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Vers une culture mondiale de l’amour par Bell Hooks

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Photo de Liza Matthews

La pratique de l’amour, dit Bell Hooks, est l’antidote le plus puissant à la politique de  domination. Elle retrace ses trente années de méditation sur l’amour, le pouvoir et le bouddhisme et conclut que seul l’amour transforme nos relations personnelles et guérit les blessures de l’oppression.

 

Lors d’une conférence sur les femmes et le bouddhisme qui s’est déroulée au printemps dernier, j’étais contrariée parce que la plupart des oratrices parlaient dans une belle et sereine chapelle, un lieu évoquant le sens du divin, un lieu sacré pour les paroles prononcées et reçues, mais mon intervention devait avoir lieu le vendredi soir dans un auditorium caverneux, peu attrayant. Déplorant mon exclusion du domaine du sacré, je me suis plainte d’avoir été exilée parce que je n’étais pas considérée comme une «vraie» bouddhiste – pas engagée assez longtemps auprès d’un·e enseignant·e, pas de voyage en Inde ou au Tibet, jamais présente à des retraites importantes – définitivement quelqu’un d’engagé sans qualifications dans le Buddhadharma. Les deux compagnes qui s’étaient jointes à moi lors de la conférence écoutaient ma plainte avec compassion. Pourquoi devais-je parler dans un grand auditorium? Pourquoi devais-je parler un vendredi soir? Oui, je leur ai dit, beaucoup de gens pourraient vouloir entendre Bell Hooks parler de théorie féministe et de critique de la culture, mais ce n’est pas la même chose qu’un discours sur le bouddhisme.

Pourtant, le moment venu, les sièges étaient remplis. Et tout était sur le bouddhisme. C’était une soirée vraiment géniale. La présence sacrée était là, un esprit d’amour et de compassion  nous enveloppait comme une brume printanière, et l’amour bienveillant m’embrassait, moi et mes paroles. C’est toujours la mesure de la pratique consciente – si nous pouvons créer les conditions de l’amour et de la paix dans des circonstances difficiles, si nous pouvons cesser de résister et lâcher prise, travailler avec ce que nous avons, là où nous sommes.

Fondamentalement, la pratique de l’amour commence par l’acceptation – la reconnaissance que là où nous sommes, c’est l’endroit approprié pour pratiquer, que le moment présent est le moment opportun. Mais pour beaucoup d’entre nous, notre désir d’aimer et d’être aimé a toujours été un moment à venir, un espace dans le futur quand cela arrivera, quand nos cœurs affamés seront enfin nourris, quand nous trouverons l’amour.

Il y a plus de trente ans, lorsque j’ai commencé à penser au bouddhisme, on parlait peu ou pas du bouddhisme et de l’amour. Être bouddhiste, c’était la même chose que d’être un gauchiste; il s’agissait de l’intellect, de l’esprit philosophique. C’était la foi pour «l’homme» pensant et l’amour ne se trouvait nulle part dans la littérature bouddhiste populaire à cette époque. La collection de DT Suzuki sur le bouddhisme, publiée à la fin des années quarante et dans les années cinquante, n’avait rien à dire sur l’amour. Esprit Zen, esprit neuf, de Shunryu Suzuki, était le manifeste bouddhiste du début des années soixante-dix et il ne nous parlait pas d’amour.

Même si Christmas Humphreys disait aux lecteurs dans sa publication des années cinquante : Buddhism, An Introduction and Guide que «le bouddhisme est autant une religion d’amour que n’importe laquelle autre sur la Terre». En fait, Humphreys répondait aux gens qui parlaient du bouddhisme comme d’une «religion froide». Pour prouver que l’amour était important pour les bouddhistes, il a cité le Itivuttaka : «Tous les moyens pouvant servir de base à une action juste ne valent pas la seizième partie de l’émancipation du cœur par l’amour. Cela comprend tous les autres moyens, les surpassant en gloire. » Pourtant, vingt ans après cette publication, on parlait encore peu du bouddhisme et de l’amour. Dans les cercles où quelqu’un aurait osé parler d’amour, on lui aurait dit que la question de la compassion préoccupe davantage les bouddhistes. C’était comme si l’amour n’était pas un sujet pertinent et sérieux pour les bouddhistes.

Au cours des turbulences des années soixante et soixante-dix, le sujet de l’amour est passé au premier plan politique. Les activistes de la paix nous disaient de «faire l’amour, pas la guerre». Et le grand prédicateur Martin Luther King a lancé un appel à aimer depuis le désir caché d’un cœur solitaire vers un cri public. Il a proclamé que l’amour était le seul moyen efficace de mettre fin à l’injustice et d’apporter la paix, déclarant que «tôt ou tard, tous les peuples du monde devront découvrir un moyen de vivre ensemble en paix. Pour que cela arrive, l’humain doit  évoluer de sorte que, pour tous les conflits, on trouve une méthode qui rejette la revanche, l’agression et les représailles. Le fondement d’une telle méthode est l’amour. »

Il n’y aurait pas pu avoir de moment historique du Dharma plus propice pour que les chefs spirituels puissent parler de la question de l’amour. Nul doute que la providence divine était à l’œuvre dans l’univers lorsque Martin Luther King et un moine bouddhiste vietnamien peu connu, nommé Thich Nhat Hanh, se trouvèrent sur le même chemin – marchant l’un vers l’autre – engagés dans une pratique de l’amour. Jeunes hommes dont le cœur s’éveillait, ils créaient une sangha symbolique dans des moments mystiques de rencontre sacrée.

Ils confirmèrent chacun le travail de l’autre. Dans la solitude de l’heure de minuit, King se mettait à genoux et se posait la question: «Comment puis-je dire que je vénère un dieu d’amour et soutenir la guerre?» Thich Nhat Hanh connaissant par cœur tous les liens de connection humaine que la guerre brise, a défié le monde de penser la paix en déclarant, à la suite de la guerre du Vietnam, qu’il «pensait qu’il était évident que si vous deviez choisir entre le bouddhisme et la paix, vous devez choisir la paix». Le travail de Thich Nhat Hanh a attiré les Occident·aux·ales (y compris moi-même) précisément parce qu’il offrait une vision spirituelle de l’univers qui encourageait le travail pour la paix et la justice.

Dans Essential Buddhism: A Complete Guide to Beliefs and Practices, Jack Maguire considère que l’accent mis par le bouddhisme sur la non-violence est l’une des caractéristiques centrales qui attirent les Occidentaux·ales. Il écrit: «Un grand nombre de personnes préoccupées par la violence ont été attirées par le bouddhisme en tant que voie spirituelle qui aborde directement le problème. En plus de leur offrir un moyen de s’engager plus activement dans la cause de la paix universelle, cela leur donne un contexte pour devenir plus proches d’autres qui partagent les mêmes idées. Cela aide donc à restaurer leur espoir que les gens puissent vivre ensemble en harmonie. »

De manière significative, le bouddhisme a commencé à attirer beaucoup plus d’adeptes occident·aux·ales parce qu’il a lié la lutte pour la paix mondiale au désir de chaque personne d’être engagée dans une pratique spirituelle avec du sens. En venant d’une époque où les gens intelligents étaient agnostiques ou athées, les gens voulaient la permission de rechercher un lien spirituel.

Présentant le recueil d’essais intitulé Engaged Buddhism in the West, l’éditeur Christopher Queen attire l’attention sur le fait que le bouddhisme socialement engagé «est apparu dans le contexte d’une conversation globale sur les droits humains, la justice distributive et le progrès social… En tant que pratique éthique engagée, le bouddhisme peut être considéré comme un nouveau paradigme de libération bouddhiste.» À la fin des années 1980 et 1990, les enseignements de Thich Nhat Hanh sur la pratique bouddhiste engagée s’adressaient directement aux citoyen·ne·s américain·e·s qui travaillaient pour la paix et la justice, en particulier pour mettre fin à la domination fondée sur une pratique raciste et sexiste, mais qui commençaient à perdre espoir. L’assassinat de leaders visionnaires, l’incapacité à mettre fin au racisme et à créer une société juste, l’échec du féminisme contemporain qui, au lieu de guérir la division entre hommes et femmes, a en fait engendré plus de guerre des sexes – tout cela a créé un sentiment collectif de désespoir. Les enseignant·e·s bouddhistes ont directement abordé cette souffrance.

Chögyam Trungpa Rinpoche a été l’un des premiers enseignants bouddhistes en Occident à faire comprendre que ce désespoir profond pouvait être le fondement d’une pratique spirituelle. Je suis certainement venue au bouddhisme à la recherche d’un moyen de sortir de la souffrance et du désespoir. Thich Nhat Hanh me parlait de ma lutte pour relier la pratique spirituelle à l’engagement social. Pourtant, à l’époque, son bouddhisme semblait souvent rigide et, comme beaucoup d’autres cherch·eurs·euses, je me suis tournée vers les enseignements de Trungpa Rinpoché pour répondre aux aspirations de mon cœur et trouver un moyen de vivre une vie de passion. Pour de nombreu·x·ses cherch·eurs·euses, le sentiment que nous n’avions pas réussi à créer une culture de paix et de justice nous a ramenés à un questionnement introspectif de nos relations intimes, le plus souvent difficiles et pleines de conflits, de douleurs et de souffrances. Comment pouvions-nous  vraiment croire que nous pouvions créer la paix mondiale alors que nous ne pouvions pas faire la paix dans nos relations intimes avec notre famille, nos partenaires, nos ami·e·s et nos voisin·e·s?

En réponse à cette angoisse collective de l’esprit, des enseignants visionnaires (comme King, Thich Nhat Hanh, le Dalaï Lama, Sharon Salzberg) ont vu la nécessité spirituelle de parler plus directement de la pratique de l’amour. Thich Nhat Hanh a déclaré dans le poème «Le Fruit de la conscience est mûr» : quand j’ai su aimer les portes de mon cœur largement ouvertes devant le vent. / La Réalité appelait à la révolution. Cet esprit de révolution, cet appel à pratiquer l’amour transformateur a capté mon imagination critique et a fusionné avec mon désir de trouver un partenaire aimant.

En donnant des conférences sur la fin de la domination dans le monde, en écoutant le désespoir et la désespérance, j’ai contacté des personnes qui avaient le désir d’évoquer une force dans leur vie les poussant à une profonde transformation, en les faisant passer d’une volonté de domination à un désir de compassion. Les histoires que j’ai entendues concernaient l’amour. Ce sentiment d’amour en tant que pouvoir de transformation était également présent dans les récits de personnes travaillant à créer des relations personnelles d’amour. En écrivant à propos de metta, «amour» ou «bienveillance», en tant que première des brahmaviharas, des demeures célestes, Sharon Salzberg nous rappelle dans son livre L’amour qui guérit que « En cultivant l’amour, nous nous rappelons l’une des plus puissantes vérités enseignées par le Bouddha… que les forces de l’esprit qui causent de la souffrance peuvent temporairement retenir les forces positives telles que l’amour ou la sagesse, mais ne peuvent jamais les détruire. L’amour peut déraciner la peur ou la colère c’est un plus grand pouvoir. L’amour peut aller n’importe où. Rien ne peut l’entraver. » À la fin des années quatre-vingt-dix, un éveil du coeur était en train de se produire dans notre pays, l’intérêt pour la question de l’amour se traduisant par un nombre croissant de publications sur le sujet.

En raison de la prise de conscience que l’amour et la domination ne peuvent pas coexister, il existe un appel collectif pour que chacun envisage un apprentissage à l’amour dans son programme émotionnel et/ou spirituel. Nous avons été témoins de la manière dont les mouvements pour la justice qui dénoncent la culture dominante, tout en ayant des pratiques sous-jacentes comportant une utilisation corrompue du pouvoir, ne créent pas vraiment de changements fondamentaux dans notre structure sociétale. Lorsque les activistes radicaux n’ont pas rompu avec la pensée dominatrice (impérialiste, suprémaciste blanche, patriarcat capitaliste), il n’y a pas d’union entre la théorie et la pratique, et le changement n’est ni durable ni réel. C’est pourquoi cultiver l’esprit d’amour est tellement crucial. Lorsque l’amour est la base de notre être, une éthique de l’amour façonne notre participation à la politique.

Travailler pour la paix et la justice commence par la pratique individuelle de l’amour, car c’est là que nous pouvons expérimenter le pouvoir transformateur de l’amour de première main. La prise en compte de l’impact néfaste de la maltraitance dans tant d’enfances nous aide à cultiver l’esprit d’amour. L’abus est toujours un manque d’amour, et si nous devenons adultes sans savoir aimer, comment pouvons-nous créer des mouvements sociaux qui mettront fin à la domination, à l’exploitation et à l’oppression? Dans Perfect Love, Imperfect Relationships, John Welwood partage sa compréhension du fait que beaucoup d’entre nous portent une «plaie du cœur» créée par le conditionnement de l’enfance, créant «une déconnexion d’avec l’ouverture d’esprit qui est notre nature». Il explique que « cette blessure universelle se traduit dans le corps en tant que vide, anxiété, traumatisme ou dépression, et dans les relations comme le sentiment de n’être pas aimé ». Sur le plan collectif, cette blessure profonde dans le psychisme humain mène à un monde déchiré par les luttes, le stress et les dissensions … Les plus grands maux de la planète – guerre, pauvreté, injustice économique, dégradation écologique – découlent tous de notre incapacité à se faire confiance mutuellemnt, à respecter les différences, à engager un dialogue respectueux et à parvenir à une compréhension mutuelle. Welwood relie l’échec individuel à aimer dans l’enfance à de plus plus grands maux sociaux; Cependant, même ceux qui ont la chance d’aimer et d’être aimés dans leur enfance atteignent la maturité dans une culture de domination qui dévalorise l’amour.

Etre aimant peut réellement conduire à être davantage en conflit avec la culture dominante. Même si, comme l’explique Riane Eisler dans The Power of Partnership , nos «premières leçons sur les relations humaines ne sont pas apprises dans les lieux de travail, les entreprises ou même les écoles, mais dans les relations parents-enfants et autres». Ces façons d’être ne se sont pas formées dans l’isolement. La culture de notre pays au sens large façonne notre relation. Tout enfant né dans un hôpital expérimente d’abord la vie dans un lieu où fusionnent le privé et le public. L’interaction de ces deux réalités sera constante dans nos vies. C’est précisément parce que les diktats de la culture dominante structurent nos vies qu’il est si difficile que l’amour prévale.

Quand j’ai commencé, il y a des années maintenant, à me concentrer sur le pouvoir de l’amour en tant que force de guérison, personne n’était vraiment en désaccord avec moi. Pourtant, ce que les gens continuent d’accepter dans leur vie quotidienne, c’est le manque d’amour, car faire un travail d’amour exige de résister au statu quo. Dans son plus récent traité, Aimer, vivre en pleine conscience, Thich Nhat Hanh nous rappelle que «aimer, dans le contexte du bouddhisme, c’est avant tout être là». Il pose ensuite la question de savoir si nous prenons du temps pour aimer. En ce moment, il y a une prise de conscience culturelle collective si profonde que nous devons pratiquer l’amour si nous voulons nous guérir nous-mêmes et la planète. La tâche qui nous attend est de passer de la prise de conscience à l’action. La pratique de l’amour exige que nous prenions du temps, que nous adoptions le changement.

Fondamentalement, pour commencer la pratique de l’amour, nous devons ralentir et être assez tranquilles pour être témoins dans le moment présent. Si nous acceptons que l’amour soit une combinaison d’attention, d’engagement, de connaissance, de responsabilité, de respect et de confiance, nous pouvons alors être guidés par cette compréhension. Nous pouvons utiliser ces moyens habiles comme une carte dans notre vie quotidienne pour déterminer l’action juste. Lorsque nous cultivons l’esprit d’amour, nous sommes, comme le dit Sharon Salzberg, en train de «cultiver le bien», ce qui signifie «retrouver le pouvoir incandescent de l’amour qui est présent en tant que potentiel en nous tous» et utiliser «les outils de la pratique spirituelle».  pour soutenir la réalité de notre expérience d’instant en instant.» Être transformé par la pratique de l’amour, c’est renaître, expérimenter un renouveau spirituel. Ce dont je suis témoin tous les jours, c’est le désir de ce renouveau et la peur que nos vies soient complètement changées si nous choisissons l’amour. Cette peur paralyse. Cela nous retient en un lieu de souffrance.

Lorsque nous nous engageons à aimer dans notre vie quotidienne, les habitudes sont brisées. Nous travaillons nécessairement pour mettre fin à la domination. Parce que nous ne jouons plus avec les règles sûres du statu quo, des règles qui, si nous y obéissons, nous garantissent un résultat spécifique, l’amour nous amène à une nouvelle manière d’être. Ce mouvement est ce que la plupart des gens craignent. Si nous voulons galvaniser le désir collectif de bien-être spirituel que l’on trouve dans la pratique de l’amour, nous devons être plus disposés à identifier les formes que ce désir prendra dans la vie quotidienne. Les gens ont besoin de savoir comment nous changeons et nous sommes changés quand nous aimons. Ce n’est qu’en témoignant concrètement du pouvoir de transformation de l’amour dans notre vie quotidienne que nous pouvons assurer à ceux qui ont peur que l’engagement envers l’amour est rédempteur, que c’est un moyen de faire l’expérience du salut.

Beaucoup de gens écoutent et acceptent les mots d’enseignants visionnaires qui parlent de la nécessité de l’amour. Pourtant, ils ont l’impression dans leur vie de tous les jours qu’ils ne savent tout simplement pas comment relier la théorie et la pratique. Lorsque Thich Nhat Hanh dit dans Le coeur des enseignements du Bouddha que «la compréhension est le fondement même de l’amour et de la compassion», que «si l’amour et la compassion sont dans nos cœurs, chaque pensée, parole et action peuvent provoquer un miracle» . Nous pouvons même ressentir un grand élan de conscience et de possibilités.

Ensuite, nous rentrons chez nous et nous nous trouvons confus sur la façon de réaliser le véritable amour. Je me souviens d’avoir parlé profondément avec Thich Nhat Hanh d’une relation amoureuse dans laquelle je sentais que je souffrais. En sa présence, j’avais honte de confesser la profondeur de mon angoisse et l’intensité de ma colère envers l’homme de ma vie. Parlant avec tant de tendresse, il m’a dit: «Accroche-toi à ta colère et utilise-la comme compost pour ton jardin.» En écoutant ces sages paroles, j’ai eu l’impression que mille rayons de lumière brillaient tout au long de mon être. J’étais certain de pouvoir rentrer chez moi, de laisser ma lumière briller et tout irait mieux; je trouverais la fin heureuse promise. La réalité a été que la communication était toujours difficile. Trouver des moyens d’exprimer le véritable amour exige de la vigilance, de la patience, une volonté de lâcher prise et l’utilisation créative de l’imagination pour inventer de nouveaux modes de relation. Thich Nhat Hanh m’a dit de considérer la pratique de l’amour dans cette relation tumultueuse comme une pratique spirituelle, de trouver dans l’esprit d’amour un moyen de compréhension, de pardon et de paix. Bien sûr, tout cela était un travail. Tout comme cultiver un jardin nécessite de retourner le sol, d’arracher les mauvaises herbes, de planter et d’arroser, faire le travail de l’amour consiste à agir.

Chaque fois que quelqu’un me demande comment il/elle peut commencer la pratique de l’amour, je lui dis que donner est le premier pas. Dans The Return of the Prodigal Son, Henri Nouwen propose ce témoignage: «Chaque fois que je fais un pas dans la direction de la générosité, je sais que je passe de la peur à l’amour.» Salzberg voit dans le don un moyen de purifier l’esprit: « Donner est un état intérieur, une générosité de l’esprit qui s’étend à nous-mêmes comme aux autres.» En donnant, nous développons l’esprit de gratitude. Donner nous permet de vivre la plénitude de l’abondance, non seulement l’abondance que nous avons, mais aussi l’abondance du partage. En partageant tout ce que nous avons, nous devenons plus. Nous éveillons le coeur de l’amour.

La pensée et la pratique de la domination s’appuient pour son maintien sur la production constante d’un sentiment de manque, du besoin de saisir. Donner de l’amour nous offre un moyen de mettre fin à cette souffrance: nous aimer nous-mêmes, étendre cet amour à tout ce qui est au-delà de nous-mêmes, nous faisons l’expérience de la complétude. Nous sommes guéris. Le Bouddha a enseigné que nous pouvons créer un amour si fort que, comme le dit Salzberg, nos «esprits deviennent comme une rivière pure et fluide qui ne peut pas être brûlée». Un tel amour est le fondement de l’éveil spirituel.

Si nous voulons créer une culture d’amour dans le monde, nous avons besoin d’enseignants éclairés pour nous guider. Nous avons besoin de stratégies concrètes pour pratiquer l’amour au milieu de la domination. Imaginez tout ce qui changerait en mieux si chaque communauté de notre nation avait un centre (une sangha) qui se concentrerait sur la pratique de l’amour, de la bienveillance. Toutes les grandes traditions religieuses partagent la conviction que l’amour est notre raison d’être. Cette compréhension partagée de l’amour aide à relier les traditions bouddhistes à la pratique chrétienne. Ceux qui viennent du bouddhisme à partir des traditions chrétiennes apprécient le travail que Thich Nhat Hanh a fait pour créer un pont reliant ces voies spirituelles. Dans Bouddha vivant, Christ vivant, il offre une vision d’inclusivité, nous rappelant que Jésus et Bouddha sont des portes par lesquelles passer pour trouver le véritable amour. Il explique: «Dans le bouddhisme, une porte aussi spéciale est profondément appréciée parce que cette porte nous permet d’entrer dans le domaine de la pleine conscience, de l’amour bienveillant, de la paix et de la joie». Partageant l’évidence qu’il existe de nombreuses portes d’enseignement, il déclare que :  » chacun·e de nous, par notre pratique et notre bienveillance, est capable d’ouvrir de nouvelles portes du dharma. »

Nous tou·te·s, qui travaillons à la création d’une culture de l’amour, cherchons à partager un véritable corps d’enseignement qui peut toucher tout le monde là où nous sommes. C’est la leçon que j’ai apprise lors de la conférence en mai dernier: être large, élargir le cercle de l’amour au-delà des frontières, rassembler des personnes d’horizons et de traditions différentes, et sentir ensemble la façon dont l’amour nous relie.

Source : Lion’s Roar mars 2016 – traduction Bouddhisme au féminin

Bell Hooks se décrit comme « une femme noire, intellectuelle, activiste révolutionnaire » Une éminente penseuse sur les questions du féminisme et de la race (entre autres), elle a publié plus de vingt livres, dont Ain’t I a Woman: Black Women et Feminism.