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Méditation et Autisme par Véronique Goussé

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Apport de la méditation dans les autismes : quels aménagements apporter à la pratique ?

L’autisme est actuellement bien reconnu et diagnostiqué au plan international, et ce depuis une quarantaine d’années. Il existe cependant en France un historique un peu « tumultueux », menant les tenants des deux obédiences majoritaires vers des discussions parfois vives, sur la manière d’accompagner les personnes atteintes : les uns sont plutôt assez « cognitivistes » et axés sur l’éducatif ; les autres, plus orientés vers la psychanalyse et donc les soins psychiques. Cet état de fait serait en lui-même peu intéressant s’il n’entrainait des différences dans les diagnostics et les prises en charge. Néanmoins et si l’on s’épargne ces querelles théoriques, les autismes sont actuellement reconnus comme étant des troubles neurodéveloppementaux, débutant donc pendant l’enfance et durant toute la vie (American Psychiatric Association, 2013). Ils ont de même des impacts importants sur des fonctions cognitives telles la mémoire, la planification et l’inhibition des actions, impactant elles-mêmes certaines conduites et comportements. Plus précisément, les troubles du spectre de l’autisme (TSA) sont caractérisés par une altération de la communication sociale, des intérêts spécifiques et focalisés, alliés à un traitement atypique de certaines informations sensorielles, par exemple une gêne allant de légère à très forte éprouvée aux contacts de bruits, lumières, odeurs et/ou textures. Plus ils sont détectés précocement plus leur évolution au plan développemental est favorable, surtout s’ils sont accompagnés tout au long de la vie par des praticiens formés à leurs spécificités.

Il est bien établi que les personnes avec autisme sont toutes très différentes, d’où la notion de « spectre » apparue ces dernières années. Notre représentation sociale de la personne autiste a donc évolué, passant d’un enfant ne communiquant pas, replié et « dans son monde », à la figure du « calculateur » dans le film Rainman, ou d’un petit « Einstein » dans la filmographie récente. Ces représentations sont bien sûr réductrices, mais elles continuent à être véhiculées dans notre société où les différences ne sont pas toujours bien perçues, comprises ni accompagnées. Ainsi il faut souligner que chez les adultes, environ la moitié des personnes qui sont diagnostiquées d’un TSA n’ont pas de déficience intellectuelle[1]. Ils peuvent ainsi avoir un travail, vivre en couple…, être donc dans les « normes standard » de notre société ! Cette apparente normalité n’aide pas dans la détections des difficultés chez des personnes qui se sentent à le fois « normales » mais aussi totalement « différentes ». Ce débat est complexe et mériterait bien plus qu’un seul article ; la « différence invisible » a bien été décrite notamment par une femme atteinte de TSA[2]. En effet et depuis que les TSA sont mieux médiatisés, un nombre non négligeable d’adultes se tournent vers les centres experts en diagnostics pour faire valider (ou pas) un trouble qui a pu être méconnu durant l’enfance de par une présentation assez atypique, puisque justement non accompagnée d’une déficience. L’accompagnement tout au long de la vie des adultes avec TSA est donc tout particulièrement compliqué, long et parfois même inexistant. Il faut souligner que pour les personnes autistes avec une déficience, l’accompagnement est encore « plus » compliqué, si une notion de niveau peut avoir un sens !

Actuellement et depuis environ cinq ans en France, un nombre important de femmes se pose la question d’être atteintes d’autisme. Leurs trajectoires sont complexes pour parvenir jusqu’à la reconnaissance du diagnostic car, au plan historique, l’autisme a toujours été préférentiellement masculin[3]. Les femmes ont donc été longtemps considérées comme moins à risque de développer un autisme, ou plus exactement, si elles l’étaient, c’était un autisme très sévère et très impactant au plan intellectuel. Cette difficulté majeure à obtenir un diagnostic est due en partie à un manque de formation des praticiens de santé et à un engorgement des centres diagnostics. On ne peut nier que les choses évoluent, mais cela est assez lent en France, et il reste encore beaucoup à faire au plan d’une meilleure reconnaissance du diagnostic TSA au féminin.

Au vu de ces spécificités, il a semblé intéressant de pouvoir proposer des séances de méditation à des femmes atteintes de TSA ; le projet a en effet été ciblé en première intention sur un groupe de femmes uniquement, au vu des éléments développé précédemment.  J’ai dans un premier temps contacté Martine Batchelor qui est très intéressée par le sujet de l’autisme au féminin ; elle m’a vraiment soutenue et conseillé tout au long de ce projet. Si l’idée de proposer un groupe de femmes semblait en effet tentant il s’est avéré que des hommes atteints de TSA m’ont aussi contacté en me demandant de participer. Après discussion avec les femmes autistes, il est apparu que cette ouverture pouvait être riche. Ainsi les séances ont commencé au rythme d’une par mois, durant 1h15, dans un centre zen[4] qui nous a fait la gentillesse de nous recevoir.  Je dois ici ajouter que ma formation me situe en tant que thérapeute d’orientation cognitiviste et donc socio-éducative. De mon point de vue de psychologue mais aussi de pratiquante, la méditation présente des liens extraordinairement proches avec les neurosciences auxquelles j’ai été formées ces vingt dernières années, et tout spécialement avec la thérapie d’inspiration cognitivo-comportementale (TCC) où l’on travaille sur les pensées. La TCC a montré son efficacité dans les TSA, ce lien aidant donc au rapprochement avec la méditation. Alors qu’actuellement, la méditation est plus facilement proposée à des personnes présentant des troubles attentionnels ou des troubles anxieux et de l’humeur, via des programmes d’accompagnement en Mindfulness (MBSR), rien n’est fait en France pour les TSA.

Les groupes que nous avons proposés aux personnes avec autisme se situent, non pas au sein des programmes MBSR, mais dans la tradition Vipassana et chaque séance a été « rémunérée » par un don. Ceci est une des premières spécificités de notre groupe et constitue un aspect très important : en effet, pour les personnes avec TSA le prix des accompagnements est déjà si lourd, et non remboursé, qu’elles ne peuvent se permettre de rajouter le prix de séances de méditation parfois très chères.  Autre point positif à nos séances : l’absence de peur de se confronter à de grands groupes, avec des personnes inconnues et ne fonctionnant pas comme elles. Ainsi, un des attraits majeurs de ce groupe a été que les personnes avec TSA étaient « entre elles », c’est-à-dire qu’elles ne ressentaient pas de risque de jugement. Ceci m’a été décrit plusieurs fois comme un sentiment d’être en sécurité. Enfin, le groupe était peu important, de 6 à 14 personnes ; certaines personnes sont venues à chaque fois, mais d’autres au fil de leur envie. Bien sûr, la présence de chacun(e) était volontaire, et personne n’était obligé de prévenir s’il ne venait pas. Cette liberté totale a beaucoup aidé aussi.

Les aménagements apportés sont de mon point de vue très peu importants : la salle était bien adaptée, peu éclairée, et assez silencieuse pour parer aux aspects sensoriels. Cependant, nous avons eu des passages de bruits que j’ai pu par la suite prendre pour exemple d’une pratique sur les sons. Il suffit juste de bien l’expliciter en début de séance. De même, il y avait un endroit au fond de la salle où une personne en cas d’anxiété pouvait s’isoler. Cela n’a jamais été le cas mais cette possibilité était présente et rassurait. Autre spécificité peut-être, le fait d’échanger avant ou après la séance ; cela n’était pas obligatoire et a été posé dès la première séance. Le silence a toujours été bienvenu et était parfois plus dérangeant pour moi que pour eux !  Martine Batchelor et moi-même avions discuté de thématiques éventuelles à proposer par séance : l’une d’elle était sur la répartition de phrases telles : « que je sois bien ; que je sois calme ». Cette pratique a beaucoup plu lorsque nous avons pu échanger en fin de séance. Par contre la pratique de « metta » englobant à un certain moment une personne avec qui les relations ont été un peu rudes, a été moins bien ressentie. Les scans corporels ont été très bien accueillis le calme étant recherché, car dans les TSA les pensées sont très présentes, envahissantes même, et très souvent liées au monde environnant, vécu comme agressant. De même le retour au corps peut vraiment aider dans les TSA, s’il est proposé avec douceur, car ce corps peut être un lieu de tensions ou de vive sensations.

En conclusion, et en repensant à un ouvrage conseillé par Martine Batchelor, « Trauma-Sensitive Mindfulness » de David Treleaven, il me semble que des adaptations sont toujours à envisager en séance, suivant la spécificité du public concerné ; dans le cas des traumatismes, le même type d’aménagements est très bien décrits par David Treleaven, et ils me font totalement penser à ce que j’ai fait avec les personnes avec autisme. Ces adaptations ne sont que l’expression d’un souci de bienveillance envers des personnes en recherche de calme et de respect. L’humain a un fonctionnement de base commun, en ce qui concerne sa sensorialité et son psychisme, avec des accentuations qu’on ne peut nier dans certains domaines. Dans les TSA, la notion de « contrôle » par exemple est très poussée, mais elle existe aussi en chacun de nous. Ceci nous permet de comprendre l’autre en tant que « semblable » à nous-même, en répondant avec empathie et parfois compassion.

 

Véronique Goussé : psychologue, thèse en  2004 sur les autismes et les Tocs, enseignante à l’université,  en libéral depuis 2014 sur Paris  dans des institutions et dans deux associations (AFG Autisme et Asperger Amitié)

 

[1] Terme qui signifie « retard mental », terminologie qu’on utilise plus car décrite comme « stigmatisante ».

[2] Julie Dachez a publié une BD « LA différence invisible » retraçant son parcours diagnostique.

[3] Au plan épidémiologique, on parlait d’un sex-ratio d’une femme pour 4 personnes atteintes et même d’une pour 7 personnes si l’on considérait les personnes autistes sans déficience intellectuelle associée

[4] Centre Wild Flower, à Paris (75011).