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Question aux enseignantes : comment aider sans gonfler son ego ?

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Comment une bouddhiste peut-elle s’efforcer de «sauver tous les êtres» sans gonfler son ego?

par Myokei Caine-Barrett et  Rebecca Li

Myokei Caine-Barrett est la prêtresse principale et l’enseignante de la sangha bouddhiste Nichiren du Texas à Houston. Elle a été travaillé dans les prisons, et soutient actuellement deux sanghas et des personnes incarcérées dans les prisons du Texas. Elle est également actuellement évêque de l’Ordre de Nichiren Shu en Amérique du Nord.

Rebecca Li enseigne dans la lignée du Dharma Drum établie par le maître du Chan, Sheng Yen, et est professeur de sociologie au College de New Jersey.

Question: Comment peut-on « prendre la souffrance du monde » ou pratiquer « pour le bien de tous les êtres » sans pour autant gonfler son propre sens de la suffisance? Aussi profondes que soient ces pratiques, elles semblent aussi constituer un aliment pour l’ego.

Rebecca Li: Comme un antidote à l’arrogance pernicieuse qui donne lieu à des pensées comme «Je fais quelque chose d’aussi désintéressé – n’est-ce pas génial?» nous pouvons pratiquer la gratitude pour l’opportunité de servir. En particulier, nous pouvons être reconnaissant·e·s pour toutes les causes et les conditions qui nous ont permis de pratiquer et d’aider d’autres êtres à travers notre pratique. Ces causes et conditions peuvent inclure le fait que notre santé, notre famille et notre situation financière ne sont pas si désespérées que nous ne pouvons penser à personne d’autre, ou peut-être que nous avons eu l’occasion d’étudier avec de bons enseignants qui nous incitent à pratiquer pour le bien de tous les êtres. Nous pouvons également reconnaître les soutiens directs et indirects que nous recevons continuellement d’innombrables autres personnes qui rendent notre étude et notre pratique possibles. De cette façon, nous réalisons que nous pratiquons pour le bien de tous les êtres non parce que nous sommes intrinsèquement meilleur·e·s que les autres, mais parce que nous avons été les bénéficiaires de tout ce qui s’est trouvé réuni pour nous permettre de pratiquer de cette manière. Pratiquer pour tous les êtres est une façon de rendre à ceux qui nous aiment et nous soutiennent.

Au lieu de croire que nous sommes de si bonnes personnes pour aider les autres, nous pouvons remercier tous les êtres de nous avoir permis d’être utiles.

Notre désir d’aider n’oblige personne d’autre à accepter cette aide. Sans la volonté des autres d’ouvrir leur cœur pour nous recevoir, nous ne serions pas capables de nous offrir. Nous devrions aussi nous rappeler que, indépendamment du fait que nous réussissions ou non, nos tentatives pour soulager la souffrance des autres atténuent aussi nos propres souffrances. Quand nous tournons notre attention vers tous les êtres, nous cessons à ce moment de nous focaliser sur nos propres difficultés. Au lieu de croire que nous sommes de si bonnes personnes pour aider les autres, nous pouvons remercier tous les êtres de nous avoir permis d’être utiles. En cultivant cette attitude, nous sommes moins susceptibles de succomber à l’auto-importance de l’ego.

Il est gratifiant de voir la souffrance de quelqu’un diminuer grâce à nos efforts. Les bons sentiments qui en résultent sont encourageants et inspirants et peuvent être utiles pour soutenir notre pratique sur le chemin. Si nous maintenons une conscience claire de ce qui se passe dans nos esprits d’un moment à l’autre, avec patience et diligence, nous pouvons percevoir le changement subtil qui se produit lorsque ces bons sentiments commencent à se transformer en une inflation d’un sentiment de fierté de notre propre générosité. Dans de tels moments, si nous pouvons nous souvenir d’être reconnaissant·e·s, ce sentiment d’auto-satisfaction se dissoudra de lui-même. Cela nécessite de la diligence. Ce n’est pas parce que les pensées de suffisance ne se sont pas manifestées dans l’instant que nous n’avons plus besoin d’être vigilant·e·s sur le moment ou par la suite.

 

Myokei Caine-Barrett: Je pense que nous commençons tou·te·s la pratique bouddhiste à partir d’un lieu de l’ego, avec l’espoir que nous en tirerons profit. Nous croyons que nous deviendrons plus calmes, plus concentré·e·s, plus centré·e·s, ou peut-être que nous apprendrons à maximiser notre potentiel et, en quelque sorte, à atteindre un rivage lointain appelé nirvana. Quand nous nous mettons en route au début, il n’y a aucun inconvénient à se focaliser sur soi-même. Nous n’avons pas nécessairement encore la capacité ou la motivation pour «oublier le moi». C’est seulement en s’engageant sérieusement dans les enseignements fondamentaux – les nobles vérités, les préceptes et les grands vœux – que nous développerons cette capacité. Ces enseignements fournissent un support pour la construction d’une vie en vue de devenir un bouddha.

La première des quatre nobles vérités nous dit que la vie est pleine de souffrance et que la fin de la souffrance est le nirvana. Le chemin octuple nous offre un moyen de sortir de la souffrance. Ce chemin – parole juste, acte juste, etc. – , souligne la nature relationnelle de la pratique bouddhiste. Notre développement en tant que pratiquantes se fait sentir dans le changement dans nos relations, à la fois dans la pertinence de nos interactions et dans leurs conséquences. La qualité de nos interactions devient un miroir pour la profondeur de notre pratique.

Les nobles vérités nous enseignent que toutes les choses sont impermanentes, que rien n’a un moi persistant, et que le nirvana est synonyme de paix. L’application de ces principes à notre vie quotidienne peut nous préparer à affronter toute tempête en sachant bien que le changement est constant. Rien de ce que nous éprouvons, même la fierté égoïste de notre propre générosité, n’est une condition permanente.

En partageant les enseignements avec les autres, la vraie joie s’épanouit.

Enfin, les quatre grandes vérités développent notre compréhension de la souffrance en allant au-delà du petit monde de nos propres désirs et préoccupations. Nous pouvons d’abord «faire semblant en attendant», mais notre pratique et notre étude approfondies exigeront finalement une réponse plus riche et plus complète. Notre développement en tant que pratiquant·e·s inclut l’éveil de la compassion et une expérience directe des origines interdépendantes, aboutissant à une compréhension plus vraie et plus profonde des causes et des effets. En partageant les enseignements avec les autres, la vraie joie s’épanouit.

En appliquant ces principes dans nos vies, nous pouvons de tout cœur chercher à mettre fin à la souffrance des autres, sans auto satisfaction. En le faisant, nous arriverons à comprendre et à incarner l’idéal du bodhisattva. Le résultat? Chacun·e de nous s’éveille à sa propre place dans le monde. Nous ne sommes pas seul·e·s; nous ne sommes pas sans influence ni impact. Nous avons choisi ce chemin. Et nous sommes largement capables d’en être changé·e·s.

Source :  Buddhadharma Février 2018 – Traduction Bouddhisme au feminin