Accueil Femmes remarquables Cecily Saunders – (1918-2005)

Cecily Saunders – (1918-2005)

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cicelysaunders2Cicely Saunders vient de mourir à l’âge de 87 ans, le 14 juillet 2005. Elle tient une place toute particulière dans l’histoire des soins palliatifs.

Cicely Saunders est née en juin 1918. Pour des raisons familiales, son enfance avait été difficile. Elle n’en devint pas moins une jeune fille dynamique, aux intérêts multiples, manifestant déjà d’incontestables qualités de leader.

Le cours de sa formation universitaire devait être dévié par la déclaration de guerre de 1939. Cicely entreprit alors une formation d’infirmière. (…) C’est alors, qu’au St Thomas’ Hospital, de Londres, elle devait faire la rencontre qui marqua définitivement sa vie.

David Tasma, un juif polonais âgé alors de 40 ans, souffrant d’un cancer en phase terminale y vivait une grande détresse physique et morale : Il avait échappé au drame du ghetto de Varsovie, et voici qu’il se mourait, seul, dans une ville étrangère. Il s’interrogeait sur le sens de sa vie. Envoyée auprès de lui pour régler ses problèmes matériels, Cicely perçut cette détresse morale et la grande demande affective qui était celle de David. Sans retour sur elle-même, elle n’hésita pas à lui donner l’écoute et l’amitié qu’il attendait. Elle l’accompagna jusqu’à sa mort, dans un autre hôpital où il fut transféré. (…)

Les jeunes gens se mirent à rêver d’un endroit calme où des patients comme David pourraient être accueillis, soulagés de leurs douleurs et trouver un soutien. Pourquoi Cicely ne le susciterait-elle pas ? Lorsque David mourut, le 25 février 1948, il lui légua une somme de £500 pour, lui dit-il, « ouvrir une fenêtre dans votre futur établissement ».

C’était pour Cicely Saunders une ultime invitation à agir. Au soir de sa vie, elle aime encore à rappeler ce souvenir. La fenêtre de David est toujours là, à droite dans le hall d’entrée du St Christopher’s Hospice…

La voie de Cicely était désormais tracée. Un moment, elle pensa reprendre sa profession d’infirmière. Un ami chirurgien l’en dissuada, lui conseillant plutôt d’entreprendre le doctorat en médecine. Seul ce diplôme lui donnerait l’autorité nécessaire pour atteindre l’objectif qui était maintenant le sien. Âgée de 33 ans, Cicely commença donc de nouvelles études. Pendant trois ans, elle proposa son aide bénévole à l’hôpital St Luc qui avait été créé en 1893 pour accueillir des cancéreux et des tuberculeux en fin de vie. C’est là qu’elle devait faire son véritable apprentissage. L’attitude de l’équipe, le niveau des soins infirmiers et le contrôle de la douleur y étaient très supérieurs à ce qu’elle avait pu observer dans d’autres hôpitaux londoniens. A St Luc, en effet, et depuis 1935 déjà, l’on savait contrôler la douleur chronique grâce à l’administration, par voie orale et à intervalles réguliers, de doses optimales d’analgésiques opiacés sans attendre la survenue de la douleur ni la plainte du patient. Cicely pouvait observer l’évolution des patients ainsi soulagés, leur aptitude à faire un accomplissement de cette phase ultime de leur vie. Son regard de croyante reconnaissait en chacun d’eux un être à la valeur unique.

Ayant obtenu une bourse de recherche clinique sur le contrôle des douleurs terminales, Cicely fut admise dans un autre hôpital, l’Hospice St Joseph, tenu par les Sœurs de la Charité irlandaises qui lui confièrent un service de 45 lits. (…) Cicely y introduisit les méthodes de St Luc. Les résultats qu’elle obtint furent spectaculaires. Poursuivant ses recherches pendant sept ans, y impliquant les infirmières, Cicely devait faire la preuve, à l’encontre d’un préjugé tenace, que l’administration régulière d’antalgiques n’aboutit pas à l’accoutumance à la drogue. La demande faite par le patient d’une augmentation de ses doses doit être comprise comme l’indice de l’avancée de la lésion cancéreuse, non comme le signe de l’installation d’une toxicomanie.

Mais, dans la mesure même où les symptômes douloureux étaient mieux contrôlés, d’autres aspects de la souffrance se donnèrent à voir. Libérés de la douleur obsédante, les patients exprimaient leurs émotions, leurs angoisses, ils évoquaient des problèmes familiaux, relationnels. Interrogée un jour sur sa douleur, une vieille dame répondit : « La douleur ? Mais tout est douleur ! ».

A partir de cette réaction, et de bien d’autres du même type, Cicely forgea le concept, tout à fait central dans le Mouvement des Soins Palliatifs, de «douleur totale » (en anglais « Total Pain »).

Expérience complexe et bouleversante, la douleur intègre à côté d’éléments physiques, des facteurs psychiques, sociaux et spirituels, qui non seulement coexistent mais interférent entre eux. C’est pourquoi le contrôle de la douleur et des autres symptômes physiques a une telle importance. Sauf dans des cas exceptionnels, il est vain d’espérer une détente psychique là où l’on n’a pas su ou pas pu apporter un soulagement physique. Cicely le comprenait de mieux en mieux et n’a cessé de le redire. (…)

Pendant ces années, Cicely découvrit encore que le don de soi fait à ceux que l’on «accompagne » est à double sens.

Dans ce combat contre la souffrance, les patients eux-mêmes sont les premiers acteurs. Ils le sont avec courage et bon sens. A ceux qui les soulagent physiquement, ils accordent quelquefois le privilège d’aller plus loin avec eux, à savoir de partager l’intimité de leur vie intérieure, de leur souffrance morale. C’est difficile à vivre pour les soignants mais source d’une telle grande leçon d’humanité.

Dans le même temps, Cicely constatait combien il était difficile, pour les médecins et le personnel soignant, de prendre en charge les malades en phase terminale. (…) Elle en comprit l’origine, à savoir l’incapacité à accepter la mort lorsque celle-ci devenait inéluctable, quand la médecine avait épuisé ses ressources et que le corps ne pouvait plus lutter. (…)

En 1959, le temps de penser à la réalisation de l’établissement projeté était venu. Après une retraite (depuis la « conversion » de sa jeunesse, Cicely Saunders était restée profondément chrétienne), elle mit par écrit ses pensées : deux textes qui furent réécrits à plusieurs reprises mais qui contiennent déjà toute son intuition.

Le premier, intitulé The Need est court. Il examine les besoins des patients en phase terminale, et, notamment, ceux des personnes âgées. Ces besoins sont grands et ils sont trop souvent méconnus. Cicely affirme pourtant sa conviction qu’il doit être possible d’assurer jusqu’à la fin aux patients un certain confort et une absence de douleur.

Le second, The Scheme, trace déjà les grandes lignes de ce qui devait devenir le célèbre St Christopher’s Hospice, référence mondiale du Mouvement des Soins Palliatifs : un lieu d’accueil, d’inspiration religieuse, pour les patients en phase terminale. (…)

Commencèrent alors dix-sept années de réflexion et de démarches. II fallait collecter des fonds, trouver un terrain, susciter une équipe. Cicely a toujours conçu celle-ci à l’instar d’une communauté. Elle souhaitait voir régner entre les futurs résidants de l’Hospice, entre les soignants et autres collaborateurs une ambiance chaleureuse, un esprit d’amitié et de prise en charge mutuelle. Comment atteindre un tel objectif ? Cicely pensa un moment trouver un modèle auprès de communautés en train de se créer. Finalement, elle renonça à toute structure formelle. La « communauté » du futur Hospice serait fondée non sur des réglementations et des engagements mais sur un esprit et sur les comportements que celui-ci susciterait. (…)

Les familles ont eu, depuis le premier jour, accès à St Christopher. Elles sont encouragées à visiter leur malade de 8 h. à 20 h., à amener les enfants et les animaux domestiques, à faire des promenades dans le parc, à célébrer les anniversaires de naissance et de mariage comme elles le feraient à la maison. Des salons, à chaque étages, facilitent ces rencontres.

Dés 1969, St Christopher’s Hospice s’adjoignait un service d’hospitalisation à domicile. Une des grandes convictions de Cicely Saunders est que la plupart des patients souhaiteraient finir leurs jours chez eux, dans leur cadre familier et entourés des leurs. (…)

Ce même souci des familles devait amener la création, en 1971, d’un service de suivi de deuil. (…)

Le service de suivi de deuil, qui intègre, à côté des travailleurs sociaux, des bénévoles spécialement formés, se tient à la disposition de ceux qui, parmi les endeuillés, auraient besoin d’un accompagnement personnalisé.

Au début des années 1970, le travail accompli par Cicely Saunders et ses collaborateurs de St Christopher’s Hospice acquérait une audience internationale. Après une année de formation à St Christopher’s Hospice, le Dr Mount, un chirurgien au Royal victoria Hospital de Montréal, devait créer, au début de 1975, la première « Unité de Soins Palliatifs » au monde.

La même année 1975, deux articles aux USA et un en France faisaient connaître St Christopher’s Hospice à un plus large public.

Aujourd’hui c’est dans le monde entier que sont connus et pratiqués les soins palliatifs.

Marie-Louise LAMAU

Dominicaine, Docteur en Théologie et en Anthropologie et Histoire des religions, cofondatrice et secrétaire générale puis directrice du Centre d’Éthique Médicale (CEM) de l’université Catholique de Lille à partir d’octobre 1984.

Source : biblio.domuni.eu

Voir le thème de ce numéro : Notre départ de ce monde