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Question aux enseignant(e)s : Laïque ou monastique ?

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Trois enseignant.e.s répondent à une questions posée par un(e) pratiquant(e):
– Zenkei Blanche Hartmann de la tradition Zen, ancienne abbé du San Francisco Zen center,
– Narayan Helen Liebenson, enseignante au Cambridge Insight Meditation Center de la tradition Théravada.
Geshé Tenzin Wangyal Rimpoche, de la lignée Bön Dzogchen de la tradition tibétaine

Question : Il semble qu’il y ait une suggestion, tacite, mais puissante, que l’on doive devenir moine ou nonne pour atteindre l’illumination. Je sens cela surtout dans la tradition Theravada, et j’ai vu dans ce magazine et ailleurs des déclarations de plusieurs moines diverses qui soutiennent que le principe de la vie monastique est de témoigner et de préserver cet idéal humain vers lequel tous les pratiquants devraient tendre. Ils semblent penser que, bien que la méditation et d’autres pratiques puissent aider un ou une laïque à moins souffrir, celui-ci ou celle-ci est intrinsèquement inférieure spirituellement parce que sa vie ne peut pas être libre d’attachement.
Donc ma question est la suivante: Y a t-il vraiment un impénétrable plafond de verre au dessus des laïques en ce qui concerne la libération? Doit-on nécessairement abandonner ses obligations familiales pour trouver la libération complète?

Blanche Hartmann : Au début de ma pratique, j’ai sûrement pensé qu’être ordonné était plus spécial que d’être une laïque ordinaire, mais en regardant en arrière, je pense que je projetais cette idée d’être « spécial » sur les pratiquants ordonnés. Certainement, Suzuki Roshi ne m’a jamais fait sentir que quelque chose d’essentiel manquait à ma pratique laïque. Il nous a encouragés à voir le Bouddha en tous, et je sentais qu’il voyait même un bouddha en moi. Et dans la tradition Zen, il y a plusieurs très célèbres pratiquants laïcs dans la littérature, par exemple Vimalakirti et le laic Pang et sa fille.
Ma réponse immédiate et simple à votre question est: «Non, il n’y a pas un plafond impénétrable au dessus des laïcs en ce qui concerne la libération. » Cela dit, recevoir les préceptes monastiques lors d’une cérémonie solennelle en présence de votre sangha et des membres de votre famille est certainement un grand soutien pour une pratique engagée. Vous prenez vos vœux en leur présence, comme on le fait pour un mariage, en disant: «Voilà comment je veux vivre ma vie. S’il vous plaît soutenez-moi et aidez-moi à maintenir ces vœux. »
Dans notre tradition, nous pouvons recevoir les seize préceptes de bodhisattva en tant que laïques dans une cérémonie appelée Jukai (littéralement « recevoir les préceptes») ou zaike tokudo, qui signifie «rester à la maison et atteindre la Voie. » La cérémonie (avec ces même seize préceptes) pour les monastiques est appelée shukke tokudo, qui signifie «quitter la maison et atteindre la Voie. » Pour ceux qui quittent la maison, il y a en plus avoir la tête rasée, qui est un symbole du renoncement, et recevoir des robes de prêtre et des bols. Les laïques reçoivent une plus petite version de la robe, appelé rakusu.
Depuis quelques années, dans notre tradition, un certain nombre de prêtres pleinement ordonnés (ceux qui ont terminé leur formation formelle et qui ont été reconnus comme enseignants lors d’une cérémonie appelée transmission du Dharma) ont estimé que certains de leurs élèves laïques particulièrement engagés étaient prêts à enseigner et ils ont fait une cérémonie avec eux, que nous appelons « La consécration des enseignants laïques. » Pour autant que je sache, il n’existe pas de pratique équivalente au Japon. Je ne sais pas pour les autres écoles bouddhistes asiatiques.
À mon avis, tout l’intérêt de la pratique du dharma est de vivre sa vie d’une manière qui profite à tous les êtres. Nous aspirons à la libération non pas pour une idée égocentrique, mais pour que nous puissions connaître plus clairement la façon d’être bénéfique aux autres au maximum. Le Bouddha nous donne une assez bonne idée de ce à quoi nous devons nous appliquer dans le Metta Sutta quand il dit: « C’est ce qui doit être accompli par celui qui est sage, qui cherche le bien et a obtenu la paix. Qu’on soit sérieux, droit et sincère, sans fierté, facilement satisfait et joyeux. Que l’on ne soit pas submergé par les choses du monde, que l’on soit sage, pas prétentieux, et que l’on ne désire pas de grands biens, même pour sa famille; que l’on ne fasse rien de ce qui est indésirable ou que le sage réprouve.  » Avec ceci comme fondation, nous pouvons commencer à cultiver la bonté, la compassion, la joie empathique et l’équanimité, – les quatre «demeures célestes. » Ou nous pouvons étudier et pratiquer l’une des grandes richesses de l’enseignement du Dharma, auxquelles nous avons la chance d’avoir librement accès à notre époque en Occident.
Au cours des cinquante dernières années, nous avons également eu la chance d’avoir accès à beaucoup d’excellents enseignants du dharma formés dans de nombreux pays d’Asie, ainsi que leurs étudiants occidentaux qui sont maintenant enseignants. Réjouissons-nous de notre bonne fortune et pratiquons avec diligence, soit comme laïques ou comme monastiques, pour aider à soulager la souffrance de toutes les façons qu’il nous est possible.

Natayan Liebenson Grady : Je veux commencer par dire tout le respect que j’ai pour ceux qui portent la robe. Une raison pour laquelle j’ai plaisir à visiter la Birmanie est la présence de tant de gens ordonnés. Il est beau d’être dans une culture dans laquelle être ordonné est un fait habituel. Les enseignements n’auraient pas survécu sans la sangha ordonnée, et pour cela, je suis infiniment reconnaissante. En raison de ma gratitude et de mon respect, je tiens à répondre à votre question avec le plus grand soin. Il s’agit d’une controverse discutée dans les cercles occidentaux du dharma.
Pour moi, personnellement, si je croyais que la vie ordonnée était intrinsèquement plus propice à la libération qu’une vie de laïque consacrée, j’aurais choisi d’être ordonnée il y a longtemps. Bien entendu, être nonne est très différent d’être moine, les questions relatives à l’ordination des femmes ne sont pas encore résolues, et il y a un écart important dans le soutien offert aux moines et le soutien apporté aux nonnes, mais tout de même, je vois l’essence de la pratique comme un lâcher-prise du moi, que je ne vois pas comme limité à une forme particulière.
Tandis que les moines et les nonnes renoncent aux choses du monde, l’invitation de la vie laïque est d’identifier les attachements et de voir à travers leur charme illusoire.
La pratique du Dharma est, par essence, une pratique de renoncement, le renoncement à la cupidité, à la haine et à l’illusion, c’est le renoncement à la souffrance. C’est aussi un processus interne. Une forme conditionnée peut-elle être intrinsèquement meilleure qu’une autre, étant donné que la réalisation est une paix inconditionnée? Pour certains, la vie monastique est certainement bénéfique, pour d’autres, elle peut être un obstacle. Il semble que les gens décident d’être ordonnés et de rester ordonnés pour de nombreuses raisons différentes et complexes. Certains ont une véritable vocation, tandis que d’autres portent la robe comme une fuite. Certaines personnes ne peuvent pas pratiquer sans les formes et les rappels de la vie monastique, tandis que d’autres le peuvent, et le font avec beaucoup de dévouement et de persévérance.
Est-ce qu’une forme libère nécessairement de tout attachement? Bien que les laïques aient beaucoup d’attachements et que les monastiques n’en aient que quelques-uns, la force de ces quelques attachement peut être tout aussi forte. Il me semble que, tandis que les moines et les nonnes renoncent aux choses du monde, l’invitation à la vie laïque est d’identifier les attachements et de voir à travers leur charme illusoire. La sagesse est le support de cette pratique. Si vous pratiquez ainsi, la vie imaginaire cesse d’exister, et l’on préfère finalement la réalité et être attentif au présent. Nous pratiquons dans notre vie quotidienne, non parce que c’est prescrit, mais parce que c’est la seule façon authentique de vivre.
Quelle que soit la forme choisie, il est essentiel d’aller au delà de cette forme avec intégrité, respect de soi et un sincère engagement. Il est toujours facile de s’illusionner, et seul vous-même savez si vous pratiquez avec une totale sincérité. Que l’on soit laïque ou monastique, il est possible de s’égarer. Faisons tous de notre mieux pour nous éveiller maintenant. Pour moi, le bénéfice de chacun des deux chemins dépend de son propre engagement intérieur.

Tenzin Wangyal Rinpoché: La vie monastique est conçue pour permettre d’avoir plus de temps pour méditer, mais le calendrier n’est pas déterminé par vous. Si la cloche sonne, il faut obéir ! Néanmoins, si vous êtes vraiment prêts à renoncer à la vie ordinaire, être dans un cadre monastique peut avoir des avantages. Elle peut protéger votre intention.
Il est plus important de comprendre que ce n’est pas la méthode utilisée, mais l’adéquation de la personne à une méthode particulière qui compte. Si une personne est mature et prête à devenir moine ou nonne, alors, prendre les vœux et entrer dans la vie monastique peut être porteur. En général, un véhicule n’est pas meilleur qu’un autre, mais compte tenu des qualités propres d’une personne, il peut être plus approprié pour elle qu’un autre. Vous ne pouvez pas dire que ce médicament est meilleur qu’un autre, mais prendre en compte pour qui et dans quelles conditions ce médicament particulier est approprié. Donc, c’est la condition de la personne et sa capacité à traiter les défis auxquels elle est confrontés qui fait la différence pour déterminer la meilleure médecine.
Si vous êtes attiré par la vie monastique, cela peut être un support magnifique pour votre pratique de la méditation. Mais si vous êtes en train de fuir les défis de la vie et de laisser le désordre derrière vous , vous trouverez la possibilité de créer du désordre dans la vie monastique aussi.
Dans mon propre cas, j’ai passé vingt ans comme moine et maintenant vingt ans comme laïc. En tant que moine, je n’avais pas de partenaire ni d’enfant à élever, donc en quelque sorte ma vie était plus facile. Mais maintenant, en tant que laïc, mari et père, je trouve de nombreuses possibilités de développement grâce aux relations avec les autres. Tandis que la pratique de reconnaître la nature de l’esprit et d’y demeurer est resté une constante tout au long de ma vie, les cadeaux et les défis d’élever un enfant et de nourrir ma famille sont personnellement plus enrichissant pour mon développement spirituel que d’être un moine. J’ai expérimenté plus de croissance intérieure, à la fois en termes de traitement des problèmes et aussi, en étant nourri par des expériences réconfortantes et aimantes.
Il y a plusieurs années, l’une de mes étudiantes m’a demandé si je croyais que, en prenant à cœur les enseignements, et en les appliquant à travers la pratique de la méditation, on pouvait vivre la vie ordinaire d’une laïque et atteindre la libération de la souffrance. Je lui ai répondu oui. Aujourd’hui, ma réponse est toujours oui, et mon appréciation des opportunités que la vie ordinaire accorde au pratiquant spirituel s’est approfondie.

Source : Buddhadharma – printemps 2012 – Traduction Bouddhisme au féminin