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Une Matriarche chinoise : Zhyuan Xinggang – 32ème maitre de la lignée du chan de Linji (Rinzaï)

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Zhyuan Xinggang  maître du bouddhisme chan et abbesse (Jiaxing, 1597-1654). — Fille unique d’un lettré retiré, Zhiyuan Xinggang naît à Jiaxing, dans la province du Zhejiang, en Chine. Sa vocation religieuse est précoce. Alors qu’elle est promise à un jeune homme entamant une carrière de lettré qui décède avant les cérémonies du mariage, elle décide de rester célibataire. À trente-cinq ans, n’ayant plus ses parents, elle se rend seule dans un petit ermitage qu’elle s’est fait construire près de leur tombe. Elle devient disciple du maître Miyuan Yuanwu, devenu en 1624 chef du monastère de la lignée Chan de Linji au mont Jinsu, dans la région de Jiaxing. Ce dernier lui donne une énigme, un huatou, à résoudre : « Où puis-je reposer paisiblement et établir mon destin ? » Au bout d’un an, n’ayant guère progressé, elle se rend auprès de Shiche Tongcheng, un disciple de Miyuan qui a repris son monastère. Elle poursuit son cheminement avec un autre huatou à résoudre : « Quel est le visage originel avant la naissance du père et de la mère ? »

De retour dans son ermitage, elle continue à méditer, ne lâchant pas son énigme. Plongée dans un doute profond, elle fait l’expérience d’un voile qui se déchire et comprend :
« Avant la naissance du père et de la mère
Le vide était condensé en un silence complet
Dès l’origine, rien ne manquait
Les nuages se sont dispersés, découvrant le ciel bleu. »

La première prise de conscience de sa nature profonde intervient quatre ans après le début de sa vie mystique, en 1636, à trente-neuf ans. Par la suite, elle connaît d’autres expériences. Un jour, alors qu’elle descend de la terrasse où on lui a coupé les cheveux, elle ressent soudain « comme une ouverture où chaque chose devant elle disparaît, y compris son corps et son esprit ». En 1638, son maître reconnaît sa réalisation, dont témoigne, conformément à la tradition dans le chan, un dialogue entre le disciple et son maître. La considérant comme « un modèle pour ceux qui viendront après », il lui transmet le sceptre qui exauce les désirs (ruyi), instrument des discours des moines.

Zhiyuan devient une des rares femmes inscrites dans une lignée de maîtres, elle est considérée comme disciple à la trente-deuxième génération dans la lignée du chan de Linji (Rinzai).

Suscitant des jalousies, des rivalités et des discussions, elle repart dans son ermitage où elle reste trois ans en réclusion (biguan), une méthode controversée par certains adeptes du chan de l’école Cao Dong notamment. À sa sortie de retraite, elle fait un sermon et y décrit ses progrès spirituels :
«[…] je reste dans une profonde solitude, heureuse et persévérante.
Je suis assise, le corps droit, il n’y a plus ni intérieur ni extérieur.
Je force les limites du vide, j’élimine toute entrave.
Comme il n’y a ni intérieur ni extérieur,
je me libère encore et encore de toute entrave.
Détachée du corps et de toute caractéristique,
je peux voir le corps [véritable] devant moi,
les trois mille milliards de mondes dans un poil,
les champs des dix directions réunis dans un grain de moutarde.
Je suis libre et sans contrainte, je réagis selon les circonstances.
Un seul khat ou un seul poing et soudain tout se dévoile et je me tiens solidement debout. »

En 1647, Zhiyuan Xinggang est invitée par un groupe de laïcs de la région de Jiaxing à être la première abbesse du temple du Lion soumis (Fushi yuan), un ancien ermitage d’une grande famille de la région. Son monastère a de la tenue ; la plupart des femmes de l’élite locale viennent lui rendre visite et la respectent. Elle y forme nombre de disciples, parmi lesquelles sept femmes qui deviennent à leur tour d’illustres maîtres, dont Yikui Chaozhen, l’auteure d’une biographie détaillée de son maître.

monastère à Taiwan

Après de nombreuses années de vie contemplative, elle mène une vie très active, rencontre beaucoup de personnes, fréquente l’élite loyaliste à l’ancienne dynastie des Ming, organise les services religieux. Elle délivre de nombreux sermons, recueillis et publiés par ses sept proches disciples sous le titre « Entretiens du maître chan Zhiyuan du temple du Lion soumis » (Fushi Zhiyuan chanshi yulu, 1655).

Peu avant sa mort, elle prévient ses disciples, désigne celle qui va lui succéder, puis meurt, assise en position du lotus, ce qui, dans le bouddhisme chan, est le signe d’une très haute réalisation. Juste avant de mourir, elle laisse ce poème :
« Comme la lune brillant sur mille rivières,
Le disque lumineux brille, pur et sans souillure.
Maintenant je vais enseigner, assise en lotus.
Les êtres vivants vont regarder et voir à travers cela.
Si vous demandez quel est mon dernier mot,
Je taperai des mains et dirai : “C’est cela.” »

Zhiyuan meurt à l’âge de cinquante-huit ans. Ses disciples lui construisirent un stupa dans lequel on plaça son corps qui, dit-on, resta souple et comme vivant.

Catherine Despeux

Bibl. : Études : B. GRANT, « Female Hôlder of the Lineage : Linji Chan Master Zhiyuan Xinggang (1597-1654) », Late Impérial China, 17, n° 2, décembre 1996, p. 29-58; ID., Eminent Nuns, Honolulu, Universityof Hawaii Press, 2009, p. 58-106.

Source : Les Femmes Mystiques, Histoire et Dictionnaire sous la direction d’Audrey Fella

Catherine Despeux est une sinologue française. Elle est professeur émérite de l’Institut national des langues et civilisations orientales et administratrice de l’Institut d’études bouddhiques. Elle a publié de nombreux ouvrages sur le taoïsme.