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Ruth Fuller Sasaki

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Ruth Fuller Sasaki (1892-1967) est une pionnière dans l’histoire du zen Rinzaï en Occident et particulièrement aux Etats Unis. Son rôle majeur a été largement oublié. Sa biographie publiée en 2006 sous le titre Zen Pioneer The life and works of Ruth Fuller Sasaki par Isabel Stirling a permis de redécouvrir la vie remarquable d’une femme exceptionnelle.

Ruth Fuller nait et grandit à Chicago dans un milieu très aisé. Ses études scolaires se déroulent dans les meilleures écoles privées. Sa jeunesse est un tourbillon de vie sociale et culturelle intense. Excellente musicienne, elle se rend en Suisse en 1913 pendant plusieurs mois auprès d’un grand soliste pour y parfaire sa technique pianistique ; elle étudie également le français et l’allemand en Europe durant un an et demi. En 1917, à l’âge de 24 ans, elle épouse Edward Warren Everett, un avocat de vingt ans son aîné. À la fin de 1918, elle donne naissance à une fille, Eleanor. Elle dirige une grande maison, remplie de serviteurs, emportée par toutes sortes d’obligations sociales, de réceptions, de diners d’affaires, etc. C’est alors qu’elle commence à sentir un manque et à s’intéresser à l’hindouisme et au bouddhisme. Comme dans tout ce qu’elle fait, elle se donne les moyens et se lance à fond dans ce qui l’intéresse. Elle fréquente l’université de 1927 à 1929 « suivant tous les cours et les séminaires de sanscrit, de pali et de philosophie indienne… ainsi que des conférences sur le bouddhisme. »

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En 1930, avec son mari et sa fille, elle se rend durant trois mois au Japon, en Corée, en Chine et en Mandchourie. Elle rencontre à Kyoto D.T. Susuki (marié à une américaine) qui a publié en 1922 Introduction au Bouddhisme Mahayana. Il lui donne les instructions de base pour méditer et lui dit que, si elle veut approfondir, il faudra qu’elle vienne au Japon pour étudier avec un maitre. Elle va pratiquer seule un an et demi durant lequel elle prépare un voyage au Japon pour en apprendre plus sur le Zen. En 1932, elle repart au Japon, seule.

De début avril 1932 à la fin de cette même année, elle suivra la voie des koans, avec pour maître Nanshinken Roshi au temple Nanzen-ji.
Le premier mois, six jours par semaine, elle se lève à 5h du matin, pratique zazen jusque 7h, prend son petit déjeuner et se rend pour 9h en taxi dans le petit temple privé du maitre qui ne l’a pas autorisée à méditer avec les moines. Elle poursuit zazen toute la journée, entrecoupé de quelques pauses pour manger un sandwich ou une tasse de thé. Elle rentre chez elle à pied pour avoir un peu d’exercice, puis après le diner, refait zazen jusque minuit. Après un mois de ce « régime », elle a ce qu’elle appelle « une expérience intéressante » qu’elle soumet au maitre par l’intermédiaire d’un interprète. Le maitre lui dit que désormais, elle peut méditer dans le zendo. Les moines ne sont pas enthousiastes à l’idée d’accueillir une femme dans le zendo, d’autant qu’une sesshin importante va commencer. Après avoir fait zazen une nuit entière, elle dira que la douleur était épouvantable et qu’il fallut la soulever des coussins car ses jambes étaient complètement paralysées. À partir de la troisième nuit, elle est autorisée à participer à sanzen (l’entretien avec le maitre). L’interprète lui dira que, désormais, les moines sont non seulement d’accord pour qu’elle vienne au zendo, mais qu’ils l’y invitent car elle est une inspiration pour eux. Elle s’immerge totalement dans la vie du temple de 4h du matin jusque tard le soir, inclus les rituels de sutras chantés. Elle dira toujours par la suite que « cette période a été la plus satisfaisante qu’elle ait jamais eue dans sa vie .»

À son retour à Chicago, elle entretient une correspondance fournie avec les nombreux contacts qu’elle a pris dans le monde du bouddhisme, y compris avec les rares Occidentaux qu’elle a rencontrés au Japon. Elle retourne au Japon à l’automne 1933, cette fois avec sa fille et y reprend son étude des koans durant une année entière, tandis que Eleanor, âgée de 15 ans, apprend le japonais et la cérémonie du thé. Après cette période, Ruth est ordonnée et reçoit une initiation cérémonielle avec un nom bouddhiste. Elle est particulièrement douée pour cultiver des relations et connaît un nombre impressionnant de roshis qui viennent se régaler de sa cuisine américaine. Nanshinken Roshi mourra en 1935.

De retour aux États Unis, Ruth poursuit sa pratique (c’est-à-dire sanzen, l’entretien avec le maitre) avec Sasaki Sokei-an Roshi. La santé de son mari n’a cessé de se détériorer et il meurt en 1940. Ruth s’investit dans le développement de la « Buddhist Society of America » sous la houlette de Sokei-an. De nouveaux locaux new yorkais sont inaugurés la veille de Pearl Harbor. En juin 1942, Sokei-an est interné en tant que ressortissant japonais jusque août 1943. Tous ses étudiants, Ruth, inclus, ont fait des pieds et des mains pour le faire libérer. Sa santé est malgré tout gravement altérée. Il épouse Ruth en 1944 et meurt quelques mois plus tard en 1945.

La « Buddhist Society of America » devient « the First Zen Institute of America ». Durant les années suivantes, Ruth et les autres membres de l’Institut vont avoir pour principale préoccupation de trouver un nouveau maitre pour remplacer Sokei-an. En 1949, elle repart au Japon. Outre ses nombreux contacts pour trouver un nouveau maitre pour l’Institut à New York, elle se consacre à la traduction de textes du chinois ancien et du japonais et, pour ce faire, réunira autour d’elle des experts universitaires, japonais et américains, qu’elle rétribuera généreusement.

Elle installe sa bibliothèque de travail dans Ryosen-an, un ancien temple dans l’enceinte du grand temple Daitoku-ji, qu’elle restaurera et agrandira peu à peu à ses propres frais et qui deviendra un lieu de pratique connu de tous les Occidentaux venus étudier le zen au Japon (dont Imgard Schloegl devenue Myokyo-ni Roshi que nous avons présenté). Elle est très appréciée des maitres qui sont heureux de voir ses efforts pour diffuser les textes et l’enseignement du Zen en Occident.

En 1958, lors d’une cérémonie qui sera honorée par la présence de tous les roshis de Kyoto et des environs, Ruth sera ordonnée prêtre de ce temple, devenant le premier étranger à être prêtre d’un temple Zen Rinzaï, et la seule Occidentale, mais être prêtre implique un certaine nombre d’obligations et elle prendra soin de préciser avant l’ordination, avec l’honnêteté et la liberté qui la caractérise, qu’elle ne se rasera pas la tête et qu’elle n’effectuera pas les tâches habituelles d’un prêtre, « parce qu’elle est étrangère, sans formation dans les procédures du temple, et parce que mon travail est consacré à poursuivre la propagation du Zen en Occident. « 

Entre 1959 et 1963, l’Institut publiera plusieurs petites brochures rédigées par Ruth: Zen: une Religion, Zen: une méthode d’éveil religieux, Etude du Zen Rinzai pour les étrangers au Japon, Le premier institut Zen d’Amérique au Japon, Ryosen-an une pratique au Zendo, et Le poisson en bois: Sutras de base et Gathas de Rinzai Zen.

L’un des plus importants textes que Ruth Fuller Sasaki contribuera à faire connaitre en Occident est Zen Dust : l’histoire de l’étude des koans dans la secte Rinzai (Lin-chi), publié en 1966 par son propre Institut. (texte érudit à visée universitaire).

Elle quittera ce monde à la suite d’une crise cardiaque en 1967 à Ryosen-an.

Notre commentaire : Ruth Fuller Sasaki est une femme remarquable à tous points de vue. Remarquons une chose dans son long parcours au Japon, jamais il n’est fait mention de nonnes, comme si ces dernières n’avaient aucune existence, et c’est d’ailleurs bien l’impression que l’Occident a retenu pendant longtemps, que le Zen c’était forcément une affaire de moines, de maitres au masculin et de samourais. Il faudra attendre des décennies pour que les femmes japonaises sortent de l’ombre.