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Bouddha et les femmes – Susan Murcott

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Les premières femmes bouddhistes (titre du livre en anglais et beaucoup plus exact) d’après le Thérigata, le « cantique des anciennes » qui témoigne de leur haute autorité spirituelle reconnue dans la Sangha.

la version originale :

L’auteure dresse des portraits hauts en couleurs de ces femmes d’exception et nous fait partager le bonheur de leur réalisation spirituelle.

Nous y trouvons l’histoire de Mahapajapati, la mère de toutes les nonnes, que nous avons célébré dans le numéro 10.

 

Notre commentaire :

« Ce livre est né de mon besoin de trouver un système de croyances philosophiques et religieuses porteur de sens… . . Je cherchais un système de croyance qui posséderait au minimum les deux éléments suivants : l’affirmation que les femmes peuvent comprendre et atteindre les vérités religieuses les plus élevées et des structures institutionnelles qui donnent aux femmes une opportunité égale de manifester une autorité spirituelle dans chaque fonction religieuse. »

C’est par ces mots que Susan Marcott décrit le cheminement qui l’a amené à l’étude et à la traduction d’un ensemble de poèmes du canon des tout premiers écrits bouddhistes, le Thérigatha, transmis oralement pendant plusieurs siècles et consigné par écrit en pali au cours du premier siècle avant Jésus Christ.

Outre sa richesse poétique, le principal intérêt de ce recueil réside dans le fait qu’il est l’oeuvre de femmes ayant atteint l’Eveil.

Susan Marcott déclare dans la préface avoir réalisé ce livre par plaisir, elle sait nous le faire partager. Son commentaire, d’une grande richesse, s’appuie sur une érudition discrète mais solide. Elle réussit à nous faire comprendre le contexte culturel et social dans lequel ces premières femmes bouddhistes évoluaient.

Quel que soit leur statut social, fille de roi ou esclave, laïque ou nonne, leurs préoccupàtions, leurs souffrances, leurs aspirations nous sont proches. Chacune d’elles a un nom, une personnalité parfois haute en couleurs et une histoire individuelle qui est retracée avant de nous laisser découvrir le poème témoignant de sa réalisation intérieure:

« Le Bouddha a enseigné
Sept facteurs d’Eveil.
Ce sont les voies pour trouver la paix
et je les ai toutes développées.

J’ai atteint la vacuité, le non-né.
C’est ce à quoi j’aspirais.
Je suis une vraie fille du Bouddha,
trouvant toujours la joie dans la paix.

Je suis parvenue au terme du désir
des dieux et des hommes,
et ne vais plus errer de naissance en naissance.
Il n’y a plus de nouvelles naissances. »

 

Ces chants de victoire, qui représentaient des enseignements pour les membres de la sangha, résument, en quelques lignes d’une grande sobriété, l’impermanence du corps, la fin du désir, la joie d’un esprit libre de la souillure du mental:

« A cause de la souffrance des choses
J’aime être vigilante.
J’en ai fini avec le désir.
L’enseignement du Bouddha s’ est réalisé. »

Davantage que le titre original (« The first Bouddhist women »), le titre français révèle l’autre enjeu de ce livre : l’attitude du bouddhisme envers les femmes. En effet, toutes les grandes religions se sont montrées résolument misogynes et le bouddhisme, religion de moines voués au célibat (pour la plupart des courants), n’échappe pas à la règle. Une attitude qui a été et est toujours une source de souffrance et d’oppression pour un nombre incalculable de femmes et qui en outre sème en elles le doute quant à leur valeur propre, leurs capacités et leur intégrité d’être.

En raison de la puissance de ses propres désirs, le moine considère avec ressentiment celle qui, par sa seule présence, détourne son attention. La femme est la tentatrice par qui la chute arrive., Il lui faut donc élever entre elle et lui des barrières infranchissables pour être sûr de ne pas succomber.

Aussi, à travers plusieurs extraits des écritures palies cités par Susan Marcott, l’attitude du Bouddha apparait-elle étrangement hésitante et illogique à l’égard des femmes. Il refuse à plusieurs reprises aux femmes l’entrée dans la communauté monastique et c’est à la suite d’un dialogue assez étonnant avec Ananda qu’il finit par y consentir:

– C’est assez, Ananda. Ne mets pas ton coeur dans l’espoir que les femmes puissent y être autorisées…
– Seigneur, est-ce que les femmes, une fois entrées dans l’état sans famille, sont capables de réaliser les fruits de l’entrée dans le courant, de ceux qui ne reviennent qu’une fois, de ceux qui ne reviennent plus, et de l’état d’arahant?
– Oui, Ananda, elles le peuvent.
– Si les femmes sont donc capables de réaliser la perfection et puisque Pajapati vous a été d’un grand secours, ce serait bien si elles pouvaient être autorisées à entrer dans l’état sans famille.
– Si donc, Ananda, Pajapati accepte les Huit Grandes Conditions, considérons qu’il s’agit là de son ordination. »

Ainsi, Celui qui était toute compassion, qui a consacré quarante ans de sa vie à essayer d’aider ses contemporains en leur enseignant les moyens d’emprunter le chemin qu’il a lui-même parcouru, n’accorde aux femmes qu’à contre-coeur l’autorisation de se consacrer tout entières à leur pratique, une autorisation qu’il s’empresse d’assortir de règles par lesquelles elles doivent bien sentir qu’elles sont à une place inférieure.

Bien qu’il reconnaisse que les femmes sont les égales de l’homme face à l’Eveil, le Bouddha ne veut néanmoins pas leur donner les moyens d’y accéder. Il ne cède qu’après une discussion avec Ananda et le plaidoyer de la femme qui l’a élevé. Un tel comportement apparait véritablement étrange de la part d’un être pleinement éveillé, qui est par conséquent au delà de toute distinction.

Par ailleurs, le Bouddha n’a-t-il pas, dans le Kalama sutta, encouragé sans cesse ses disciples à ne rien accepter sans le mettre en question: « Ne croyez pas sur la foi des traditions, quoi qu’elles soient. en honneur depuis de nombreuses générations et en beaucoup d’endroits; ne croyez pas une chose parce que beaucoup en parlent; ne croyez pas sur la foi des sages des temps passés … ne croyez rien sur la seule autorité de vos maîtres ou des prêtres; croyez, après examen, ce que vous-même’ aurez expérimenté et reconnu raisonnable et qui sera conforme à votre bien et à celui des autres. « 
Si donc, il est attribué au Bouddha des propos tels que la conversation rapportée plus haut et d’autres, cités dans ce livre, et franchement blessants à l’égard des femmes, il est permis de s’interroger sur leur authenticité, sachant que leur transmission reposait sur des moines dont la misogynie était en quelque sorte, comme la qualifiait Alexandra David Neel, une déformation professionnelle. La vénérable Jetsunma Tenzin Palmo pense aussi que l’origine de tous les textes misogynes existant dans le Bouddhisme doit être mis en question.

D’ailleurs cet ouvrage témoigne du courage et de l’accomplissement spirituel de nombreuses femmes gui ont eu confiance en leurs capacités, rejetant avec force les préjugés sexistes, et ne cherchant, selon les mots mêmes du Bouddha, le refuge qu’en elles-mêmes. Le poème ci-dessous, d’une femme appelée Soma, retrace son dialogue avec Mara, le malin, celui qui cherche à l’empêcher d’atteindre l’Eveil. Il lui suggère que l’obstacle insurmontable n’est pas la turbulence de son mental, ses peurs ou ses désirs, mais sa condition de femme :
Mara:
Ce lieu que les sages ont conquis
est difficile à atteindre.
Une simple femme ne peut venir ici.

Soma:
Quel mal y a–t-il
à être femme
quand l’esprit est concentré
et la perception claire?

Si je m’étais demandé
« Suis-je une femme
ou un homme dans cela? »
alors, je serais en train de parler
la langue de Mara.

Partout, l’amour du plaisir est détruit,
la grande obscurité est écartée
et la Mort,
toi aussi, tu es anéantie.

Ce livre s’inscrit dans le courant d’autres études de féministes américaines qui se sont penchées sur leur tradition, retrouvant dans les premiers temps du christianisme les traces de femmes qui ont enseigné, écrit et témoigné de leur avancement spirituel. Toutes ces voix oubliées et étouffées resurgissent du passé pour donner aux femmes de notre temps confiance et espoir.