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Epouser un moine

Par Sumi Loudun Sumi Loudun s'attend au pire quand elle et son petit ami coréen demandent à son maître zen d'avoir la permission de se marier. Mais un bodhisattva personnel était déjà intervenu en leur nom.

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Cela fait plus de cinq ans depuis que nous nous sommes rencontrés, mon mari et moi en tant qu’étudiants à l’Université d’Harvard. Nous nous étions d’abord remarqués pendant un cours intitulé « Bouddhisme en Amérique. » Après une simple amitié durant ce semestre, nous sommes tombés amoureux à travers une avalanche de courriels pleins de réflexions intéressantes durant les derniers examens. Il était clair pour nous deux que ce n’était pas un simple flirt : le soir même où nous nous sommes avoués nos sentiments, nous avons parlé de mariage.

Nous avions cependant un petit obstacle au mariage. À l’époque, Ilmee était un moine ordonné. Et il avait été célibataire pendant treize ans.

J’ai naïvement supposé que la transition entre monastique et vie conjugale était une question de choix personnel, le fait de quitter la robe était simplement une décision que vous preniez, comme de décider de devenir végétarien. J’avais connu Ilmee seulement comme un camarade de classe calme et studieux. Ce que je n’avais pas compris, c’est le contexte plus large de sa vie, le rôle qu’il jouait dans sa famille, auprès de ses amis monastiques, avec les laïcs qui le soutenaient et sa communauté bouddhiste en Corée. Comme notre relation s’approfondissait au cours de notre programme d’études supérieures, j’ai vu Ilmee naviguer dans un réseau complexe de relations en vue d’obtenir le consentement général à notre mariage. La plus importante de ces relations était celle d’avec son maître.

Trois ans après notre première rencontre, nous avons effectué un voyage au temple du maître, qui se niche dans les bosquets de clémentines de l’île de Cheju, au large du sud de la Corée du Sud. Plusieurs mois auparavant, Ilmee avait envoyé une longue lettre manuscrite à son maître, demandant la permission de se marier. Les semaines avaient passé sans apporter de réponse. Nous devenions anxieux. Puis nous avons reçu un appel téléphonique de la secrétaire du temple invitant Ilmee et sa petite amie américaine à visiter le temple.

Nous sommes arrivés sur l’île le jour de Noël. C’était une journée étrange, avec de la neige tombant sur les palmiers et les buissons de rhododendrons se couvrant de fleurs. Alors que nous roulions autour du volcan central vers le temple, Ilmee devenait sentimental. Il n’était pas revenu là depuis des années. Puis il dit tranquillement, « Mon maître est plus mon véritable père que mon propre père. L’alcoolisme de mon père a détruit ma famille et nous avons vécu dans la pauvreté. J’ai quitté l’école à quatorze ans. L’avenir paraissait assez mauvais pour moi, j’avais donc décidé de me suicider en prenant des somnifères. Dieu merci, mon oncle a remarqué que quelque chose n’allait pas avec moi. Il m’a demandé de rendre visite à son bon ami, l’abbé d’un temple sur l’île de Cheju. J’ai pensé : ‘Pourquoi pas?’ « 

« Qu’est-il arrivé après avoir rencontré ton maître ? As-tu immédiatement décidé de devenir moine? » demandai-je.

« Non. En fait, quand je l’ai rencontré, j’ai été tout simplement impressionné par sa dignité et sa stabilité en comparaison de mon père. Je me souviens avoir pensé: « C’est un homme que je peux suivre. » Il m’a fait faire des choses simples autour du temple, comme de nettoyer. J’avais l’intention de rester seulement une semaine, mais j’ai aimé le calme paisible du temple — tout valait mieux que d’être à la maison. Puis mon maître a commencé à m’enseigner la discipline des salutations et des chants. J’ai prié si dur pour toute ma famille. Parfois, je me mettais à pleurer au milieu des salutations. C’était une sorte de thérapie, je pense. Lorsque mes larmes furent taries, mon maître a commencé à me montrer comment copier des caractères chinois sur de vieux textes bouddhistes. Il était habile, car avant que je le réalise, il m’enseigna ce que ces caractères chinois disaient à propos des doctrines bouddhistes. Moins d’un an plus tard, j’ai décidé d’être ordonné moine novice avec lui. « 

Nous avons quitté l’autoroute et traversé un petit village. Les rues étaient vides raison des vacances, même si l’île est plus bouddhiste que le reste de la Corée. Comme nous approchions du temple, Ilmee s’inquiéta. « Sumi, nous devons nous attendre au pire de la part de mon maître. »

«Chéri, pourquoi ton maître nous inviterait-il pour nous dire qu’il rejette notre mariage ? Cela n’a pas de sens. « 

« C’est plus compliqué que simplement nous. Mon maître est respecté dans l’ordre Chogye. Si je me marie, alors nous le déshonorons. Il pourrait perdre sa position. Le gouvernement coréen vient justement de désigner le temple de mon maître comme un site historique. Le gouvernement et l’ordre Chogye envoient des subventions pour reconstruire sur les fondations, qui sont âgées de plus de mille ans. Si mon maître perd sa position, cela pourrait compromettre les subventions. Nous y sommes presque, de toutes façons « .

« Pourtant, » répondis-je, «si ton maître est la personne convenable que tu dis qu’il est, alors je ne pense pas qu’il m’inviterait seulement pour me dire de t’abandonner. Il aurait pu en parler juste avec toi. Cette anxiété de ta part sonne comme quelque chose en rapport avec ton enfance et l’alcoolisme de ton père. « 

Il murmura : « Peut-être que tu as raison, » alors que nous arrivions dans la cour gravillonnée. Le temple était vide, à l’exception de quelques moines se reposant dans leurs quartiers. À la porte des appartements du maître, nous avons enlevé nos chaussures et nous sommes entrés dans une pièce semblable au bureau d’un professeur. Le maître n’était pas là. Nous nous sommes assis et j’ai regardé tout autour. Comme tous les bâtiments traditionnels coréens, le sol était chauffé, mais les murs et les portes en papier ne sont pas isolés. Le vent avait déchiré le papier de plusieurs panneaux. Sur la grande table en bois du maître, il y avait des bouteilles d’encre, des pinceaux et du papier de calligraphie. Un plateau de thé reposait sur une autre table. Le grand fauteuil en cuir occidental, manifestement bien usagé, semblait déplacé. Ilmee, dans ses longues robes grises et la tête rasé de près, s’inscrivait plus naturellement dans ce cadre que dans les salles de classe de Harvard parmi les laïcs.

Ilmee regarda les murs tapissés de livres. «J’ai étudié ces textes anciens chinois pendant des années, » dit-il, avec une note de nostalgie. Puis il ajouta en secouant la tête : «J’ai quitté cet endroit quand j’avais dix-neuf ans et je suis allé à Séoul pour étudier dans une université bouddhiste. J’ai rejoint un groupe d’étudiants bouddhiste d’environ cent cinquante moines et nonnes. Nous étions des activistes si naïfs, essayant de faire tomber la haute direction corrompue de l’ordre Chogye. En tant que vice-président du groupe, j’ai même risqué ma vie pour provoquer une révolution. Je suis devenu assez connu dans la communauté monastique. Quand je suis arrivé à Harvard, cela m’a rendu encore plus important, parce que Harvard jouit d’un grand prestige parmi les Coréens. Le prestige de mon maître a grandi en partie en raison de son disciple prometteur, moi. Tout le monde attendait de moi que je me distingue et devienne un grand leader dans l’ordre. » Il fit une pause. « C’est pourquoi mon mariage, plus que pour d’autres moines, sera une telle affaire. Et pourquoi il sera difficile pour mon maître de l’accepter « .

« Ilmee, tu dois faire ce qui te rend heureux. Quel bien cela fait-il à d’autres si tu vis ta vie pour répondre à leurs attentes et par devoir, mais que tu es malheureux tout le temps ? » demandai-je.

Juste à ce moment là, le maitre arriva, avec la secrétaire du responsable du temple, une femme d’âge moyen avec des reflets violacés subtils dans ses cheveux noirs coupés courts. Nous nous sommes immédiatement levés, nous avons attendu qu’il s’intalle derrière son bureau, puis nous nous sommes inclinés jusqu’au sol trois fois. Ilmee s’assit en face de son maître et arrangea ses robes. Je m’assis sur le côté, aussi hors de vue que possible, et la secrétaire s’assit sur ses genoux, à côté du maître.

Il n’y eut pas de bavardage, pas de « Comment vont vos études? » – Juste le silence. Ilmee gardait les yeux sur le sol. Je pouvais sentir le lien fort entre eux, comment Ilmee était le disciple le plus aimé du maître.

Enfin, le maître parla d’un ton de sermon, en regardant au loin. « Il y a des précédents et des justifications pour le mariage dans le bouddhisme, » dit-il. « Un moine célèbre, Manhae, était connu pour ses poèmes d’amour, dont beaucoup disent qu’ils n’auraient pas pu être écrits s’il n’avait pas profondément aimé une femme. Ensuite, il y a au septième siècle le moine Wonhyo, le plus célèbre moine du bouddhisme coréen. On dit que le roi lui a demandé de coucher avec sa fille, la princesse, pour la consoler. Wonhyo considéra cela comme un moyen habile. Dans le Tripitaka, il y a des exemples du Bouddha qui dialogue avec les familles. Il enseigne comment les familles peuvent vivre une vie pieuse « .

Il y eut un autre long silence, le maître continuait à regarder au loin.

Enfin, le maître regarda chacun de nous et s’adressa directement à Ilmee. «Il est bon que tu te maries à une bouddhiste de longue date, qui a étudié le bouddhimse à Harvard et qui a aussi publié un livre sur le bouddhisme. Votre mariage sera un pont qui reliera le bouddhisme Coréen et Occidental. Vous pouvez être une bonne équipe pour répandre les enseignements du Bouddha dans le monde et pour la nouvelle génération. »

Il poursuivit: « Peut-être as-tu entendu dire que notre île a récemment été désignée comme zone internationale, c’est pourquoi le gouvernement y a construit le stade de football pour la Coupe du monde. Depuis, la méditation est devenue populaire chez les laïcs, je veux construire un nouveau centre international de méditation. Je voudrais t’inviter à faire partie intégrante de celui-ci et j’espère que tu viendras ici fréquemment pour enseigner. S’il te plaît, construisez un centre de notre branche en Amérique « .

Ilmee et moi nous nous regardâmes et nous sourièrent avec soulagement. Non seulement nous avions la permission de nous marier, mais le maître souhaitait approfondir la connexion entre nous. C’était une vision porteuse pour l’avenir. La secrétaire a commencé à peler un kaki et à préparer le thé. La conversation est devenue moins formelle, avec Ilmee parlant principalement en coréen. Après de nombreuses tasses de thé, nos jambes devenant ankylosées, le maître demanda à la secrétaire nous faire faire le tour de l’île. Nous nous inclinâmes trois fois avant de sortir.

Dès que nous arrivâmes dans la voiture, la secrétaire éclata en un flot rapide en coréen, « Oh mon Bouddha, Ilmee Sunim, vous ne pouvez pas imaginer ce qui s’est vraiment passé il y a quelques mois, j’ai remarqué que le maître était devenu soudainement silencieux et semblait vraiment affligé. Je ne pouvais pas en comprendre la raison. Un jour, alors que je rangeais ses papiers, j’ai trouvé votre lettre sur son bureau. »

Ilmee avait l’air calme et écoutait attentivement. Elle a poursuivi: «Personnellement, quand j’ai lu la lettre, je pensais que c’était merveilleux que vous vouliez vous marier. Certains moines ces jours sont tellement égocentriques, immatures, et arrogants. Ils sont indifférents aux besoins des laïcs comme moi. Quand je vais les voir pour leur demander des conseils sur mon mariage, ils n’ont pas la moindre idée sur la façon de m’aider. »

Elle a continué, tandis que nous roulions autour des falaises de l’océan. « C’est pourquoi les missionnaires chrétiens ont autant de succès. Leurs ministres sont mariés et ont des familles, afin qu’ils sachent les difficultés que nous avons. Le Bouddhisme va perdre par rapport au christianisme si nous continuons comme ça. Je suis allé voir votre maître et je lui ai dit mes pensées. Au début, il s’est simplement détourné de moi. Mais je me sentais vraiment sûre de moi sur ce sujet. Alors, j’ai continué à lui exposer mes arguments. Je lui disais, ‘Vous devriez être heureux du mariage de Ilmee, car nous avons besoin de moines plus chaleureux comme lui. Il est la vague de l’avenir. Vous avez vraiment de la chance de l’avoir comme disciple. Il va vous aider à propager le bouddhisme. » Finalement, il a commencé à se rallier à mon avis. Et après quelques jours, il a même commencé à se passionner pour cette façon de penser ! « 

Ilmee se retourna et me regarda dans le siège arrière. Il dit en anglais, « Sumi, cette secrétaire est notre bodhisattva personnel. Cette bénédiction de mon maître ne serait pas arrivée sans elle. Ces laïques exercent un tel pouvoir invisible! » Nous arrivâmes à une falaise. Tous trois, nous nous penchâmes sur la balustrade, regardant la mer Jaune s’écraser sur les rochers, en réfléchissant à l’étrange, nouvelle aventure qui allait commencer.

Nous nous sommes mariés en Octobre de l’année dernière, dans la salle du dharma d’un centre bouddhiste dans le Massachusetts, les feuilles d’automne rougeoyaient de toutes leurs couleurs. Finalement, le maitre a décidé d’y assister. Nous nous tenions devant les moines, les enseignants laïcs du dharma, les professeurs, les camarades de classe, et la famille dans la salle du dharma ensoleillée. Et, pour la première fois, nous nous sommes embrassés en public.

Sumi Loudun est l’éditrice des ouvrages : « Blue Jean Buddha: Voices of Young Buddhists » et « Buddha’s Apprentices: More Voices of Young Buddhists », tous deux chez Wisdom Publications. Elle est directrice adjointe au Centre d’études bouddhistes de Barre.

Source : Shambhala Sun, Septembre 2005. Traduction Bouddhisme au féminin