Contribution de Guen Kelsang Lhamo pour le thème du n° 21 : Devenir nonne
Guèn Kelsang Lhamo est disciple du Vénérable Guéshé Kelsang Gyatso depuis 1984 et l’enseignante principale du Centre de Meditation Kadampa Shakyamouni à Paris. Ordonnée en 1992, elle a enseigné en France, en Angleterre, aux Etats-Unis et dans d’autres pays depuis la fin des années 80.
Etre moniale bouddhiste kadampa des temps modernes
Bouddhisme au féminin : Comment avez-vous pris la décision de devenir moniale ?
Depuis le décès de ma mère quand j’avais huit ans, je savais que la vie avait un sens, même si les adultes autour de moi ne me le montraient pas. En effet, leur intérêt mal placé dans les choses de ce monde les laissait sans refuge face à la disparition d’une jeune maman de trois enfants. Ma quête a abouti lorsque, à 19 ans, alors en première année de licence en biochimie, j’ai commencé à fréquenter un centre bouddhiste à York (Royaume-Uni). Pendant les enseignements, les réponses logiques à mes questions et les solutions claires et pratiques à mes problèmes que je n’avais pas trouvées ailleurs m’interpellaient profondément. Depuis la première rencontre avec mon guide spirituel, c’était comme si je revenais chez moi ; j’étais certaine de ma vocation pour cette vie.
J’ai suivi un programme de formation d’enseignants bouddhistes qui a démarré en 1986 dans le centre de York, désormais établi dans une grande et belle demeure en dehors de la ville. Après quelques années, j’ai commencé à donner régulièrement des cours de méditation et de pensée bouddhistes. Lors d’une journée d’enseignements sur l’équanimité – cette attitude chaleureuse et amicale, libérée de tout attachement et de toute colère, qui est le fondement du véritable amour et de la compassion – un des participants a déclaré : « J’ai de l’équanimité pour tout le monde, sauf pour toi ! ». J’ai également eu quelques boyfriends profondément jaloux de mon engagement bouddhiste. Bref, mon aspect de jeune femme attrayante faisait obstacle au don du dharma.
Au bout de huit années, j’ai pris la décision de me faire ordonner moniale. Pour moi, c’était une libération. La salle de méditation où la cérémonie avait lieu était à l’étage et j’aurais bien quitté la salle en volant par la fenêtre ! Je me souviens clairement de l’enseignement donné pendant la cérémonie, qui portait sur les grands bienfaits d’une vie consacrée à la pratique spirituelle sans les contraintes d’une vie de famille. La cérémonie a eu lieu le jour de la Descente de Bouddha Shakyamouni de Toushita, (le pays pur où sa mère avait pris renaissance). C’était en novembre, 1992 ; j’avais alors 28 ans.
BF : Quels sont les préceptes dans votre tradition ?
L’essence des dix vœux d’ordination d’un moine ou d’une moniale kadampa est le condensé de tous les vœux d’un moine ou d’une moniale pleinement ordonnée contenus dans le Soutra du vinaya. Cependant, les dix vœux d’ordination proviennent d’un autre enseignement de Bouddha, le Soutra de la perfection de la sagesse. Ces vœux sont compatibles avec les normes de notre société occidentale moderne et peuvent être facilement intégrés dans la vie quotidienne.
Dans Le Guide de l’ordination, mon guide spirituel et abbé d’ordination, Vénérable Guéshé Kelsang Gyatso écrit :
« L’explication verbale de l’ordination dans la tradition Kadampa est brève, il y a tout juste dix engagements, mais leur pratique est très vaste. Ces dix engagements que vous avez promis d’observer sont un condensé de l’ensemble des enseignements des étapes de la voie (Lamrim en Tibétain). Bien que nous puissions donner une explication verbale de ces vœux en quelques heures, leur mise en pratique englobe tout. C’est comme cela que vous devez pratiquer : en peu de mots, une vaste pratique. »
L’objectif du vinaya (doulwa en Tibétain) est de « maîtriser [son esprit] » par la pratique dite « de la discipline morale supérieure » qui est le fondement pour développer une concentration supérieure (c’est-à-dire le calme stable, ou shi né en tibétain). Cette concentration supérieure permet, à son tour, de développer la profonde perfection de la sagesse (c’est-à-dire la vue supérieure ou vipassana en sanskrit).
Bien que les cinq premiers vœux kadampa soient communs à toutes les lignées vinaya, exprimés ainsi : « Tout au long de ma vie, je m’abstiendrai de tuer, voler, d’avoir une activité sexuelle, de mentir ou tromper, et de prendre des stupéfiants», les cinq derniers : « Je pratiquerai le contentement, réduirai mon intérêt pour les plaisirs ordinaires, cesserai de m’adonner à des activités dénuées de sens, maintiendrai les engagements du refuge et pratiquerai les trois entraînements supérieurs de la discipline morale, de la concentration et de la sagesse » sont extraits du Soutra Mahayana intitulé La Perfection de la Sagesse et son commentaire, La Lampe de la voie d’Atisha. Ce dernier texte renvoie aux Etapes du Bodhisattva (Skt. Bodhisattvabhumi) d’Arya Asanga qui établit les conditions nécessaires pour atteindre le calme stable, en plus d’un lieu de retraite adéquate :
1. Peu de désirs
2. Le contentement
3. Pas d’activités distrayantes
4. Une discipline morale pure
5. Pas de conceptions distrayantes
Ces pratiques préparatoires sont des méthodes d’entraînement de l’esprit, autrement dit des pratiques de la discipline morale. La raison principale de l’ordination pour un moine ou une moniale bouddhiste est l’engagement de pratiquer la discipline morale afin d’atteindre le calme stable. Une fois le calme stable atteint, la personne peut développer la vue supérieure. Grâce à ces trois entraînements supérieurs – la discipline morale supérieure, la concentration supérieure et la sagesse supérieure – il est possible d’atteindre la libération du samsara. Bien entendu la motivation du renoncement évolue en bodhichitta (le désir d’atteindre l’éveil pour venir en aide aux autres) au fil de notre méditation. Voilà l’essence des préceptes et leur but.
BF : Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous ?
Avant de prendre les vœux, j’aimais le vin rouge ! Pour répondre plus sérieusement, en 20 ans on change beaucoup, et le défi est d’approfondir continuellement notre ordination sans jamais tomber sous l’emprise de nos désirs ordinaires qui se métamorphosent au fil des années pour essayer de nous fourvoyer de différentes manières. Savoir reconnaitre l’ennemi dans les perturbations mentales est la première et plus grande des difficultés spirituelles.
BF : Quelles difficultés matérielles avez-vous rencontrées ?
Les difficultés matérielles, c’était plutôt avant l’ordination ! Par exemple, j’étais propriétaire et j’avais toujours des soucis d’argent pour financer des rénovations sans fin et, une fois les travaux terminés, je rencontrais des difficultés pour régler les différentes factures d’électricité et autres dépenses incontournables.
Sans ces distractions, et grâce à l’immense mérite de Bouddha Shakyamouni qu’il a dédié pour que les pratiquants pendant les temps dégénérés, lorsque la pratique spirituelle décline, ne meurent jamais de faim, les personnes ordonnées n’ont pas de soucis si elles pratiquent du mieux qu’elles peuvent. Guéshé Kelsang Gyatso raconte l’histoire d’un Guéshé qui avait survécu à une période d’extrême dénuement et qui déclarait qu’un pratiquant pur du Dharma ne pourrait jamais mourir de faim même s’il essayait de le faire !
Les vœux du contentement et la pratique de l’équanimité à l’égard des préoccupations de ce monde nous permettent de recevoir ce dont nous avons besoin pour soutenir notre pratique. C’est important d’être libéré des soucis matériels pour pouvoir se focaliser sur notre pratique. Je dois dire que je me suis sentie beaucoup plus riche une fois ma maison vendue et les bénéfices de la vente donnés pour la construction d’un temple.
BF : Quels conseils donneriez-vous à celles qui veulent s’engager dans cette voie ?
La motivation doit être le renoncement, c’est-à-dire la détermination d’abandonner la cause de la souffrance samsarique, c’est à dire l’ignorance et les autres perturbations mentales. Si nous apprécions le fait que les vœux fournissent les conditions idéales pour parcourir la voie libératrice, alors il est bon de construire progressivement notre capacité de vivre en les observant, tout en restant naturels et normaux sur le plan extérieur. « Restez naturel tout en changeant votre aspiration », dit Guéshé Tchékhawa. Pour cela, il est indispensable d’avoir une pratique régulière formelle du Lamrim, ainsi qu’une pratique tantrique, sous la direction d’un guide spirituel qualifié.
BF : Est-ce que généralement les pratiquantes qui s’engagent ici en Occident restent ordonnées moniales longtemps ou seulement pendant un temps limité ?
Chez nous, l’ordination c’est pour la vie. Bien sûr que tout le monde n’y arrive pas. Ceci dit, la personne reçoit une puissante bénédiction même si elle n’observe les vœux que pendant une certaine période. Bien entendu, cela ne se compare pas à la protection reçue si les vœux sont observés tout au long de notre vie, et il est important d’avoir ce but dès le début de l’ordination, même si nous ne pouvons pas avoir une certitude totale que nous y arriverons ; cela dépendra de notre sagesse. Selon la tradition kadampa, puisque les vœux expriment une intention, nous pouvons maintenir le continuum de nos vœux jusque dans nos vies futures.
Le bouddhisme kadampa rassemble des moines et moniales sur tous les continents. Pour maintenir notre ordination sur le long terme, le défi pour chacun consiste à trouver sa place « dans ce monde » sans être « de ce monde ». La clé est dans le développement d’un renoncement léger et joyeux, semblable à l’attitude d’une personne qui a décidé d’émigrer et qui n’est donc plus abattue ni séduite par les mauvaises ou bonnes conditions de sa vie actuelle.
Pour nous encourager, nous apprécions les extraordinaires bienfaits pour soi et pour les autres de la vie ordonnée dans laquelle on observe une discipline morale pure alors que, tout autour de soi, on constate un manque de repères et de perte d’espoir. La présence de personnes ordonnées qui observent une discipline pure, est profondément inspirante dans ce monde troublé et crée les causes pour que le dharma reste dans ce monde pendant encore très longtemps. Formulons ce vœu à chaque opportunité : que le Dharma de Bouddha s’épanouisse pour toujours.
Guèn Kelsang Lhamo