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L’ordination des nonnes sera-t-elle bientôt rétablie dans la tradition du bouddhisme tibétain ?

par Carola Roloff

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[Du 18 au 20 juillet 2007, l’Université de Hambourg accueillera une rencontre sur un sujet pour le moins inhabituel en Europe : le 1er Congrès International sur le rôle de la femme dans le Sangha bouddhiste, les règles monastiques et le rétablissement de la pleine ordination des moniales.

Ce dernier point – le coeur du sujet de cette rencontre – est particulièrement débattu, aujourd’hui, au sein de la tradition du bouddhisme tibétain. Et bien que le Dalaï-lama se soit plusieurs fois exprimé en sa faveur, les érudits du « Vinaya » (le codemonastique) continuent de le refuser.

Pour mieux comprendre les enjeux de ce débat et apprécier son actualité, nous vous proposons un article de Carola Roloff (Vénérable Jampa Tsedroen), paru dans le magazine « Tibet und Buddhismus » du « Tibetisches Zentrum e.V. Hamburg » Nr. 79 4/2006, dans une traduction française diffusée sur le site des Femmes bouddhistes en Europe

Aujourd’hui : aucun voeu ne permet de devenir pleinement nonne (bhiksuni) au Tibet

En Occident, beaucoup de femmes se demandent si les enseignements spirituels du Bouddhisme tibétain sont appropriés pour elles. Elles trouvent peu d’enseignantes avec les titres appropriés. Jusqu’à présent, il y a très peu de Tulku féminins et peu de nonnes tibétaines ayant bénéficié de la pleine ordination (bhiksuni). Aucune nonne ou laïque bouddhiste ne pouvaient prétendre jusqu’à présent au titre académique de geshe-ma ou de khen-mo.

Les études monastiques traditionnelles ne sont ouvertes aux femmes que depuis les années 80. Sa Sainteté le Dalaï Lama est de ceux qui ont pris position pour une pleine ordination des nonnes, ainsi que pour l’ouverture de l’enseignement pour avoir des geshe féminins. Dans la discussion sur l’égalité entre les moines et les nonnes, il va même plus loin. Une bonne et incontestable solution à ce débat serait un argument supplémentaire idéal face à la Chine lorsque le moment sera venu de retourner au Tibet.

Quelques femmes occidentales, qui pratiquent le Bouddhisme tibétain, ont reçu leur pleine ordination au cours de ces dernières 25 années en se rendant en Corée, à Taiwan, Hong Kong ou même auprès de nonnes et de moines vietnamiens en exil. En réalité au sein du Bouddhisme tibétain, ces vœux n’existent plus – ce qui n’était pas le cas pendant la vie de Bouddha – car ceux-ci n’ont jamais été rapportés d’Inde vers le Tibet.

Du 22 au 24 mai 2006 s’est déroulée une conférence des maîtres tibétains du vinaya à Dharamsala. Le sujet principal de cette conférence devait être la question d’un retour à l’ordination des nonnes (bhiksuni) au sein du Bouddhisme tibétain. Malheureusement, tout tourna autour du « si ». Les maîtres conservateurs ont répété la question de savoir si une ordination pour les femmes était seulement nécessaire. Finalement, on a pu s’en sortir pendant 1000 ans sans ; les vœux du Bodhisattva et du Tantrisme sont, de toutes façons, plus importants et les règles seraient peut-être trop dures pour les femmes à respecter. Les participants ne sont pas tombés d’accord de manière constructive. Certains ont même considéré que si l’on donnait les mêmes possibilités aux femmes que celles données pendant la vie de Bouddha, l’on mettrait en péril la survie du Bouddhadharma.

Malgré les positions claires prises en faveur des nonnes au cours de leurs discours respectifs par sa Sainteté de Dalai Lama, le professeur Samdhong Rinpoche, Gyalwa Karmapa et le ministre pour la religion et la culture, les partisans du oui n’ont pas pu renversé la majorité des maîtres tibétains du Vinaya.

Vers la fin de la conférence, presque la moitié des moines pensaient avoir trouvé un terrain d’entente: les nonnes tibétaines pouvaient obtenir la pleine ordination à Taiwan, en Corée ou au sein de la tradition vietnamienne. Ainsi l’ensemble du processus avait échoué et il n’existerait toujours pas d’ordination pour les nonnes au sein de la tradition tibétaine. Quelques nonnes occidentales quittèrent alors résignées le rassemblement.

Le professeur Samdhong Rinpoche était mécontent du résultat. Il a donc déclaré à la fin de la conférence, qu’il allait réunir un comité de quatre à cinq personnes et qu’il en prendrait la tête afin d’arriver à trouver une solution idéale à ces recherches qui durent déjà depuis 25 ans. Le résultat devra être débattu jusqu’en septembre 2006 et sera présenté à tous les Lamas et les abbés dirigeants des quatre traditions.

La question est de savoir comment il est possible d’avoir des nonnes tibétaines alors qu’il n’y a aucune Bhiksuni (nonnes ayant la pleine ordination) pour les accueillir au sein de l’ordre. Les femmes qui sont de nos jours des nonnes tibétaines sont appelées en Tibétain « ani », et selon les règles de l’ordre, considérées comme des novices, voir même seulement comme des postulantes (rabjung) dans la tradition Karma Kagyü.

Les nonnes-novices tibétaines apparaissent, pour la première fois, dans les « Annales bleues », pendant la dernière diffusion de l’enseignement au Tibet vers le XIe et XIIe siècle, et non durant la première diffusion entre le VIIIe et IXe siècle. En Inde et au Népal, les bhiksuni étaient même présentes dans l’université monacale de Nalanda jusqu’à la fin du XIe et le début du XIIe siècle.

Les Tibétains suivent les règles des ordres (vinaya) des Mulasavastivadin, qui étaient surtout appliquées dans le nord de l’Inde et au Népal. Le maître du Bengale Santaraksita (mort environ en 788) amena les Mulasarvastivada-Vinaya au Tibet pendant la seconde moitié du VIIIe siècle.

Le dernier document où on mentionne une nonne au Népal, date de l’année 1069. Même si les vœux de Bhiksuni n’ont jamais été transmis au Tibet, il y a bien eu des bhiksuni (en tibétain gelongma) dans ce même pays du début du XIVe au début du XVIe siècle. Plus tard, avec le Ve Dalai Lama (XVIIe siècle), les écrits ne font plus état de gelongma.

Les lignées d’ordination et les rituels

Pour qu’une ordination soit valable, il faut une motivation suffisante, un respect correct des rituels et l’authenticité de la lignée d’ordination des voeux du pratimoksa (pour sa propre libération), qui est, dans ce cas là, une lignée ininterrompue des voeux de bhiksuni. Le renouveau des voeux pose surtout des questions juridiques et formelles au sein de l’ordre.

Toutes les interprétations et les traditions des vinaya s’accordent aujourd’hui pour dire qu’au commencement, seule une ordination par des bhiksu était permise et que le Bouddha avait, par la suite, créé une ordination graduelle de femme à femme. Seul le plus haut des voeux, celui de bhiksuni, était célébré le même jour devant les deux ordres, le Sangha des bhiksuni et celui des bhiksu.

Les Tibétains ont développé un système unique de restitution de la lignée. Les érudits du vinaya considèrent la lignée ininterrompue des successeurs des abbés et abbesses comme déterminante. Car c’est par ce biais que l’origine même des voeux de bhiksu ou bhiksuni peut être démontrée. Les voeux doivent être transmis selon des rituels précis, de génération en génération, de maîtres à élèves, dans certains cas de maîtresses à élèves féminines. Ceci s’effectue grâce à l’ordination. Si la transmission semble interrompue, le renouveau de celle-ci doit être prouvée en démontrant que cette lignée est continue depuis Bouddha.

Les maîtres et maîtresses de ce type de lignées sont considérés comme les « gardiens de la lignée ». Ceci ne découle pas d’une nomination. Il suffit d’avoir reçu une transmission effective et prouvée, et de l’avoir à son tour transmise à des élèves. Les lignées tibétaines de bhiksu peuvent remonter au Bouddha Sakyamuni ou Sariputra suivi de Rahula. Historiquement, il est très difficile de prouver que de telles lignées remontent sans interruption effectivement à 2.500 ans, mais la conviction de la pureté de ces traditions en Asie est très forte.

Chaque lignée d’ordination, s’adaptant aux différents pays d’implantation du bouddhisme, a édicté ses propres règles concernant l’habit monastique (forme, couleurs, tissus autorisés, etc.).

Au Tibet, il y avait plusieurs lignées d’ordination de vinaya. Un des exemples peut être celui du XIIIe et du XIVe Dalai Lama qui ont reçu l’ordination dans la lignée transmise par le grand Pandita Sakyasribhadra (1140-1225) du Kashmiri au Tibet. Une autre lignée de la même origine est celle de Je Tsonkhapa (1357-1419) qui fut le fondateur de la tradition Gelugpa.

Il existe aussi une lignée appelée « la lignée inférieure ». Inférieure se réfère à la situation géographique des régions de l’Amdo et du Kham dans l’Est du Tibet. Lorsque le roi Langdarma a détruit l’enseignement bouddhiste pendant le IXe siècle, Tölungpa Mar Sakyamune, Bodongpa Yo Gejung et Tsang Rabsal se sont réfugiés à Danthig en Amdo. Ils ont alors procédé conjointement avec deux autres moines chinois (Hvasan Kevan et Gyivan) à la pleine ordination du célèbre Lachen Gongpa Rabsal (952/3-1035). Les XIIIe et XIVe Dalai Lama sont également et peut-être les seuls gardiens de cette lignée, selon des résultats de recherches récentes qui doivent être publiés prochainement en Inde. Puisque les deux moines chinois nommés précédemment appartiennent probablement, comme les bhiksuni chinoises, à la tradition Dharmaguptaka, cela serait une très bonne raison pour ranimer au sein du Bouddhisme tibétain la tradition des voeux de bhiksuni avec l’aide des nonnes chinoises.

Un des critères déterminants pour la réintroduction des voeux de bhiksuni est le respect scrupuleux des rituels d’ordination. Selon le Vinaya, plusieurs conditions doivent être réunies. Par exemple, les candidats doivent avoir un âge minimum et une motivation spirituelle correcte. Même s’il faut éviter des erreurs pendant le rituel, certaines erreurs remontent parfois même au Bouddha : ainsi l’un des candidats s’est endormi pendant le rituel. L’éveillé a pourtant déclaré cette ordination comme valable. En règle générale, une cérémonie d’ordination est valable juridiquement lorsque tous l’ont effectuée en toute connaissance de cause et en toute conscience, et que le moment et le lieu de l’ordination ont été annoncés. Il n’existe pas de précédent précisant qu’une ordination ait été, par la suite, déclarée caduque.

Les moines érudits tibétains ne voient que deux solutions pour que l’ordination des bhiksuni soit en adéquation avec la tradition : soit une ordination des nonnes uniquement par le biais du Sangha des moines, soit une ordination duelle, c’est à dire devant les Sangha des nonnes et des moines. Quelques moines tibétains et novices tibétaines prônent une ordination par les bhiksu seulement, car ils veulent pratiquer selon leur propre tradition et ils seront sûrs, par là, de la pureté et du caractère ininterrompu de la lignée tibétaine des bhiksu. Beaucoup de novices souhaiteraient prendre leurs voeux de bhiksuni devant sa Sainteté le Dalai Lama, qui s’est déjà déclaré prêt à le faire en mai 2006. S’il n’y a pas de bhiksuni dans sa propre tradition, une autre alternative serait d’utiliser les rituels d’ordination des moines, comme c’est le cas actuellement pour l’ordination des novices.

Une autre possibilité serait que le rituel soit pratiqué conjointement par des moines de la tradition Mulasarvastivada et des nonnes chinoises de la tradition Dharmagupta. Dans ce cas, la question serait plutôt de savoir si l’on peut mélanger deux lignées de Vinaya différents. Puisqu’il n’y avait pas de multiples écoles de Vinaya du temps du Bouddha, celui-ci n’a pas pu interdire ce type de pratiques : cela devrait donc être permis, d’autant que toutes ces écoles se revendiquent comme ses héritières. Ainsi, serait-il possible de réintroduire, par la suite, la tradition Dharmagupta au sein du Bouddhisme tibétain, ou, par le biais de la combinaison avec les moines tibétains, de permettre aux nonnes de pratiquer selon les règles de la tradition Mulasarvastivada.

Beaucoup de solutions sont envisageables et où il y a la volonté, on trouve toujours un chemin. Le Dalaï Lama, profitant de son exil, incite à la discussion sur ce type de question et à la prise de décisions éclairées. Une collaboration étroite entre la Chine et le Tibet pour le rétablissement de l’ordination des nonnes pourrait déclencher une impulsion vers un rapprochement dans le domaine politique. Dans tous les cas, cela prouverait que les deux pays peuvent travailler ensemble de manière constructive au moins dans le domaine religieux.

Congrès international sur le thème des nonnes à Hambourg en 2007

En juillet 2007, à l’université de Hambourg, se tiendra un congrès scientifique international avec des représentants de toutes les traditions bouddhistes pour faire un état des lieux de la recherche pour la réintroduction de l’ordination des bhiksuni. Le congrès se déroulera du 18 au 20 juillet 2007, avant le début de la semaine d’enseignement de sa Sainteté le Dalai Lama. Dans une lettre de conseil adressée aux organisatrices du congrès, le Dalai Lama écrit : « J’ai accepté de prendre part le 20 juillet au symposium et donnerai mon appui inconditionnel. J’espère que ce symposium va inspirer les femmes bouddhistes dans leur choix pour une vie religieuse et améliorera leur reconnaissance sociale. »

Carola Roloff => Plus de renseignements

images du congres