Réflexions partagées par Ajahn Medhanandi,
lors d’une retraite sur la mort et les mourants,
Monastère bouddhiste Amaravati. Novembre 1996.
Dans la méditation, nous pouvons aller profondément dans l’esprit, questionner: qui sommes-nous vraiment ?
Qui meurt? … Parce que ce qui meurt, ce n’est pas qui nous sommes.
… La souffrance est notre maître, c’est par notre propre expérience et notre capacité à contempler la souffrance que nous apprenons la Première Noble Vérité.
Tant que nous gardons quelque chose de négatif
dans nos cœurs – envers nous-mêmes ou quelqu’un d’autre –
Nous ne pouvons pas réaliser pleinement notre vraie nature.
Nous ne pouvons pas être libre.
Durant ces jours de pratique ensemble, nous avons lu les noms de plusieurs personnes – nos bien-aimés défunts, et aussi des parents, des membres de notre famille, des amis, qui éprouvent des difficultés en ce moment et même souffrent des agonies indicibles. Il y a tellement de misère autour de nous, comment acceptons-nous tout cela? Nous entendons parler de suicides, du cancer, d’accidents vasculaires cérébraux , de maladies neurodégénératives – qui brisent la vie de tant de jeunes . Et la vieillesse, la maladie, la décrépitude et la mort brisent la vie de nombreuses personnes âgées qui ont encore beaucoup de choses qu’elles veulent faire. Pourquoi cela arrive-t-il ?
La mort est partout autour de nous dans la nature. Nous entrons dans la saison maintenant où tout est en train de mourir. Il s’agit d’une loi naturelle, ce n’est pas quelque chose de nouveau. Et pourtant, encore et encore, nous continuons à nier cette loi, à faire de notre mieux pour prétendre que nous n’allons pas mourir, que nous n’allons pas vieillir, que nous serons en bonne santé, prospères et sagee jusqu’au dernier moment.
Nous sommes constamment identifié avec notre corps. Nous pensons que :’C’est moi’, ou encore »je suis mon corps, je suis ces pensées. Je suis ces sentiments, je suis ces désirs, je suis cette richesse, ces belles possessions que j’ai, cette personnalité ». C’est là que nous nous égarons. En raison de notre ignorance nous courons après des ombres, vivons dans l’illusion, incapables de faire face aux tempêtes que la vie nous apporte. Nous ne sommes pas en mesure d’y résister comme ces chênes qui bordent la prairie à Amarâvatî – qui passent tout l’hiver et toutes les tempêtes qui arrivent. En Octobre, ils perdent leurs feuilles, avec tant de grâce. Et au printemps, ils fleurissent à nouveau. Pour nous aussi, il y a des haurs et des bas, des naissances et des décès, les saisons de nos vies. Lorsque nous sommes prêts, et même si nous ne sommes pas prêts, nous allons mourir. Même si nous n’avons pas été malades un seul jour dans notre vie, nous mourons tout de même, c’est ce que les organismes sont censés faire.
Lorsque nous parlons de mourir avant de mourir, cela ne signifie pas que nous devrions tenter de nous suicider pour éviter la souffrance, cela signifie que nous devrions utiliser cette pratique, cette contemplation, pour comprendre notre vraie nature. Dans la méditation, nous pouvons aller profondément dans l’esprit,pour questionner : qui sommes-nous vraiment ? Qui meurt ? … Parce que ce qui meurt, ce n’est pas qui nous sommes.
La mort peut être paisible. Une mort paisible est une grâce, une bénédiction pour le monde, c’est tout simplement le retour des éléments aux éléments. Mais si nous n’avons pas pris conscience de notre vraie nature, cela peut sembler très effrayant, et nous pouvons avoir de fortes résistances. Mais nous pouvons nous préparer, en cherchant qui nous sommes vraiment, nous pouvons vivre consciemment. Puis, quand le moment sera venu, nous pouvons mourir consciemment, totalement ouvert, tout comme les feuilles qui tombent de l’arbre en tourbillonnant, comme les feuilles sont censées faire.
Courir après des ombres… Qu’est-ce que nous cherchons vraiment dans la vie? Nous sommes à la recherche du bonheur, d’un refuge sûr, de la paix. Mais où cherchons-nous ces choses? Nous essayons désespérément de nous protéger par l’accumulation de plus en plus de possessions, en ayant des serrures de plus en plus grandes sur notre porte, avec des systèmes d’alarme. Nous sommes constamment en train de nous blinder contre les autres – en augmentant notre sentiment de séparation – en ayant davantage de biens matériels, plus de contrôle, en sentant notre propre importance grâce à notre qualification, à nos études universitaires. Nous nous attendons à plus de respect, et nous exigeons des solutions immédiates, notre culture est une culture de la gratification instantanée. Du coup, nous sommes constamment au bord de l’insatisfaction – si notre ordinateur se grippe, si nous ne faisons pas tel ou tel business, ou si nous n’obtenons pas cette promotion au bureau.
Il ne s’agit pas de nier le domaine matériel. Nous avons besoin de supports matériels, de la nourriture, des vêtements, des médicaments, nous avons besoin d’un abri et de protection, d’un lieu de repos, nous avons besoin aussi de chaleur humaine et d’amitié. Il y a beaucoup de choses qdont nous avons besoin pour faire ce voyage. Mais à cause de notre attachement aux choses, et de nos efforts pour y trouver un accomplissement, nous gardons une faim, une insatisfaction, parce que nous cherchons au mauvais endroit. Quand quelqu’un devient soudainement malade, perd une jambe, a un accident vasculaire cérébral, est confronté à la mort, a le sida et doit supporter des souffrances indicibles, que faisons-nous? Où est notre refuge?
Lorsque le Bouddha, avant son illumination, était encore le prince Siddhartha, il avait tout. Il avait ce après quoi la plupart des personnes dans le monde courent, tout en repoussant la mort aux frontières de leur vie, comme elles repoussent la connaissance de leur propre mortalité à la frontière plus éloignée de leur conscience. Siddharta était un prince. Il avait une épouse aimante et un enfant. Son père avait essayé désespérément de le protéger des misères de la vie, lui offrant tous les plaisirs des sens, y compris un palais différent pour chaque saison. Mais il ne parvint pas à empêcher son fils de voir la réalité, et un jour le prince sortit et vit ce qu’il avait à voir : les quatre messagers célestes.
Certains d’entre nous pourraient penser que c’est contradictoire qu’un messager céleste puisse prendre la forme de quelqu’un de très malade: «Qu’y a-t-il de céleste dans une personne très malade ? Mais c’est un messager divin, parce que la souffrance est notre maître, c’est par notre propre expérience et notre capacité à contempler les souffrances que nous apprenons la Première Noble Vérité.
Les deuxième et troisième messagers étaient un très vieil homme avançant avec peine le long de la route, et un cadavre en décomposition, plein de vers et de mouches, sur le bûcher funéraire. Ce sont ces choses que le Bouddha a vu qui lui ont ouvert les yeux à la vérité sur la vie et la mort. Mais le quatrième messager céleste était un Samana, un moine, un symbole du renoncement, de quelqu’un qui avait abandonné le monde afin de découvrir la Vérité en lui.
Beaucoup de gens veulent escalader le mont Everest, la plus haute montagne du monde, mais en fait il y a un Himalaya ici, à l’intérieur de chacun de nous. Je veux escalader cet Himalaya, à la découverte de cette Vérité en moi-même, pour atteindre le summum de la compréhension humaine, pour réaliser ma propre nature. Tout ce qui se trouve sur le plan matériel, en particulier ce pour quoi nous investissons une grande part de notre énergie, semble bien insignifiant et sans importance en regard de cette éventuelle transformation de la conscience.
C’est ainsi que ces quatre signes célestes ont indiqué le chemin au jeune Siddhartha. Ils l’ont mis sur le chemin. Ce sont les messagers qui peuvent nous guider vers le chemin de la Vérité et nous éloigner de la voie de l’ignorance et de l’égoïsme, où l’on lutte, empêtrés dans des vues erronées, incapable de faire face à nos ténèbres, à notre confusion, et à notre douleur. Comme Steven Levine le dit : La distance de notre douleur, de nos blessures, de nos peurs, de notre chagrin, est la distance de notre vraie nature.
Nos esprits créent l’abîme – ce grand gouffre. Qu’est-ce quinous permet de traverser ce fossé ? Comment être plus près de ce que nous sommes vraiment ? – comment pouvons-nous réaliser cet amour pur en nous-mêmes, cette paix sublime qui ne bouge pas et qui ne rejette rien? Pouvons-nous embrasser tous les chagrins et les douleurs de la vie dans une étreinte compatissante, qui peut se manifester profondément dans nos cœurs grâce à une vigilance nue, la pleine conscience et la réflexion sage, touchant le centre de notre être? Alors que nous réalisons qui nous sommes, nous apprenons la différence entre la douleur et la souffrance.
Qu’est-ce que le chagrin vraiment? Il est naturel que lorsque quelqu’un dont nous sommes proches meurt, nous pleurons. Nous sommes attachés à cette personne, nous sommes attachés à sa compagnie, nous avons des souvenirs de moments passés ensemble. Nous avons dépendu l’un de l’autre pour beaucoup de choses – confort, intimité, soutien, amitié, aussi nous éprouvons cette perte.
Quand ma mère était mourante, sa respiration était laborieuse et les fluides corporels commencaient déjà à se putréfier, elle est soudainement sortie d’un coma profond, et ses yeux rencontrèrent les miens avec toute sa conscience. Du fond de la maladie d’Alzheimer qui l’avait empêché de me reconnaître pendant les dix dernières années, elle était revenue à ce moment pour être pleinement consciente, souriant avec une joie surnaturelle, resplendissante. Un moment radieux pour nous deux. Et puis, l’instant d’après, elle avait disparu.
Où était la maladie qui nous l’avait enlevée pendant tant d’années? À ce moment, il y avait la réalisation de la vacuité de la forme. Elle n’était pas ce corps. Il n’y avait pas de maladie d’Alzheimer et «elle» ne mourait pas. Il y avait juste cette impermanence à réaliser avec le cœur et la disparition, la dissolution des éléments qui retournaient à leur source.
Grâce à la connaissance de la transcendance, grâce à l’expérience de qui nous sommes vraiment – connaître le corps comme corps – nous en venons à la prise de conscience que ce que nous croyons être est toujours changeant et nous touchons notre essence même, qui est immortelle. Nous apprenons à nous reposer dans la conscience pure.
Ajahn Medhanandi – Extrait de l’ouvrage « Gone Forth, Going beyond » (chargeable en pdf) – Traduction Bouddhisme au féminin.
Ajahn Medhanandi est abbesse de Sati Saraniya Hermitage. En 2007, elle reçoit la pleine ordination de bhikkhuni à Taiwan et est invitée au Canada pour y établir un centre. Elle y forme des nonnes et y enseigne la méditation, particulièrement pour des équipes médicales et des bénévoles impliqués dans des soins palliatifs.