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Transformation intérieure par Ellen Woods

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Lorsque nous atteignîmes la crête de la montagne, je me sentis anxieuse. Je décidai de placer ma confiance dans le chauffeur de la camionnette, un homme aux yeux sérieux, la tête rasée et luisante et de larges mains sûres qui rapetissaient le volant. Je me dis qu’il allait négocier la descente avec facilité.
Pendant une grande partie de ma vie, l’inquiétude avait été mon talisman, si profondément enraciné était le refrain de ma mère, «Les choses qui me préoccupent n’arrivent jamais. » Je croyais que me préparer pour le pire détournait avec succès le désastre. Mais sa mort, cinq ans plus tôt, m’avait amené à mettre cette croyance en question. Mon état d’esprit habituel d’inquiétude me volait la joie que je désirais. La méditation quotidienne était devenue un baume réconfortant dans mon effort pour libérer des pensées répétitives. Avec le temps, je développai une peau plus dure et un esprit plus courageux. Je commençai à me demander si je pouvais me faire confiance pour faire face à tout ce qui se présentait. Nous étions en 1995 et je venais d’avoir cinquante ans.

Je me rendais au centre Zen Tassajara, niché dans la vallée, au creux des montagnes près de la « Ventana Wilderness » dans le nord de la Californie. C’était un monastère consacré à la formation, mais ouvert au public pendant l’été. J’avais prévu de me plonger dans la méditation, de rêvasser dans la crique de Tassajara, en profitant du phénomène naturel d’eaux chaudes qui surgissent de la crique dans une cabane qui fait sauna. Mon espoir était de laisser tomber mes soucis et de découvrir mon propre mantra intérieur, qui remplacerait celui que ma mère m’avait enseigné. Quel mal pourrait m’arriver durant cette retraite paisible?

«Serpents à sonnettes, » j’avais entendu le chauffeur dire. « Ils vivent parmi nous, aussi faites attention de ne pas marcher sur l’un d’eux.  » De toute évidence, ces reptiles solitaires n’étaient pas accueillans pour les intrus, dont je faisais partie.
Je me mis à parler tranquillement avec le conducteur, tandis que les deux autres passagers restaient silencieux. « Quand j’avais six ans, » lui dis-je, « mon père m’a appris à monter à cheval en me rappelant de me lier d’amitié avec l’énorme créature, et de chérir le lien profond qui se tisse quand on travaille ensemble. Pensez-vous que les serpents à sonnettes répondent à la crainte apprise que nous avons d’eux ?  »
Il demeura silencieux pendant un moment, puis se mit à parler. « J’ai entendu parler d’un tel incident. Voici l’histoire : Par une chaude journée, après une longue période de méditation, un groupe de moines élargirent leur espace de méditation marchée en allant dans la cour, où ils tombèrent sur la fille de l’un des résidents qui avait quatre ans. Elle jouait avec un serpent à sonnettes. Les moines, d’un seul élan, formèrent un cercle autour de l’enfant et du serpent et se tenaient là en silence, leurs esprits et leurs coeurs embrassant la fillette et son compagnon de jeu. Ils souriaient, au cas où l’enfant les remarquerait et deviendrait craintive, mais elle avait l’habitude de la présence de leurs robes brunes. Finalement, le serpent à sonnettes se faufila plus loin et la fillette courut retrouver ses amis. « 

Je fus frappé par le pouvoir de cette histoire alors que nous arrivions en bas de la montagne vers le centre de retraite. Je me sentais en sécurité dans la voiture avec lui au volant.
Ce soir-là, je me dirigeai vers la crique. Après avoir ôté mes vêtements, j’entrai dans l’eau sombre. En me courbant, je pouvais presque me plonger entièrement dans le bain froid. Le sauna, un sanctuaire couvert de mousse me fit signe alors que je nageais vers les rochers en aval. Je montai les deux marches de pierre et entrais dans la structure en bois, devenue familière lors de précédentes visites. Je sentais le plaisir de revenir à un endroit bien-aimé. Il n’était éclairée que par la lune qui brillait à travers un toit plat composé de plastique ondulé. L’odeur de soufre se mélait à la vapeur qui, entre les planches, s’élevait de la source chaude, m’accueillant avec une odeur de terre primitive que j’en étais venu à associer avec les eaux curatives.
« Bonjour » murmurai-je, et je ne recueillis qu’un écho. J’appréciais la solitude tandis je fermais la lourde porte, laissant derrière tout je connaissais. Un profond silence remplissait mon esprit et le confinement du lieu amplifiait la chaleur humide, desserrant les muscles serrés de mon cou et m’offrant la relaxation que je cherchais.
Quand mes yeux s’habituèrent à l’obscurité, je mis un banc le long d’un côté et m’étendis sur lui, sentant son humidité glissante sous moi. Comme ma respiration s’approfondissait, j’entrais dans une sorte de rêve. Un cliquetis commença alors à remplir l’espace, devenant de plus en plus en plus fort, comme une cigale ou peut-être un grillon. Je laissais le son me remplir les oreilles et glisser le long de mon corps. Bientôt, le silence revint.
Alors que j’étais là immobile, quelque chose toucha ma cuisse. Puis glissa jusqu’à mon ventre pour se reposer entre mes seins, et s’enroula sur lui-même. Dans un état de calme profond, je regardai à travers la brume et rencontrai des yeux qui me fixaient sans ciller, appartenant à une élégant tête triangulaire. Elle reposait sur ma poitrine, comme dans l’attente d’une réponse. Je reconnus que c’était un serpent à sonnettes, mais, bizarrement, je n’avais pas peur. En fait, je me surpris à accueillir sa présence, comme si c’était un maître spirituel, me demandant ce qu’il avait à me dire. Pendant plusieurs minutes, nous restâmes connectés de cette manière, en silence, à l’aise.
Puis, aussi vite qu’il était venu, il glissa, laissant dans son sillage une réplique de lui-même, une peau trop petite qui n’était plus appropriée à son corps en pleine expansion. Sans attachement à ce qui était laissé derrière, le serpent ne se retourna pas, et disparut à travers une fissure de la porte dans la rivière glacée en dessous.
Je pris conscience de son absence, une apesanteur là où il avait été, et je sus qu’un changement s’était opéré en moi. J’oubliais où j’étais pendant un moment, puis, je revins à moi-même par le bruit de ma respiration. Un rayon de lune éclaira une vapeur lumineuse s’élevant de mon corps, une vapeur qui planait au-dessus de moi jusqu’à ce qu’elle disparaisse lentement, me laissant émotionnellement et spirituellement élevée. Une nouvelle clarté du but me propulsa comme je me levais du banc. M’appuyant contre la lourde porte, je sortis de la pièce et me glissai dans l’eau, ne sachant pas ce qui m’attendait et pourtant ouverte à tout ce qui pouvait survenir sur mon chemin…

Source Inquiring Mind – 2013 – Traduction Bouddhisme au féminin.