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Question aux enseignantes : qui renait ?

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Deux enseignantes répondent à une questions posée par un(e) pratiquant(e):
– Zenkei Blanche Hartmann de la tradition Zen, ancienne abbé du San Francisco Zen center,
– Narayan Helen Liebenson, enseignante au Cambridge Insight Meditation Center de la tradition Théravada.

J’ai été élevé en tant que chrétienne et on m’a appris qu’il ya une âme éternelle qui abandonne le corps à la mort et va au ciel ou en enfer. Alors que je suis maintenant pratiquante bouddhiste, mon éducation religieuse passée demeure un problème. Mon cerveau logique me dit qu’il doit y avoir quelque chose qui anime un être et laisse le corps quand il meurt; après tout, on peut faire la différence entre un cadavre et un être vivant.
Dans la tradition Theravada, nous avons les contes Jataka qui décrivent les vies antérieures de Gautama. Dans la tradition zen, Jiyu-Kennett Roshi décrit ses vies antérieures dans son autobiographie, ‘The Wild White Goose’. Dans la tradition Vajrayana du Tibet, il y a la tradition des tulkus avec la réincarnation intentionnelle des êtres réalisés tels que le Dalaï Lama.
S’il vous plaît, aidez-moi à comprendre le concept bouddhiste de ce qui renait ou se réincarne. Qu’est-ce qui est jamais né et ne meurt jamais? Est-ce la conscience? est-ce l’esprit ? Est-ce vide? Cela ressemble à une âme éternelle pour moi.

Narayan Helen Liebenson: Anatta (non-soi) est un enseignement central du Bouddha, comme la renaissance. Comment pouvons-nous mettre ensemble ces enseignements en apparence contradictoires? Le Bouddha a enseigné que la libération du samsara, du cycle répétitif de la naissance et de la mort, est possible grâce à la compréhension du non-soi — qu’on ne peut s’accrocher à rien qui soit véritablement « moi » ou « mien ». Donc, on pourrait dire que la renaissance affecte ceux qui s’accrochent à un sentiment de soi, mais se termine pour ceux qui sont libres de tels attachements.

Pour la question de « qui renait », le Bouddha n’y a pas répondu. Tous ses enseignements nous guident vers la fin de la souffrance; le Bouddha semble avoir été plus intéressé à aider les êtres vivants à trouver la fin de la servitude que les théories. Je crois que des êtres réalisés choisissent de venir dans ce monde pour notre bénéfice. Pour vous et moi, c’est un peu différent; la renaissance est la conséquence de l’attachement.

Des mots tels que «conscience» et «esprit» (en anglais awareness) ne sont que des mots. Votre question ne peut pas vraiment être résolue en utilisant simplement des mots. Est-ce qu’une réponse intellectuelle peut nous satisfaire ? Qui d’entre nous le sait vraiment? Et pourtant il y a un chemin, qui est la libération de la peur et de la confusion.

Une foi inébranlable émerge naturellement par un questionnement méditatif et un silence intérieur. Dans la démarche de faire face à toutes nos expériences, y compris les plus difficiles, avec une ouverture du coeur et une saine curiosité, des questions telles que celles-ci cessent. Vous pouvez ne pas être en mesure de préciser quand ce changement a eu lieu, ni quand ni comment, mais la question se dissout au lieu d’être résolue.
La théorie nous amène seulement jusqu’à un certain point. Nous devons méditer si nous voulons trouver une fin à la confusion. Ce qui anime le corps maintenant? Ceci est plus important que se demander ce qui animera un être dans un moment qui n’est pas encore là. Si nous pouvons regarder profondément les choses telles qu’elles sont en ce moment, que nous aimions ce qui se passe ou non, nous pouvons nous trouver en mesure de répondre à la mort avec clarté et courage.
Essayez de ne pas lutter contre votre éducation religieuse passée, mais plutôt prenez cette idée d’une âme éternelle et examinez-là. Les enseignements du Bouddha encouragent l’investigation, pas une croyance aveugle. Lorsque nous rencontrons une question authentique et que nous sommes prêts à l’examiner avec un esprit silencieux, cela nous permet d’accéder à une vie d’émerveillement. Je vous invite à examiner cette question avec tout votre cœur.

ZENKEI BLANCHE HARTMAN: Cette question de « Qu’est-ce qui se passe quand on meurt? » ou « Est-ce que quelque chose continue, et si oui, quoi? » a été très importante pour beaucoup de penseurs au cours des siècles. Dans la littérature Zen nous la rencontrons, entre autres lieux, dans le « Blue Record Cliff, Cas 55 », intitulé « les condoléances de « Tao Wu »:
Tao Wu et Chien Yuan se rendent dans une maison pour présenter leurs condoléances. Yuan frappe le cercueil et dit, « Vivant ou mort? » Wu répond, « Je ne dirai pas vivant et je ne dirai pas mort. » Yuan dit, « Pourquoi ne pas le dire? » Wu répond, « je ne le dirai pas. » À mi-chemin, alors qu’ils sont de retour, Yuan dit, « Dites-le moi tout de suite, Maître, si vous ne me le dites pas, je vais vous frapper. » Wu répond, « Tu peux me frapper, mais je ne le dirai pas. » Yuan l’a frappé.
Plus tard, Tao Wu mourut. Yuan alla voir Shih Shuang et rapporta l’histoire qui précède. Shuang dit, « Je ne dirai pas vivant et je ne dirai pas mort. » Yuan dit, « Pourquoi ne pas le dire? » Shuang répondit, « je ne le dirai pas, je ne le dirai pas. » A ces mots, Yuan eut un « insight » (un instant d’éveil).

Pour moi, l’enseignement principal de cette histoire est que chacun de nous doit lutter personnellement avec ces questions fondamentales de la naissance et la mort; personne ne peut y répondre pour nous.

Mon défunt mari avait une histoire préférée au sujet de Pavlov, qui avait apparemment des disciples dévoués autour de lui alors qu’il gisait sur son lit de mort. Comme il neigeait, l’un de ses disciples alla dehors et rapporta à Pavlov un peu de neige sur une plaque. Pavlov la regarda pensivement pendant un certain temps tandis qu’elle fondait sur la plaque, puis il dit, « Oh, c’est comme cela ! » et il mourut.

Pour autant que je sache, chaque tradition religieuse a des histoires au sujet de ce qui arrive quand ce corps meurt et une suggestion que quelque chose continue. L’importance de la façon dont nous vivons nos vies, et l’enseignement que nos actes délibérés mettant en branle le corps, la parole et l’esprit auront des conséquences et une incidence sur ce qui se passera après la mort fait également partie de toutes les traditions religieuses avec lesquelles je suis familière.

Spéculer sur la grande question de la naissance et de la mort peut ne pas offrir autant de tranquillité que faire de votre mieux pour cultiver les six perfections ou de voir le Bouddha dans chaque personne. Franchement, à ce stade de ma vie (je suis maintenant âgée de 87 ans, avec une diminution d’énergie et des problèmes de mobilité), je mets l’accent sur la culture de l’amour bienveillant envers tout le monde et je fais de mon mieux pour suivre la règle d’or de toujours traiter tout le monde comme je voudrais être traité.
Pour moi, l’effort dans la pratique est mieux dépensé à développer la capacité de vivre pleinement le moment présent afin que je puisse être plus en mesure de connaître ce qui se passera quand je respirerai mon dernier souffle. Quand mon temps viendra, j’espère vraiment que je serai en mesure de répondre à ce grand mystère avec tranquillité et curiosité. Ou, comme Mary Oliver le dit si éloquemment dans l’un de ses poèmes:

Quand la mort viendra comme un iceberg entre deux murailles,
Je veux franchir la porte, pleine de curiosité, en me demandant:
qu’est ce que cela va être, cet abri de l’obscurité ?
extrait de « Quand la mort vient, » Poèmes New and Selected.

Source BuddhaDharma Spring 2014 Traduction Bouddhisme au féminin