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Joshin Sensei – Devenir nonne au Japon

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Joshin Sensei

Contribution de Joshin Sensei pour le thème du n° 21 : Devenir nonne

Joshin Sensei a passé plusieurs années à Zuigakuin, temple de montagne au Japon dirigé par Maître Moriyama. Elle y a été ordonnée en 1986, et a reçu le Sceau de la Transmission en 1990.

En 1991, à la demande de son maître, elle a fondé La Demeure sans Limites, où elle a quelques années plus tard, ordonné sa disciple, Jokei Ni.

Depuis 2013, Joshin Sensei dirige des retraites ou des journées de zazen principalement à l’extérieur. Elle est à la Demeure sans Limites l’été, et chaque première semaine du mois

Devenir nonne bouddhiste dans l’École du Soto Zen

« J’ai vraiment perdu mon temps .» Voilà ce que je pense au sortir de ma première expérience de méditation ! Et puis, surprise, deux jours plus tard je suis là à 7h et demi du matin, ce qui me semble horriblement tôt, et je vais ensuite revenir tous les jours. Très vite, il me faut faire des choix : sortir le soir, ou aller m’asseoir le matin. Mais zazen, zazen, zazen : c’est une découverte, c’est une merveille, c’est parfait. Bien sûr c’est aussi affreux, pénible, douloureux pour le corps et pour l’esprit. Mais pour la première fois de ma vie, à plus de trente ans, je suis sûre d’avoir trouvé ma place. Alors qu’importe ce qu’il faut abandonner. Enfin presque. Premier été, première retraite, l’horreur : douleur, souffrance et frustration.
Et puis, de retour, quelques semaines plus tard, je m’entends me dire : « Quand je vivrai dans un temple… » et je me fige. Parce que je me rends compte que oui, c’est là, devant moi, la seule vie qui me semble valoir la peine, zazen, silence, discipline, contemplation.
C’est une évidence, pas une décision. Et il y a plein de parties de moi qui crient : « Quoi ? Plus jamais de sorties ? Plus de musique ? Plus de ceci? Plus de cela? » mais il y a aussi un grand calme, une certitude. Ce n’est pas un « choix », au sens où je n’ai pas pesé le pour, le contre, et réfléchi à ce que je voulais. C’est là. C’est ça. Ce n’est pas non plus un manque de choix, c’est un choix qui s’est fait en amont, je ne sais pas exactement à quel moment, mais il est clair que j’ai déjà dépassé le moment où je pouvais faire marche arrière , s’il a jamais existé.
Alors je suis partie vivre dans un monastère, d’abord en Italie, puis au Japon. Et là j’apprends ce qu’est ne plus rien avoir à soi : plus de vêtements, plus d’affaires, d’espace ni de temps personnels.
J’apprends qu’on peut ainsi tout lâcher, et c’est une découverte de la joie, de la légèreté… C’est merveilleux mais pas facile, non. Parfois en vitesse, je vais pleurer derrière la cabane à bois, un œil sur la montre, parce que la cuisine… et en fumant une cigarette : quelques minutes « pour moi », qui finisse en fou-rire, en me voyant essayer de fumer, pleurer et surveiller l’heure et les alentours en même temps… mais c’est là, c’est ça. Je suis exactement où je dois être, je fais absolument ce que je dois faire. Ce sentiment de certitude, cette conviction d’être « juste » m’ont toujours accompagnée depuis les premiers moments de méditation.
En arrivant à Zuigakuin, je ne savais pas que j’avais la chance de rentrer dans un lignage atypique pour le Japon, pour deux raisons : lorsque au 19ème siècle, les règles ont changé et que les moines ont reçu l’autorisation de se marier, et y ont même été assez fortement incités, mon arrière-arrière-arrière grand-père dans le Dharma a refusé et a choisi de conserver une vie purement monastique. Aujourd’hui, 90% environ des «moines» – terme inapproprié, en fait la traduction du japonais est « chefs de temple » – , sont mariés et leur vie ressemble à celle des pasteurs plus qu’à celle de moines ; curieusement, chez les nonnes, elles aussi autorisées à se marier, ce pourcentage s’inverse : la plupart s’installent dans de petits temples et restent célibataires, se consacrant au Dharma. J’ai donc eu cette chance, selon moi, de pouvoir poursuivre la vie que j’ai choisie,
D’autre part, tous les grands temples sont dirigés par de chefs de temple masculins, et la place des nonnes ne s’est affirmée que depuis peu, grâce notamment au grand travail réalisé par les abbesses du Nissodo, le temple de formation pour les nonnes de l’École du Soto Zen. Pourtant, il y a cinquante ans, mon Maître, Moriyama Roshi, alors jeune moine venant d’être ordonné par son Maître, Noïri Kojun Roshi,[1] fut « élevé » par deux nonnes, ses aînées. L’une d’elles est devenue par la suite la successeure (?) de Maître Noïri, dont la réputation d’exigence et de sévérité fait encore frissonner beaucoup de chefs de temple qui l’ont croisé.

Il n’y avait donc, et ce fut ma grande chance, pour lui rien d’exceptionnel à avoir des disciples femmes. Il acceptait tout le monde dans son temple de Zuigakuin, femmes ou hommes, japonais ou étrangers : il disait que seules la motivation et la diligence à étudier la Voie lui importaient. Les conditions matérielles assez dures étaient [2]un élément suffisant pour s’en assurer.
Mon Maître a eu 4 successeurs, 2 nonnes, moi-même et ma sœur dans le Dharma, Zuyten Sensei, décédée il y a 7 ans, et deux moines.

Lorsque je suis revenue en France, à sa demande, j’ai ouvert avec son aide la Demeure sans Limites, qui accepte aussi toutes les personnes désireuses d’avancer sur la Voie du Bouddha. Mes conditions de vie ont été assez difficiles au début, parce que je n’avais pas d’argent, mais petit à petit, d’autres personnes m’ont rejointes, et notre situation s’est amélioré, même si cela reste un lieu très simple.
Il y a aussi les ajustements nécessaires à la vie française : les relations avec les voisins et le village par exemple, importantes pour le regard que les gens vont avoir sur « les bouddhistes : j’ai été très bien acceptée et nous faisons vraiment partie de la vie du village.
Quant au cheveux, rasés/pas rasés ? et aux vêtements, je n’ai pas encore de réponse, je cherche, je change, j’essaie.
Ma disciple, Jokei Lambert Sensei est une nonne. Elle a étudié à la Demeure sans Limites d’abord, puis avec Aoyama Roshi, l’abbesse du Nissodo au Japon pendant 3 ans, et elle a reçu d’elle la transmission du Dharma. Elle a choisi de se raser la tête, et de s’habiller de façon traditionnelle. C’est elle qui maintenant dirige le temple.

Je n’aurais qu’un seul conseil à donner: n’ayez pas peur de vous tromper. La peur nous arrête trop souvent, nous empêche d’aller là où nous voulons aller. Et si nous voyons que ce n’est pas notre chemin, eh bien, nous le quittons et nous en prenons un autre …N’ayons pas peur ! Il n’y a pas d’échec, que des essais.
Quant à moi, je ne sais pas pourquoi ni comment j’ai choisi cette vie, mais je n’en imagine pas d’autre : je ne me sens jamais seule, je n’ai jamais regretté de ne pas avoir de famille ni d’enfants. Je me sens de plus en plus reliée à tout ce qui existe, et à toutes les personnes qui marchent ou ont marché sur cette terre. Je vis moi aussi uniquement grâce aux dons que je reçois, ainsi, par la gratitude, se crée un lien fondamental avec tous les êtres.
Je ne veux pas d’autre vie, que passer mes journées à l’ombre du Dharma et étudier et partager la Voie du Bouddha avec d’autres personnes. « Faire zazen, c’est rentrer chez soi, et s’asseoir en paix.» C’est là, c’est ça.
Joshin L. Bachoux, Sensei

— Sur la lignée de transmission de Joshin Sensei voir ici

— Sur l’ordination dans la tradition de Joshin Sensei voir ici

— Sur l’institution du soto zen au Japon, le Nissodo, voir ici (en anglais),

— sur la formation des nonnes voir aussi le reportage vidéo de sagesses bouddhistes sur Ayoama Roshi et la formation des nonnes dans son monastère
— des témoignages de nonnes zen dans le beau livre de Paula Arai : « Women living Zen », plein de paroles et témoignages passionnants.

— Voir enfin : « Une journée dans un temple Zen », écrit lorsque Joshin Sensei était au Japon.

[1] Roshi : terme de respect signifiant litt. Vieux Maître ; Sensei signifie enseignant/e

[2] J’en parle au passé car mon Maître est mort en 2011, et son temple n’a pas été repris.