Accueil Articles - Nouvelles des numeros precedents Eloge de la vieillesse par Jetsunma Tenzin Palmo

Eloge de la vieillesse par Jetsunma Tenzin Palmo

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Le Seigneur Bouddha a défini Dukkha ou la souffrance comme la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort. Aussi, si nous ne mourons pas jeunes, nous allons tous faire l’expérience de la vieillesse et de la mort, c’est un sujet qui nous concerne tous.
Dans notre société contemporaine, il y a le culte de la jeunesse et une négation de l’évolution naturelle de la vie vers la décrépitude et la mort. La plupart des gens espèrent garder une apparence jeune et belle – en fait la beauté est généralement associée à la jeunesse. Donc, il y a d’innombrables livres et articles sur la façon de garder la vieillesse à distance et de rester toujours jeune. Cependant, en dépit de tous les liftings, de tous les exercices et de tous les régimes alimentaires auquels nous pouvons nous soumettre, finalement, le corps va se détériorer et la probabilité de la maladie va augmenter. Telle est la nature de toutes les choses conditionnées. En réalité, le bouddhisme regarde en face les faits désagréables de la vie et de la mort – et même utilise ces faits comme le chemin lui-même pour transcender la naissance et la mort.

Dans les sociétés plus traditionnelles, l’avènement du vieillissement est considéré comme naturel et n’est pas regardé comme quelque chose à éviter et à nier aussi longtemps que possible. Au contraire, il y a l’appréciation du fait que d’avoir vécu si longtemps a dû produire un accroissement de connaissance et de compréhension. Aussi la vieillesse est-elle généralement assimilée à la sagesse et l’expérience. Les membres les plus âgés de la famille sont respectés et assument souvent des rôles de conseillers et de guides. Ils ont un rôle important à jouer au sein de leur société.

Même en Occident, il y a le personnage archétypal de la vieille femme sage (ainsi que la sorcière) et la plupart des sorcières de conte de fées sont âgées. En vérité, des faces ridées avec des yeux brillants d’amour et l’intelligence montrent souvent la vraie beauté.

Malheureusement, même si de nos jours les femmes de plus de 50 ans constituent la majorité de la population, dans notre ordre social moderne, les personnes âgées sont de plus en plus mises à l’écart, isolées au milieu de leurs contemporaines et ignorées par le monde qui les entoure. On estime que leurs jours utiles sont terminés et qu’elles n’ont aucune nouvelle contribution à apporter à la société. En conséquence, la vieillesse est quelque chose à craindre et à éviter aussi longtemps que possible.

Alors la questionse pose : comment allons-nous gérer notre vieillissement inévitable d’une manière qui donne un sens à notre vie ? Dans les pays bouddhistes traditionnels, alors que les enfants grandissent et quittent la maison, que les vies professionnelles s’achèvent, et que les activités deviennent plus dirigées vers l’intérieur, il est de coutume que l’on accorde plus d’attention au Dharma et à la mise en ordre de la vie afin afin d’être prêt pour la mort et les renaissances futures.

Dans les sociétés traditionnelles bouddhistes, de nombreuses personnes âgées prennent les 8 préceptes et passent leur temps dans la méditation ou d’autres activités méritoires comme circumambulation autour d’objets sacrés, prosternations, chants et visites de temples, etc. Le point central de leur vie est dirigée vers le Dharma et elles cultivent la dévotion. Ainsi leur vie demeure-t-elle significative et importante alors que l’axe de leur intérêt a changé.

Pour les femmes, en particulier, il arrive souvent que notre jeunees soit absorbée à jouer le rôle que la société a déterminé pour nous : tout d’abord en tant qu’objets physiques du désir qui doit s’efforcer d’être aussi attrayante et séduisante que possible pour satisfaire les fantasmes masculins. Puis l’épouse et la mère, dévouée à nourrir sa famille et à tenir son foyer. De nos jours, la plupart des femmes ont également une carrière à temps plein pour laquelle elles doivent travailler dur afin de rester dans la course. Il s’agit d’un mode de vie rempli de stress, conçu pour répondre aux attentes des autres.

Cependant, même dans le monde moderne, nous assistons à un phénomène intéressant. De nombreuses personnes, surtout des femmes, ayant rempli les tâches de leur vie comme épouses, comme mères ainsi que dans leurs carrières professionnelles, se sentent alors prêtes à donner toute leur attention à des vocations plus introspectives comme l’art, les professions de thérapie alternative, la psychologie et l’étude et la pratique d’une voie spirituelle. Étant donné que ces femmes sont généralement très instruites et motivés, elles sont en mesure d’acquérir de nouvelles compétences et d’exercer un effet positif de sensibilisation à ces valeurs dans la société qui les entoure. Plutôt que de passer leurs dernières années simplement à jouer au golf ou à regarder la télévision, leur monde intérieur spirituel occupe désormais la place la plus importante.

Il y a quelque temps, j’ai rencontré un groupe de femmes vivant dans une riche petite ville de Floride, qui consacrent leurs dernières années à des pratiques spirituelles sincères et à des activités philanthropiques qui bénéficient non seulement à leur voisinage immédiat, mais aussi à d’autres cultures et d’autres pays. Elles se sentent heureuses et comblées à passer leur temps aider les autres aussi bien qu’elles-mêmes.

Beaucoup de personnes que je connais ont remarqué que la dernière partie de leur vie est devenue plus satisfaisante et plus significative que les années précédentes. À présent, elles peuvent découvrir leurs véritables intérêts plutôt que de simplement se conformer aux attentes de la société. Elles estiment qu’elles ont enfin trouvé la raison de leur vie, tout en acceptant aussi que les années qui ont précédé leur ont été nécessaires pour ce qui s’est développé plus tard, comme un arbre qui croit lentement et ne peut révéler ses véritables caractéristiques qu’au fil du temps. Il semble que le regret principal exprimé par ceux et celles qui sont en train de mourir est: «Je souhaite d’avoir eu le courage de vivre une vie fidèle à moi-même, et non pas la vie que les autres attendaient de moi. »

Bien sûr, la plupart d’entre nous préfèreraient avoir un corps de 25 ans, mais rares sont celles qui choisiraient de retourner à l’état d’esprit de leurs 25 ans! Ainsi, au lieu de redouter l’approche de la vieillesse, en dépit de ce qu’elle entraine comme perte de souplesse physique et mentale, nous pouvons accueillir cette nouvelle étape de la vie et en explorer le potentiel. Nous avons le choix de voir notre vieillissement comme la disparition progressive de tous nos rêves ou considérer la retraite comme le début d’une ère nouvelle et passionnante.

Alors que nous vieillissons, nous voyons nos contemporains – nos amis et membres de notre famille, succomber à des maladies et à la mort, aussi nous sommes forcées de reconnaître ces états comme naturels et inévitables. En tant que femmes bouddhistes, nous avons un rôle important à jouer dans la démonstration d’un mode de vie alternatif qui n’est pas dépendant de nos rôles sociaux habituels et qui peut montrer la voie à suivre pour une plus grande liberté et une manière plus significative de vivre. Même si nos vieux genoux ont trop mal pour s’asseoir les jambes croisées et si nos problèmes de santé nous rendent physiquement moins actifs, notre esprit peut encore être brillant et clair. Notre méditation peut s’approfondir et mûrir.

Maintenant que nous avons plus de temps pour nous-mêmes, nous pouvons choisir un mode de vie qui a un sens et un engagement, pour explorer des voies spirituelles et un engagement social, en en faisant ainsi profiter les autres en même temps que nous-mêmes. Il s’agit d’une excellente opportunité de mettre à profit utilement les compétences acquises au cours de notre vie. Nous renaissons à une vie nouvelle, sans avoir encore à rejeter l’ancienne !

Une fois terminés leur travail «officiel» et leurs responsabilités, beaucoup de personnes choisissent de voyager ou d’acquérir de nouvelles compétences, de faire du sport, ou de l’artisanat. La question qu’on peut se poser en tant que bouddhistes est: «Maintenant que mes responsabilités de ce monde ont été remplies, comment puis-je utiliser cette vie de façon plus concrète pour être utile à moi-même et aux autres? Que faut-il faire pour réaliser plus de progrès sur le chemin du Dharma ?  » Ceci ne signifie pas nécessairement faire de longues retraites ou s’immerger totalement dans un travail pour une communauté bouddhiste. Il y a maintes façons de se développer et de dompter notre esprit. Habituellement, à mesure que nous vieillissons, les tempêtes des bouleversements émotionnels se sont calmées, nous avons au moins acquis un niveau basique de connaissance de soi, et peut-être que notre pratique formelle s’est également renforcée au fil des ans. A présent, nous avons le temps et l’espace pour nourrir ces jeunes arbres de Bodhi de notre pratique et les amener à maturation pour réaliser notre plein potentiel.

Pour de nombreux bouddhistes vieillissant, il ya aussi la question de savoir où vivre quand nos facultés déclinent. Comme le noyau familial se rétrécit et ne peut offrir un abri à domicile, de nombreuses personnes âgées, en particulier dans l’Ouest, mais aussi de plus en plus dans les pays asiatiques, doivent faire face à la probabilité de vivre leurs dernières années dans une maison de retraite médicalisée. Finir en étant constamment entouré de gens et de soignants qui n’ont aucun intérêt dans les choses spirituelles peut être une perspective très sombre. Par conséquent, on aborde parfois la question de lancer une sorte de maison de retraite pour les bouddhistes seniors – le plus souvent indépendamment de toute tradition particulière. Probablement le principal problème est d’ordre financier, car l’acquisition de terrains et de bâtiments adaptés, ainsi que l’entretien ultérieur exigerait des investissements considérables. Cependant, ce serait une entreprise très intéressante qui nécessite certainement plus de réflexions et d’attention. Il est important de faire bon usage de nos dernières années, alors que nos facultés sont encore en état de fonctionner, même si notre vigueur physique est en baisse.

Finalement, c’est à nous de prendre la vie qui nous a été donnée et en tirer le maximum des possiblités qui nous sont offertes pour développer notre potentiel. Ce précieux corps humain est précieux parce que nous l’utilisons comme un moyen de développer l’esprit et d’avancer le long du chemin. Faisons bon usage de nos journées pour créer les circonstances dans lesquelles on pourra mourir sans regret.

Parfois, lorsque nous vieillissons, nous pouvons devenir très malades avec des maladies mortelles telles que le cancer ou des problèmes cardiaques. Cette situation est commune. Beaucoup de gens regardent l’apparition de telles maladies avec effroi et horreur et espèrent mourir tranquillement dans leur sommeil, sans avertissement préalable. Toutefois, ce n’est pas forcément un avantage de mourir sans aucune préparation.

Lorsque nous reconnaissons à l’avance que le temps qui nous est imparti est limité, même si cela est effectivement vrai pour nous tous, il nous donne l’opportunité de prendre des dispositions pour quitter cette vie d’une manière satisfaisante, après avoir mis les choses en ordre. Sachant que nous allons vraiment mourir et que le temps nous est compté peut concentrer l’esprit merveilleusement pour choisir entre ce qui est vraiment important et ce qui ne l’est pas. Les gens sont souvent transformés quand qu’ils commencent à abandonner leurs attachements et leurs ressentiments de longue date pour être prêts pour leur départ.

C’est l’occasion d’admettre nos différences, de réparer les relations brisées, et de faire savoir à ceux qui nous tiennent à coeur qu’ils sont aimés et appréciés. Face à notre mortalité imminente, nous n’avons rien à perdre sinon nos attachements.

Au moment de la mort, il est préférable de concentrer l’esprit sur sa pratique personnelle ou sur un objet de dévotion. Ou du moins essayer de se concentrer sur la lumière et de s’absorber en elle. Les personnes qui entourent le mourant doivent rester calmes et offrir leur soutien, elles ne doivent pas céder à la douleur, mais peut-être chanter doucement quelque chose d’approprié.

Dans l’ensemble, si l’on a mené une vie relativement décente, et surtout si l’on a fait des efforts pour fusionner le Dharma avec l’esprit, la mort n’est plus à craindre. La conscience suivra sa route habituelle. Il est donc vital de s’assurer, alors que nous avons encore un certain contrôle sur nos pensées et nos émotions, que ce sera une voie que nous voudrons emprunter.

Comme le professeur Dumbledore le conseillait au jeune Harry Potter, « Pour quelqu’un avec un esprit bien organisé, la mort n’est que la prochaine grande aventure. »

Source Sakyadhita conference 2013 – traduction Bouddhisme au feminin