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Waris Dirie

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Elle se dévoue sans compter pour toutes les petites filles qui continuent en Afrique et ailleurs à être mutilées dans une indifférence quasi générale.

A l’occasion du 8 mars, la programmation d’Arte nous a permis de découvrir un film bouleversant, « Fleur du Désert » qui raconte le destin de Waris Dirie. Elle consacre sa vie à essayer de sauver les fillettes africaines des mutilations génitales féminines qu’elle a elle-même subies.

Excisée à l’âge de trois ans, elle n’a que treize ans lorsqu’elle s’enfuit du camp nomade où vivent ses parents, ses frères et sœurs, pour échapper à un mariage arrangé. Après plusieurs jours d’errance dans le désert somalien, elle gagne Mogadiscio (capitale de la Somalie) où se trouve sa grand mère.

Pour la soustraire à la colère du père, celle-ci l’envoie à Londres à l’ambassade de Somalie où se trouve son oncle. Elle y reste six ans, sans pouvoir sortir de l’ambassade ni apprendre l’anglais. Le renversement du gouvernement somalien force l’ambassadeur et sa famille à repartir en Somalie. Waris se retrouve seule à Londres. Après quelques mois de travail dans un resto-rapide et logeant dans un YMCA, elle est repérée par le photographe britannique Terence Donovan qui la fait poser pour la couverture du renommé calendrier Pirelli en 1987. Une carrière internationale de top model commence2.

Au milieu des années 1990, lors d’une entrevue pour la version américaine du magazine Marie Claire, elle témoigne de son excision et des mutilations sexuelles subies encore par des millions de fillettes en Afrique.

Ci dessous le discours bouleversant qu’elle prononce dans le film à la tribune des Nations-Unies :

J’aime ma mère, j’aime ma famille, et j’aime l’Afrique. Depuis plus de 3000 ans, la famille pense sincèrement qu’une fille non excisée est impure, parce que ce que nous avons entre les jambes est impur, alors il faut l’enlever, puis tout boucher en gage de virginité et de vertu. Et la nuit de noces, le mari prend une lame ou un couteau et ouvre l’accès pour pénétrer sa jeune épouse.

Une fille non excisée ne peut pas se marier, par conséquent elle est expulsée de son village et mise au même niveau qu’une putain.

Cette pratique subsiste, bien que non écrite dans le Coran. On trouve normal que, suite à cette mutilation, les femmes souffrent toute leur vie mentalement et physiquement.

Ces femmes qui sont la colonne vertébrale de l’Afrique.

J’ai survécu, mais pas mes deux soeurs. Sufia est morte d’hémorragie après avoir été mutilée et Amina est morte en couches, son enfant encore dans son ventre. Combien notre continent serait plus fort si ce rituel absurde était aboli.

Il y a un proverbe en Somalie : le dernier dromadaire de la file avance aussi vite que le premier. Ce qui arrive à la moindre d’entre nous nous affecte tous.

Quand j’étais petite, je ne voulais pas devenir une femme. Pourquoi, puisque c’est si douloureux et si triste?

 Maintenant que j’ai grandi, je suis fière d’être ce que je suis.

Mais dans l’intérêt de tous, essayons de changer ce que veut dire être une femme.

Ses livres :
Fleur du désert : du désert de Somalie à l’univers des top-models, 1998
L’Aube du désert,2002
Desert Children,2005
A letter to my mother, 2007

Le film Fleur du désert, de Sherry Hormann, a été tourné d’après sa biographie. 

Une interview sur Youtube à l’occasion de la sortie du film en 2010.

Un appel de Waris Dirie

Soutenir sa fondation : https://www.desertflowerfoundation.org/fr/projets.html

Interview de Waris Dirie dans Marie Claire à l’occasion de la sortie du film. par Béatrix de l’Aulnoit ( Archives 2010

Le film aurait pu s’appeler « Le fabuleux destin de Waris Dirie ». L’histoire d’une gardienne de chèvres somalienne devenue femme de ménage à ­Londres, puis repérée par un photo­graphe de mode. Waris Dirie a été mannequin, ambassa­drice à l’Onu, auteure d’un best-seller, et aujour­d’hui star d’un film sur sa vie. Avec ses parents ­éleveurs nomades. Ses onze frères et sœurs. Et elle, si grande, si belle que tous les hommes veulent l’épouser. Hélas ! Dans le désert ne se cache aucun prince charmant. Pour cinq chameaux, son père la vend à un vieillard. L’ado, alors, se dresse contre son mauvais sort, fuyant la hutte familiale, marchant quatre jours pieds nus dans le sable brûlant. Sans manger ni boire. Son père la poursuivant de dune en dune, jusqu’à ce qu’il disparaisse comme un point à l’horizon. Elle a 13 ans, ne sait ni lire ni écrire, ignore où est Mogadiscio. Et pourtant, inscrite au plus profond d’elle, cette idée que seule la ville la libé­rera des traditions barbares de son clan.

A 3 ans, Waris a été « mutilée » : ablation du clitoris, des petites et grosses lèvres. N’ayons pas peur des mots. Encore aujourd’hui, elle en ­souffre. Comme ses sœurs, ses tantes et des millions de femmes qui, depuis la nuit des temps, deviennent folles dans leur corps et dans leurs têtes. Ou même en meurent. En silence. Et c’est bien cela le drame. Car cette mutilation, comme la plupart des gamines, Waris l’a réclamée à sa mère.

Pourquoi ? Parce que, la veille, les petites filles mangent mieux. Et elle qui n’avait bu que du lait de chamelle était avide de la moindre gâterie. Aucune de ses sœurs ne lui avait parlé du cauchemar. Il a commencé le lendemain, quand une femme surgie de nulle part a sorti la lame de rasoir de son sac crasseux. Quelques minutes plus tard, les morceaux du sexe de la fillette séchaient au soleil tandis que la vieille recousait la plaie avec des épines d’acacia. Pendant des semaines, impossible de faire pipi sans une brûlure atroce. L’absence de plaisir sexuel, lui, dure toute la vie.

Dès que vous prononcez le mot « excision », Waris Dirie se dresse, telle une panthère, fu­rieu­se, sauvage, magnifique : « Le vrai mot, c’est « mutilation ». Vous connaissez la différence ? Vous ne pouvez pas vous appro­cher de quelqu’un et lui ­couper la main en disant : « C’est la tradition. » Non, c’est un crime. Vous allez immédiatement en prison. Mais là, évidemment, c’est un problème de ­femme, de vagin, alors personne ne dit rien. »

Ce combat, Waris Dirie est la première à l’avoir mené en images. La première à avoir osé briser le tabou. La première à accepter de livrer ses secrets les plus douloureux aux médias, pour que plus une fillette ne vive son enfer.

Waris Dirie: « Lors de mon excision, ma mère ne voulait pas de taches de sang sur les couvertures »

Marie Claire : Dix ans après le livre, le film. Est-ce plus intime encore de se voir à l’écran ?

Waris Dirie : Oui et non. Cela m’a bouleversée de me voir sur grand écran. Mais en même temps le film traite de mon enfance, de mes galères de sans-papiers à Londres, de mes débuts comme mannequin… Du passé pour moi. Je sais que le film est bon, c’est ce qui m’importe. Je veux qu’après l’avoir vu, les spectateurs réalisent l’horreur et se mobilisent. Pour ­quelles raisons cela continue aujourd’hui ? Je n’ai pas la réponse.

MC: Aviez-vous décidé d’écrire le livre pour les mêmes raisons ?

Waris Dirie: On me répétait que cela ne s’arrêterait jamais si je ne faisais rien. Je me suis dit : « OK, ce problème, il faut l’incarner avec des yeux, des jambes, une voix, un visage. Comment ? En me mettant en scène. Rien ne sera plus fort que de raconter ma propre histoire. » J’ai accepté le rôle.

MC: Pourquoi pas une femme ne l’avait fait avant vous ?

Waris Dirie: Pas facile de déballer en public sa vie la plus privée.

MC: Les images les plus fortes sont celles où vous êtes mutilée. Est-ce que cela s’est réellement passé comme cela, en pleine nature, dans le désert ?

Waris Dirie: Tout est vrai dans le film.

Le livre et le DVD

MC: Mais pourquoi sur une pierre ?

Waris Dirie: Dans le désert, il n’y a pas d’hôpital, pas de maison. Ma mère ne voulait pas de taches de sang sur les couvertures.

MC: Cette femme, d’où venait-elle ?

Waris Dirie: Je n’en sais rien. Je ne la connaissais pas…

MC: Elle savait que c’était criminel ?

Waris Dirie: Bien sûr ! Une femme de 60 ou 70 ans, elle sait. Ces femmes sont des veuves sans revenu. La seule façon pour elles de gagner leur vie, c’est de mutiler dix fillettes par jour. Elles utilisent lames de rasoir, ciseaux, couteaux, verre, pierres…

MC: En Somalie, elles officient encore ?

Waris Dirie: Partout. Et aussi au Mali et dans tous les autres pays.

Waris Dirie: « J’ai connu le martyre à 3 ans »

MC: Quels sont les chiffres ? L’Unicef parle de 70 millions d’Africaines de 15 à 49 ans victimes de mutilations sexuelles…

Waris Dirie: Tous les chiffres sont faux ! Je le sais parce qu’avec ma fondation je m’efforce de les connaître. La vérité, c’est que chaque année dans le monde 2 millions de fillettes risquent d’en être victimes, soit près de 6 000 par jour. En Afrique mais aussi au Moyen-Orient, et même en Europe et aux Etats-Unis, où les immigrés apportent leurs tradi­tions.

MC: Dans les grandes villes comme Le Caire, cela tendrait quand même à diminuer…

Waris Dirie: Mais en Egypte les femmes ne racontent rien ! C’est un pays musulman, et elles ne peuvent s’exprimer ouvertement, ­parler d’elles et de leurs problèmes. Il y a les mutilations, les maria­ges forcés, les femmes battues, les viols, les ­violen­ces ­sexuelles. Ce n’est pas ici ou là. C’est partout !

MC: En France, par exemple, c’est interdit.

Waris Dirie: Ce n’est pas assez. Vous n’avez aucune idée de ce qui se passe à l’intérieur des communautés qui conservent leurs croyances. Il faudrait plus de contrôles. C’est la responsabilité du gouvernement, des écoles et des médecins. Ils peuvent le ­faire. Ils doivent éduquer, dire que quiconque enfreindra la loi sera puni. Quelle est cette ­civilisation qui accepte qu’un homme puisse ­mutiler sa fille ou brûler sa femme ?

MC: Pourquoi les femmes ont-elles si peur de dire non ?

Waris Dirie: Elles ne savent pas qu’elles méritent le respect et l’amour. Elles n’y pensent même pas. Ma mère n’avait pas son mot à dire. Mon père n’avait pas conscience de la souffrance qu’il m’imposait. Il savait seulement que s’il voulait marier sa fille il fallait qu’elle soit mutilée, sinon elle aurait été considérée comme impure, obsédée par le sexe. Et dans nos socié­tés nomades, il n’y a pas de place pour une célibataire.

MC: Cela signifie que toutes ces femmes ne ressentent aucun plaisir dans l’amour ?

Waris Dirie: Evidemment, et même pire. C’est pour cela qu’il faut arrêter ce ­crime. Le monde entier doit l’exiger !

MC: Enfant, entendiez-vous vos sœurs, vos tantes ou vos grands-mères en parler ?

Waris Dirie: Personne n’en parle. La souffrance, l’amour, le plaisir… c’est le silence complet. Moi-même je n’ai compris que plus tard toute l’horreur de ce qui m’était arrivé.

MC: Quelle aurait été votre vie si vous vous étiez mariée avec l’homme que votre père vous destinait ?

Waris Dirie: J’aurais été l’une des cinq épouses d’un homme dont j’aurais eu vingt enfants et qui m’aurait battue. Je ne pouvais l’accep­ter. C’était impossible.

MC: Quand vous regardez votre vie, le pire aura été cette mutilation ?

Waris Dirie: Aujourd’hui je suis heureuse. J’ai deux fils magni­fiques. J’ai vécu à Londres, New York, Vienne, et maintenant je décou­vre la Pologne… J’ai eu beaucoup de chance. Mais oui, j’ai connu le martyre à 3 ans.

Waris Dirie: « Les femmes doivent éduquer les garçons. Chaque mère possède la clé du monde »

MC: Comment avez-vous réagi à Londres, quand vous avez appris que pas une Anglaise n’était mutilée ?

Waris Dirie: J’étais folle de rage. Au fond de moi je savais que la muti­lation était une mauvaise chose, mais je pensais que la loi était la même pour toutes les femmes de la planète. C’est alors qu’est née mon envie de me battre. Comment ­accepter le non-sens et l’abus ? Pourquoi ?

MC: Vous n’étiez jamais allée à l’école ?

Waris Dirie: Non, j’ai appris à lire et à écrire en Angleterre. Ma mère m’avait juste appris à être obéissante et respectueuse.

MC: Et votre père ?

Waris Dirie: Amour et respect. Mais en même temps je voyais bien que ce n’était pas normal d’être mariée à quelqu’un que je n’avais pas choisi. Je n’ai pas dit non. J’ai pensé : « C’est cela le plan pour moi. Ah, ah ! Bonsoir papa, j’ai mon propre plan. »

MC: Et votre mère vous a aidée ?

Waris Dirie: Oui, elle m’a réveillée avant l’aube et m’a dit : « Pars et trouve ton bonheur. » Elle-même venait de la ville et avait épousé mon père par amour. Elle savait que j’étais différente. Me donner sa bénédiction, cela n’était pas facile pour elle. Je pouvais mourir de faim, être mordue par une bête sauvage. Mais elle avait confiance en moi. Je l’aime.

MC: Quel conseil donneriez-vous à une jeune Somalienne ?

Waris Dirie: N’accepte rien que tu n’aies décidé. Tu as des droits. Bats-toi pour qu’on te respecte. Tu ne dois pas avoir peur.

MC: Etes-vous toujours ambassadrice des Nations unies ?

Waris Dirie: Non. Il y a un tel fossé entre le titre et la réalité. Ou plutôt entre le discours et ce qu’ils font réellement sur le terrain.

MC: Combien de temps êtes-vous restée ambassadrice ?

Waris Dirie: Deux ans, jusqu’à ce que je réalise qu’il y avait un os. En fait, ils n’ont aucun inté­rêt à faire cesser les mutilations sexuelles, sinon ils le ­mettraient en tête de l’agenda. Si tous les hommes politiques se levaient en même temps pour affir­mer ­publiquement que c’est intolérable, moi je n’aurais rien à faire. On ne serait plus là à en parler encore aujourd’hui.

MC: Pourquoi ne pas vous lancer dans la politique ?

Waris Dirie: Il y en a tant qui veulent le job. Moi je suis la présidente des femmes de la planète. Je me bats pour qu’enfin les hommes sachent que nous sommes des créatures spéciales car nous donnons la vie. Ils devraient embrasser les pieds des femmes. Et au contraire, ils nous battent, nous violent, nous tuent.

MC: Quelle est la solution ?

Waris Dirie: Les femmes doivent éduquer les garçons. Chaque mère possède la clé du monde.

MC: Vous avez deux fils, voulez-vous d’autres enfants ?

Waris Dirie: Oui, j’aimerais avoir une fille, je l’emmènerais dans les ­endroits où les femmes peu­vent mener leur vie ­comme ­elles l’entendent, et je lui dirais que le pouvoir de contrôler sa vie est en soi.

MC: Pourquoi n’aimez-vous pas qu’on vous dise que vous êtes belle ?

Waris Dirie: C’est contraire à mes convictions. Je veux bien qu’on me trouve belle à l’intérieur. Alors merci. Mais si vous voyez autre chose… Je ne sais pas pourquoi ce monde est si obsédé par la beauté. Est-ce que vous savez le stress que cela donne aux femmes en France ? Marchez dans la rue, et vous verrez le nombre de femmes naturelles. Il n’y en a pas ­beaucoup. C’est ce que je répète aux gens : « Vous vivez pour vous-­même, pour votre famille, pour la joie et être ensemble. »

MC: Etes-vous pratiquante ?

Waris Dirie: La seule religion que je pratique, c’est la nature. Hélas, nous avons oublié ses lois, l’homme a créé les siennes, souvent atroces pour les femmes. Mon corps était parfait à ma naissance. On m’a dérobé ma féminité et laissée infirme. Si on tranchait le sexe des hommes et qu’on les laissait ensuite errer sans soins, saigner à mort, peut-être comprendraient-ils ce qu’ils font subir aux femmes.

MC: Pourriez-vous revivre en Somalie ?

Waris Dirie: La moitié de ma famille est toujours là-bas. Mais depuis 1991, le pays est en proie à une guerre civile. J’y reviendrai quand ce sera un pays normal.

MC: Vos parents vivent-ils toujours dans le désert ?

Waris Dirie: Non, c’est devenu trop dur à cause de la sécheresse. Je leur ai fait construire une petite maison. Maman a encore quatre ou cinq chèvres, ­qu’elle suit pendant la journée et rentre le soir. Seule diffé­rence : elle a un télé­phone, et je peux l’appeler.

MC: Est-ce qu’elle est fière de vous ?

Waris Dirie: On n’en parle pas.

MC: Pourquoi voulez-vous aller en Tanzanie ?

Waris Dirie: Pour créer une ferme, faire pousser des légumes… J’emploierai des femmes et je ferai construire une école pour les enfants. Pour trouver des fonds, je viens de dessiner une collection de bijoux écolos en or. Je voudrais aussi lancer une mode sportive, style Puma. J’ai 45 ans et je veux montrer aux Africaines qu’elles peuvent faire comme moi. J’élevais des moutons et des chèvres. Je ne suis jamais allée à l’université. C’est mon plan : que les femmes redonnent naissance à l’Afrique.

MC: Sans hommes ?

Waris Dirie: Les hommes sont les bienvenus s’ils sont d’accord sur ce projet. Mais je crains qu’ils ne soient les mêmes partout. Je me demande combien de temps un homme passe à penser à son  pénis. Sans ces poussées régulières de testostérone, il n’y aurait plus ni guerres, ni massacres, ni viols.

MC: Vous vivez seule. Etes-vous dans une phase où vous ne voulez plus d’homme ?

Waris Dirie: Mon dieu, non ! J’adore les hommes. Mes deux fils sont des petits hommes. Les hommes ont leur utilité sur la planète. Mais ils doivent être intelligents, bons et avoir le sens de l’humour. La vie alors peut être très drôle.