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Tara, La première Féministe, par Tsultrim Allione

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Depuis qu’elle a été ordonnée il y a quatre décennies, Lama Tsultrim Allione a fait face à sa part de défis et de sexisme. Durant tout ce temps, le vœu de Tara de travailler pour le bénéfice de tous les êtres dans un corps féminin a été une source de conseils et d’inspiration.

« Quand je pense aux femmes et au bouddhisme, la première chose qui me vient toujours à l’esprit est l’histoire du vœu de Tara. Cette histoire exprime notre situation si clairement et s’applique aussi bien à la fois aux temps anciens que modernes. C’est une histoire qui a commencé quand le Mahayana a été intégré aux tantras, formant finalement ce qu’est devenu le Vajrayana en Inde. Il est emblématique d’une vague d’histoires qui ont suivi à propos de femmes puissantes qui s’appréciaient en tant que femmes dans le bouddhisme. Beaucoup d’histoires de cette époque en Inde (environ 700-800 de notre ère) nous disent ce qui se passait à la fois au plan sociologique dans la culture et dans le développement du Vajrayana. Pendant cette période, pour la première fois, le bouddhisme a eu des femmes enseignant aux hommes. C’était aussi l’aube des Bouddhas femmes et du principe de la sagesse féminine, qui commença avec Prajnaparamita, la «mère de tous les bouddhas, » dans la période Mahayana.

Tara est la première « libératrice des femmes »

L’histoire nous dit que Tara était une princesse nommée Lune de Sagesse, qui était très dévouée au dharma et avait une profonde pratique de méditation. Elle était proche de l’illumination, avec l’intention d’atteindre l’illumination pour le bénéfice de tous les êtres, quand un moine s’approcha d’elle et lui dit quel dommage c’était qu’elle ait un corps d’une femme, parce qu’elle aurait à revenir en tant qu’homme avant de pouvoir être illuminé. La princesse répliqua avec brio, démontrant sa compréhension de la vacuité et de la vérité absolue, en disant: «Ici, il n’y a pas d’homme; il n’y a aucune femme, pas de soi, aucune personne, et pas de conscience. Étiqueter «masculin» ou «féminin» est creux. Oh, combien de fous mondains se bercent d’illusions. « (Taranatha, Origine du Tantra de Tara).

Elle poursuivit en faisant le vœu suivant: «Ceux qui souhaitent atteindre l’illumination suprême dans le corps d’un homme sont nombreux, mais ceux qui veulent servir les buts des êtres incarnés dans le corps d’une femme sont peu nombreux; donc que je puisse, jusqu’à ce que ce monde devienne vide, travailler pour le bien des êtres sensibles dans le corps d’une femme « .

À partir de ce moment, la princesse se consacra à la réalisation de l’illumination complète. Une fois qu’elle eut atteint son objectif, elle en vint à être connue comme Tara, la libératrice. J’aime à dire que Tara est la première « libératrice des femmes » et que Tara verte est la cheffe spirituelle du Parti Vert, gardien de la forêt, agissant rapidement et avec compassion, avec un pied dans le monde et un pied dans la méditation; un endroit où beaucoup d’entre nous nous trouvons.

En tant que pratiquante du bouddhisme, je ne pense pas à moi-même en termes de genre. J’essaie de couper à travers ces concepts et me reposer dans la condition véritable du non né et de la vacuité lumineuse, le fondement de l’être. Cependant, j’ai continué à être impliquée dans la réémergence du féminin sacré dans la tradition bouddhiste. Je ne vois pas de conflit ou de dissonance entre ces deux points de vue. Cet engagement s’est manifesté à Tara Mandala, mon centre de retraite dans le sud du Colorado, où nous avons construit un temple de trois étages dédié aux vingt et une Taras, tous les différents aspects de la féminité éclairée. L’intérieur du temple est le foyer de statues dorées, grandeur nature, de ces Taras formant un cercle au niveau du sol, semblable aux anciens temples de la Déesse en Inde.

J’ai vécu plusieurs années en étant parfaitement inconsciente des inégalités historiques entre les moines et les nonnes

Venant d’une famille de femmes accomplies qui ont été respectées et valorisées comme égales aux hommes, je n’ai jamais senti qu’il y avait certaines choses qu’une femme ne pouvait pas ou ne devait pas faire. Quand j’ai commencé à étudier avec les Tibétains en 1967, je n’avais aucune conscience particulière des préjugés de genre. Après mon ordination par Sa Sainteté le Seizième Karmapa à Bodhgaya en Janvier 1970, j’ai commencé ma vie comme nonne bouddhiste. En raison de l’absence de traductions disponibles, je n’avais qu’une idée générale des vœux que j’avais pris, et j’ai vécu plusieurs années en étant parfaitement inconsciente des inégalités historiques entre les moines et les nonnes.

J’avais été ordonnée comme une sramanerika (Getsulma en tibétain), ou novice, avec seulement trente-six vœux, et je n’appris que plus tard que le Bouddha avait donné des règles supplémentaires de discipline pour les femmes entièrement ordonnés. Selon certaines traditions Vinaya il y a 311 vœux pour des nonnes pleinement ordonées, bhikshunis ou gelongma, par rapport au 227 vœux pour les hommes qui deviennent bhikshus. Beaucoup de vœux supplémentaires ont à voir avec la subordination des nonnes aux moines.

Selon les récits dans le Vinaya, le Bouddha Gautama aurait plusieurs fois refusé d’admettre les femmes à l’ordre monastique avant d’accepter de le faire à la demande persistante de sa belle-mère, Mahaprajapati, et grâce à l’intervention de son cousin Ananda. Mahaprajapati n’était pas n’importe quelle femme demandant à devenir nonne. Elle était la sœur de sa mère, et avait nourri et élevé le Bouddha dès la mort de sa mère peu après sa naissance. Quand il ouvrit la sangha aux femmes, il est dit que le Bouddha a également rendu plus difficile pour elles d’être ordonnées et les rendit subordonnées à tous les moines. Soi-disant, il a également prédit que l’admission des femmes raccourcirait la durée de vie de la sangha et la ramènerait à cinq cents ans. Cependant, on ne sait si ces histoires sont historiquement exacts ou si, comme certains érudits bouddhistes le suggèrent, elles ont été écrites plus tard par les moines androcentriques et misogynes.

Au crédit de mes enseignants, à mes débuts en tant que nonne, je n’ai jamais senti aucune tendance misogyne et j’avais pleine confiance que j’aurai un accès complet aux enseignements dès que je serais prête pour la prochaine étape. Ma première prise de conscience du sexisme dans le bouddhisme se produisit quand je suis allée assister à une série d’initiations de trois mois en Inde donnée par Dilgo Khyentse Rinpoché à Tashi Jong près de Dharamsala en 1973. Lorsque Ani Jinpa, une nonne néerlandaise, et moi cherchions des sièges, on nous a dit que nous devions nous asseoir derrière tous les moines, y compris les petits moines de six ans récemment ordonnés, se tortillant et qui ne pouvaient pas encore lire. J’ai été surprise et un peu déçue de ma religion adoptée. Pendant trois mois, nous nous sommes assises au fond du temple, coincées entre les moines-enfants et les laïcs qui bavardaient constamment entourés de leurs enfants. Cela m’a fait réfléchir.

Cette même année, j’ai décidé de quitter la robe – pas à cause du sexisme que j’avais vu dans le bouddhisme, mais parce que je ne voyais pas d’avenir pour moi en tant que nonne. J’étais la seule nonne bouddhiste dans la tradition tibétaine en Amérique, qui était l’endroit où j’essayais de vivre et d’étudier avec Chögyam Trungpa. À un moment donné, j’ai demandé à Trungpa Rinpoché un texte sur le principe féminin dans le bouddhisme, et il m’a donné un gros volume en tibétain sur la Prajnaparamita. Je n’ai jamais réussi à faire quelque chose avec ce texte parce que j’allais bientôt devenir une mère de trois enfants.

J’ai vraiment commencé à m’intéresser à des histoires de femmes dans le bouddhisme quand j’ai perdu un enfant au printemps de 1980. Elle était la jumelle de mon fils Costanzo et succomba au syndrome de mort subite du nourrisson alors qu’elle était âgée de deux mois. Après la mort de Chiara, j’ai senti un besoin profond d’histoires de femmes dans ma tradition. J’avais besoin de connaître leurs vies. Les biographies d’hommes ne m’étaient d’aucune aide.

Je n’arrivais pas à trouver des histoires de femmes, et dans les quelques références à des femmes dans les cent mille chants de Milarépa, j’ai lu des choses comme, « en raison de mon mauvais karma, j’ai eu ce corps inférieur de femme ». Je ne croyais pas à ce genre de chose.

Women of Wisdom

En 1981, j’ai voyagé en Inde et au Népal à la recherche de biographies de grandes pratiquantes femmes au Tibet. Cette recherche a abouti à mon premier livre, Women of Wisdom. Tout en écrivant le livre, j’ai voyagé à travers l’Inde et le Népal, demandant des histoires de femmes éveillées. Après avoir vu le regard vide d’un moine quand je lui ai fait cette demande, j’ai expliqué ce que je cherchais et il a dit, « Oh maintenant je comprends. Vous ne cherchez pas des histoires de femmes, vous voulez dire les biographies des dakinis. » J’ai alors réalisé que, chaque fois qu’une femme est devenue éveillée, on a supposé qu’elle devait avoir été une dakini spéciale (incarnation féminine de la sagesse) et pas une femme ordinaire. Une femme ordinaire ne pouvait jamais être éveillée. En fait, le mot tibétain pour femme signifie «naissance inférieure. »

Les histoires que j’ai finalement trouvées m’ont donné force et inspiration, et cette recherche m’a fait prendre conscience de façon plus large des femmes et des questions les concernant à travers le monde. Le rééquilibrage des sexes en cours peut être la plus grande réussite de ce siècle. Il a été très émouvant pour moi de regarder ce mouvement aller de l’avant dans diverses formes partout sur la planète. Dans certains pays, les formes anciennes sont en train d’être bouleversées, mais dans d’autres, nous pouvons voir des répressions réactionnaires.

Les droits des femmes, leur liberté, leur sécurité et leur protection sont essentiels à la survie de l’espèce humaine. Comment pouvons-nous nous épanouir si les voix de la moitié de la population ne sont pas entendues et écoutées ? Ce sont les voix des femmes, qui ont historiquement parlé majoritairement de non-violence, de paix et de protection de la Terre. Et bien que de nombreux pays aient mis en place des politiques nationales pour les droits et la protection des femmes qui sont cohérentes avec les mesures prises au niveau international, il est évident qu’il y a encore bien des obstacles à l’élimination de la discrimination et de la violence envers les femmes et à l’égalité des sexes. Des statistiques récentes montrent que les deux tiers des adultes analphabètes dans le monde sont des femmes, et la tendance s’accentue au cours de la crise économique et sociale mondiale récente.

Cependant, au cours des dernières années, il y a eu un mouvement vers l’égalité des sexes au sein du bouddhisme. Le Dalaï Lama a parlé de plus en plus de l’importance d’avoir des femmes à des postes de leadership au gouvernement pour que la paix soit possible sur la Terre. Le dix-septième Karmapa a promis de faire ce qu’il peut pour rétablir la pleine ordination des femmes dans le bouddhisme Vajrayana. Dans la tradition Theravada, l’ordination complète est de retour.

Lors d’une conférence récente avec le Dalaï Lama pour les enseignants occidentaux du bouddhisme, les enseignantes ont rempli plus de la moitié de la salle. Quand nous regardons le monde, nous pouvons maintenant voir une plus grande présence des femmes dans des postes de direction dans le bouddhisme, mais il reste encore un long chemin à parcourir.

il était important d’exprimer ma profonde gratitude et l’appréciation que je ressens pour le masculin au sein de la lutte pour l’égalité des sexes

Le 22 Juillet de cette année, j’ai soudainement perdu mon mari, David Petit, après vingt-deux ans de mariage. Il a eu une mort particulière avec des signes de bon augure, mais cela a été un choc pour lui de partir à cinquante-quatre ans sans avertissement.

Dans mon chagrin, je me demandais si je pouvais écrire ce texte, mais en y réfléchissant, j’ai réalisé qu’il était important d’exprimer ma profonde gratitude et l’appréciation que je ressens pour le masculin au sein de la lutte pour l’égalité des sexes dans le bouddhisme. David était l’incarnation d’une force masculine puissante qui s’occupait de tout à Tara Mandala au cours des dix-sept dernières années, depuis les premières yourtes et des tentes à la construction des bâtiments de la communauté, et enfin du beau Temple de Tara à trois étages. Il se tint à mes côtés à travers vents et marées, à travers les difficultés liées au démarrage d’un centre et face aux attaques que je subissais pour être « trop féministe, » et donc « ne pas comprendre la non-dualité. » Il m’a soutenu dans mon combat contre l’exploitation sexuelle des femmes par les enseignants de sexe masculin, et protégé les femmes qui venaient à Tara Mandala.

Dans le sillage de son décès, je suis parfaitement consciente du rôle que joue le masculin positif dans l’équilibre de notre monde et l’importance d’un partenariat profondément respectueux dans l’établissement du bouddhisme en Occident. Cela est vrai non seulement entre les partenaires dans un couple, mais dans nos relations avec les amis, les familles, les enseignants, les étudiants, et dans la sangha. Je pense qu’il est important de reconnaître et de valoriser les grands hommes qui se sont activement engagés à apporter l’intégrité et l’égalité dans le monde bouddhiste, ainsi qu’honorer les nombreuses femmes qui ont lutté et se sont sacrifiées à cette même fin.

La vérité absolue de la vacuité du genre et de la vérité relative d’une réelle attitude misogyne historique dans le bouddhisme était côte à côte dans l’histoire de Tara. Son voeu final de toujours revenir en tant que femme et d’atteindre l’illumination comme une femme montre à la fois sa compréhension de la réalité absolue et la nécessité pour les femmes d’être appréciées et traitées de manière égale dans le bouddhisme.

Source Lion’s Roar – Janvier 2015  Traduction Bouddhisme au féminin