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Chanter des noms oubliés

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Le document des ancêtres féminins par Grace Schireson

Un mouvement tranquille pour remodeler notre compréhension de la lignée du Zen et de son histoire a mis en lumière les noms et les voix des femmes oubliées dans la tradition. Grâce Schireson explique comment le document des ancêtres féminins est né et ce que cela signifie pour nous.

En Octobre 2010 l’Association bouddhiste Zen Soto (SZBA), regroupant des enseignant(e)s au niveau national – américain -, a approuvé un document qui honore les ancêtres féminins dans la tradition Zen. C’était un tournant historique. Après des années de discussion et de recherche érudites, les ancêtres féminins, remontant à 2500 ans en Inde, en Chine et au Japon pouvaient désormais être incluses dans le programme, le rituel et la formation offerte aux étudiant(e)s occidentaux du zen.

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Pendant des siècles, la pratique de la récitation et l’étude de leurs ancêtres masculins a été un aspect important du Zen. Les disciples occidentaux ont emboîté le pas, en chantant les noms historiques des ancêtres masculins dans de nombreuses cérémonies, du service du matin à l’ordination des prêtres et des laïcs, et plus particulièrement durant les cérémonies de transmission du dharma, quand un enseignant accorde à un disciple le droit d’enseigner et de transmettre à son tour. En reconnaissant et en se connectant à nos ancêtres historiques dans le Zen, nous célébrons l’intimité, la continuité et l’authenticité de la pratique. Cette lignée, ou arbre familial, permet de connecter les pratiquants zen à des enseignements essentiels à travers la connaissance des noms réels et des histoires d’enseignants inspirants. À un niveau plus profond, nous permettons à leurs enseignements d’avoir une influence sur notre vie quotidienne. Et au niveau le plus profond, nous faisons l’expérience de l’amour et de l’énergie de ces ancêtres qui nous soutiennent quand nous pratiquons.

Identifier les ancêtres féminins est nouveau dans le Zen et, je le crois, indispensable au plein épanouissement du Zen en Occident. Les femmes représentent aujourd’hui près de la moitié de tous les enseignants dans le bouddhisme occidental, et la reconnaissance des ancêtres féminins est une étape essentielle en vue d’ancrer plus pleinement le bouddhisme dans la réalité de la vie occidentale.

Le document des ancêtres féminins est un témoignage de la contribution des femmes historiques remontant aux débuts mêmes du bouddhisme indien. Grâce à leur participation et leur engagement dans le dharma, elles nous aident à voir comment le changement s’est déroulé grâce à la persévérance et à des moyens habiles. Étudier comment le changement et l’innovation se sont produit dans la pratique du Zen au cours des âges confirme que même si la présence des femmes dans les monastères était strictement interdite, certaines ont été en mesure d’y entrer, de s’y former et même d’atteindre à des postes d’enseignement. Ces femmes l’ont fait grâce à l’appui sans réserve d’hommes à l’intérieur même des monastères — soit des maîtres éveillés ou des collègues masculins.
L’existence et la vitalité des monastères de femmes ont fluctué à travers l’histoire bouddhiste. Les ancêtres féminins n’ont pu survivre que parce que des maîtres zen hommes ont brisé les règles et permis aux femmes de se joindre à la pratique monastique des hommes. Ces Maîtres zen hommes ont risqué la censure et des perturbations dans leurs monastères quand ils ont permis aux femmes de pratiquer aux côtés des moines, mais ils l’ont fait.

Pour prendre ce tournant historique, celles d’entre nous qui se sont impliquées dans la création du document sur les Ancêtres Féminins ont compris qu’il fallait le soutien d’enseignants hommes influents. Pour cette raison, nous avons tenu compte de l’approche des plus traditionnelles parmi nous et appelé notre liste « Document des ancêtres féminins» plutôt que « la lignée des femmes. » Ceci distingue notre nouveau document du tableau établi de longue date de la lignée Soto Zen, ce qui le rend facultatif tout en nous permettant de l’utiliser de la même manière.

Nos ancêtres féminins du Zen ont quitté leur foyer pour se livrer à une pratique monastique physiquement pénible. Rarement ces maîtres féminins du zen ont reçu la reconnaissance et le soutien financier accordés à leurs homologues masculins. Elles ont survécu en se regroupant, en trouvant à subvenir à leurs communautés par le biais de cliniques et d’écoles en échange de dons matériels. L’enseignement de ces femmes diffère en général de ces grands maîtres qui vivaient dans des régions éloignées et exaltaient la transcendance de tous les attachements terrestres. Ces femmes ont exprimé leur humanité et le souhait de vivre leurs vœux au milieu de la vie de tous les jours — alors même qu’elles vivaient avec des attachements terrestres.

Un exemple frappant du sentiment que l’on trouve dans la pratique des femmes est illustré dans le poème « Comme une nonne regardant les couleurs profondes de l’automne » par la nonne japonaise Rengetsu:
Vêtue de robes noires
Je ne devrais éprouver aucune attirance
Pour les formes et les parfums de ce monde.
Mais comment puis-je garder mes vœux,
En regardant les feuilles de l’érable pourpre d’aujourd’hui?
L’enseignement des femmes dans le Zen déplore la perte d’êtres chers et exalte la beauté de la vie. Quelle que soit la profondeur de leur pratique, leur cœur humain est exposé. C’est un enseignement merveilleusement vivant pour les bouddhistes occidentales, dont la plupart pratiquent avec une famille, un travail, et une communauté plutôt que dans des milieux monastiques silencieux. En savoir plus sur les ancêtres féminins du Zen et comment elles ont exprimé leur pratique dans leur famille, dans l’art, et dans la communauté peut être une source abondante d’inspiration pour les Occidentales.
Il y a plusieurs illustrations qui contiennent les noms des femmes approuvés par le SZBA, mais la plus couramment utilisée est le cercle dessiné par Salt Spring Island Sangha. Le cercle commence par les femmes mythiques bouddhas, suivies par les enseignantes historiques de l’Inde et de la Chine, et se termine par les femmes japonaises à travers le siècle actuel. Toutes les femmes ancêtres sont décédées; nous n’avons pas encore inclus officiellement les femmes occidentales décédées, car, traditionnellement, il faut plusieurs centaines d’années pour devenir une ancêtre.

Le document des ancêtres féminins est utilisé quand on confère les préceptes (hommes et femmes) pour les ordinations de prêtres et de laï(que)s. Il a été ajouté aux documents de la transmission du dharma. Il a été dessiné comme un cercle, une rivière, un bosquet de bambous, et inclus dans un enregistrement «pèlerinage», où les enseignantes actuelles du zen ajoutent leurs noms et les timbres officiels à une liste sur soie des ancêtres féminins du Zen.

Bien qu’il n’existe que depuis un court laps de temps, le document est très vivant, et sa présence se fait sentir dans de nombreuses sanghas occidentales. Puisse-t-il continuer à apporter une reconnaissance aux ancêtres féminins du zen et aux pratiquantes actuelles du Zen et être une source d’inspiration, nous éveillant toutes et tous à la manière typiquement expressive de la pratique spirituelle des femmes.

Source Buddhadharma spring 2014 – traduction Bouddhisme au féminin

Voir en français l’ouvrage de François Dosan Loiseau : Les Matriarches du zen