et répondre à la voix des femmes.

C’est, je crois, tout ce qui est nécessaire.
Ce n’est pas impossible.

Il ne s’agit pas de questions morales complexes ou d’innovations radicalement nouvelles.
Cela demande juste l’application d’un certain sens moral afin de s’attaquer à une injustice flagrante et néfaste dans le monde.

La misogynie

Tandis que l’androcentrisme est avant tout un phénomène social, et se définit par l’absence de femmes, la misogynie est un phénomène psychologique, défini par la présence de haine envers les femmes.

La misogynie est une névrose, une tendance profondément ancrée de peur irrationnelle des femmes et d’aversion à leur égard.
Elle se développe généralement en réponse à un traumatisme impliquant une femme, soit durant l’enfance ou, depuis une perspective bouddhiste, dans des vies antérieures.

Le traumatisme peut être le résultat d’actes malveillants de la part d’une femme, par exemple si une mère maltraite son fils, ou bien avoir une autre origine, une femme peut être tout à fait innocente, par exemple si un fils conçoit une haine jalouse envers une sœur nouvelle née.

La caractéristique essentielle de la misogynie, c’est qu’elle s’empare des défauts et de la malveillance d’une seule femme et les projette sur toutes les femmes.

Bien sûr, nous le faisons tous; une projection est un phénomène classique de la psychologie humaine.
Nous avons tous eu de bonnes et de mauvaises expériences avec des hommes et des femmes, et celles-ci conditionnent nos attentes à venir et les pensées que nous pouvons avoir d’autres hommes et d’autres femmes.

Cela est normal, mais lorsque le modèle devient figé et extrême, et quand il aboutit à des schémas de comportement néfastes, il convient de le traiter comme une névrose.

Puisque nous faisons l’expérience du genre opposé comme «l’autre», la projection joue un rôle particulièrement important dans les relations entre « genres ».
Ce genre de tendance se retrouve dans la littérature bouddhique, par exemple les histoires Jataka.

Chaque fois qu’un homme fait quelque chose de mal, ou qu’une femme fait quelque chose de bien, cet homme ou cette femme est loué ou blâmé en conséquence.

Mais quand une femme fait quelque chose de «mal» (même quand c’est l’homme qui a agi de façon immorale) alors ce sont les femmes en général qui sont blamées.

Les histoires Jataka, et d’autres formes de littérature bouddhique populaire, sont remplies de misogynie.
Il est franchement impossible d’espérer que ces attitudes puissent disparaitre purement et simplement de la culture bouddhique qui s’enorgueillit de sa continuité avec la tradition.

Un homme qui souffre de misogynie est coupé et aliéné d’une partie de lui-même.
Il ne peut accepter le féminin, et par conséquent, dénie et réprime cet aspect de lui-même.
Cela confirme un principe fondamental de l’éthique bouddhiste: puisque tous les êtres sont également dignes de respect, quand une personne fait du mal ou diminue tout autre être, elle se fait du mal à elle-même.

La misogynie est quelque chose de subtil et d’insaisissable.
Notre société ne tolère plus l’expression ouverte de la misogynie, alors elle s’exprime de façon plus souterraine.
On peut l’entendre dans l’ambiance détendue des conversations privée entre « garçons », mais elle apparaît rarement dans la sphère du discours public.

Et bien sûr, le misogyne est la dernière personne à percevoir son propre préjugé.
Néanmoins, je pense qu’il est assez clair qu’un certain pourcentage d’hommes sont misogynes dans le sens que j’ai décrit.

Et de ces hommes, un certain pourcentage entre dans la Sangha.
Il n’est que trop naturel qu’un misogyne cherche un contexte où sa valorisation exclusive du masculin est encouragée, un contexte où il a rarement besoin de côtoyer des femmes, et quand il les rencontre, où elles sont encadrées par une hiérarchie qui les subordonne et ne leur accorde aucun pouvoir, ce qui lui permet d’ignorer leur voix et de se regarder comme un être d’un statut spirituel supérieur.

Cela peut être un choc d’apprendre que certains membres de la sangha ont un équilibre mental douteux. Néanmoins, c’est vraiment tout à fait évident.

Je ne parlerai ici que de la Sangha occidentale.

Dans les pays de tradition bouddhiste, il existe un soutien culturel fort pour les hommes qui souhaitent rejoindre la Sangha. Par conséquent, selon mon expérience, il n’y a pas de raison particulière pour les moines d’être soit personnellement misogyne, soit d’avoir des problèmes mentaux plus que la normale.

En revanche, dans le bouddhisme occidental, beaucoup de ceux qui s’y intéressent ne le font qu’après avoir subi un traumatisme. Dans n’importe quel centre bouddhiste occidental, vous trouverez un grand nombre de personnes qui ont eu ou continuent d’avoir, de graves difficultés psychologiques. C’est pourquoi ils viennent.

Et pour ceux qui souhaitent prendre la robe monastique, c’est encore plus vrai.
Je dirais que plus de la moitié de ceux qui souhaitent prendre la robe monastique ont, selon mon experience, un certain degré de problèmes psychologiques et de troubles de la personnalité.

Beaucoup de ces troubles rendent difficile de vivre la vie consacrée: schizophrénie, dépression, anxiété.
Les personnes ayant de tels problèmes ont tendance à ne pas rester dans la Sangha.
Mais il y a certains types de troubles qui sont pratiquement encouragés par le milieu monastique, notamment le narcissisme et la misogynie.

Pour ce qui concerne le narcissisme, l’histoire du bouddhisme occidental est jonchée d’épaves résultant du culte excessif du gourou. La misogynie n’a pas à être pas si flagrante, car elle est nourrie par la légitimité supposée des structures androcentriques de la Sangha.

Il doit être suffisamment clair que les misogynes sont naturellement attirés par des institutions andocentriques comme l’est la Sangha. Ils vont tendre à renforcer les préjugés déjà existants et chercher activement, même si c’est inconscient, à nuire aux femmes grâce à la position qu’ils occupent.

En retour, nous pouvons nous attendre à ce que l’institution androcentrique tende à renforcer la misogynie, la justifie, stimule une misogynie latente, offre des modèles de comportement et forge un lien comme celui d’un club de garçons, présentant les instincts les plus bas de l’homme comme une valeur spirituelle.

Néanmoins, cela n’est pas toujours le cas.
Le problème individuel de la misogynie et le problème institutionnel de l’androcentrisme sont relativement indépendants.

Il est possible, par exemple, d’avoir une institution androcentrique qui n’est pas constituée de misogynes, ou d’avoir un misogyne qui est indépendant de toute institution.

Quand un misogyne rejoint l’institution, cela peut conduire à une multitude d’effets.
Par exemple, les comportements misogynes les plus flagrants peuvent alerter les autres membres de l’institution. Ils peuvent en être personnellement choqués, ce qui peut les amener à réfléchir sur le rôle qu’ils jouent au sein de l’institution, et à vouloir faire quelque chose.

Je sais que cela arrive: c’est ce qui m’est arrivé.

D’autre part, quand un misogyne rejoint la Sangha, en surface, il embrasse les valeurs de la Sangha et pratique pour atteindre la libération, en réalité, il est craintif et blessé, et il cherche un endroit pour se cacher des femmes.
Mais la guérison peut se produire, parfois le temps est tout ce qui est nécessaire. S’isoler et se protéger des femmes peuvent en fait être bénéfiques pour quelqu’un qui est véritablement dans l’incapacité de faire face à ce problème.

Après un certain temps, il développe une plus grande stabilité et plus de confiance. La motivation inconsciente qui est à l’origine de la prise de robe s’est éteinte, et il peut la quitter, se marier, et jouir d’une relation normale et saine avec des femmes, ce qui n’était pas possible pour lui avant de rejoindre la Sangha.

Le coeur du problème surgit lorsque l’institution androcentrique et les misogynes allient leurs forces. Cela se produit surtout quand le misogyne détient une position de pouvoir. Bien sûr, c’est généralement ce qu’il veut. Il peut alors élever des murs, renforcer sans cesse la séparation avec les femmes, et aider à conditionner les nouvelles générations de moines, à affirmer et à perpétuer les vieux schémas.

À long terme, tout cela n’aidera pas du tout le misogyne. Cela va simplement accentuer son problème originel, et lorsqu’un jour, les murs s’écrouleront, il n’en tombera que de plus haut.
Le problème ici ne se situe pas au niveau de l’individu, mais de la Sangha puisqu’en tant qu’institution, la communauté des moines est toujours dans le déni du problème du sexisme, qu’elle refuse de reconnaître la misogynie et continue de placer des misogynes à des positions de pouvoir.

Ceux-ci une fois en place, la pratique institutionnelle «normale» de simplement ignorer, de marginaliser et d’exclure les femmes, se transforme en une suppression active de celles-ci. Le problème qui se pose alors est qu’il faut la présence de femmes pour satisfaire le fantasme misogyne. Par conséquent, les femmes doivent être attirées vers les monastères, encouragées et soutenues, afin qu’elles puissent y rester et y être maltraités. S’il n’y a pas de femmes dans les monastères, comment peut-on les confiner à la cuisine ?
C’est la transposition dans un cadre spirituel du même phénomène qui se perpétue dans certains mariages.

Le futur

Les problèmes que je mets en évidence dans cet essai sont douloureux et inconfortables. Ils ne sont pas faciles à accepter, même s’ils sont en fait assez évidents.

J’ai lutté avec ces questions pendant de nombreuses années, et je suis reconnaissant que la controverse actuelle sur les bhikkhunis l’ait fait surgir, me faisant sentir la nécessité de parler ouvertement de questions d’une telle importance.

Les faits sont indéniables. La Sangha Theravadin moderne est une forme extreme d’institution androcentrique. La tradition bouddhique, par exemple les histoires Jataka font preuve de misogynie répétée. Cette tendance se poursuivra jusqu’à ce qu’il y ait un effort actif pour la surmonter.

Quand nous voyons une déconstruction cohérente de ces formes de sexisme à l’intérieur de la Sangha ; une reconnaissance de la valeur de la voix des femmes dans le façonnement de notre avenir, et un effort actif pour démanteler et remodeler les formes modernes des institutions de la Sangha, en s’appuyant sur le modèle égalitaire du Vinaya, alors nous avons des raisons de croire que les choses puissent changer.

D’ici là, on peut s’attendre à ce que des hommes et des femmes de bonne volonté partout dans le monde se détournent du bouddhisme, soient déçus par la Sangha, et doutent de la valeur de la pratique du Dhamma.

Ainsi que le Bouddha a dit aux Kalamas: «Vous doutez dans une affaire douteuse».

Bante Sujato