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Quelle place pour les femmes dans l’histoire enseignée ?

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En relation avec la rubrique déconditionnons-nous, un regard sur la place des femmes dans l’histoire enseignée aux enfants.

Extraits du rapport du conseil économique et social

– publié par l’observatoire gouvernemental sur la parité :

 La quasi totalité des étudiant(e)s d’histoire suivent un cursus dans lequel l’histoire des femmes ou l’histoire du genre n’est jamais évoqué. Ces étudiant(e)s deviendront pourtant, pour une partie d’entre eux, des enseignant(e)s. Parmi les raisons qui expliquent la difficile entrée de l’histoire des femmes et du genre dans l’enseignement supérieur, peut-être faut-il insister sur l’image négative qui lui est parfois associée, et qui tient partiellement aux conditions de son émergence ? L’histoire des femmes et du genre est parfois confondue avec le féminisme militant qui a contribué à son émergence, et dont elle s’est pourtant très largement détachée pour devenir un champ de recherche autonome et pertinent en lui-même. Pour certains et certaines, faire l’histoire des femmes et l’enseigner serait synonyme de «communautarisme », mot connoté péjorativement dans notre pays. C’est oublier que les sociétés, les « communautés » parfois revendiquées, sont toutes, sans exception aucune, composées d’hommes et de femmes, que les rapports hommes/femmes traversent toutes les sociétés et toutes les époques, et qu’une histoire sans les femmes n’est que l’histoire de la moitié de l’humanité../.

Un certain nombre de rapports officiels et d’études permettent de rendre compte de la place donnée aux femmes dans l’histoire enseignée. Jusqu’au milieu des années soixante-dix, la question même ne se pose pas. Comme le montrent Mme Simone Rignault et M. Philippe Richert dans leur rapport au Premier ministre, M. Alain Juppé, sur les manuels scolaires (tous les manuels, pas seulement ceux d’histoire), les femmes y sont représentées de façon stéréotypée. Reprenons un seul des nombreux exemples que donnent les auteur(e)s du rapport : « Le Président prend un bain de foule, Jeanne prend un bain de soleil ».

Depuis lors, une certaine évolution a toutefois tendu à se faire jour, au moins dans les manuels d’histoire. Il semblerait en effet que, grâce aux efforts de diverses personnalités, malgré le non-fonctionnement de l’instance chargée d’évaluer de ce point de vue les manuels, les stéréotypes sexistes en aient largement disparu. En revanche, malgré une forte présence dans l’espace public des questions liées à l’égalité des droits et des chances, malgré un dynamisme certain de la recherche en histoire des femmes, dont témoigne un grand nombre de publications, les évolutions restent beaucoup plus mesurées en ce qui concerne la place des femmes dans les manuels : Mme Michelle Perrot constate ainsi justement «l’extrême faiblesse de la place des femmes dans une histoire qui est énoncée au masculin ».

Dans son ouvrage paru en 1999, Mme Denise Guillaume, inspectrice honoraire de l’Education nationale, montre que cette absence des femmes de l’histoire enseignée est manifeste dès la fondation de l’école républicaine de Jules Ferry.  Elle remarque que les noms de femmes sont d’une extrême rareté dans les manuels du primaire, à l’exception permanente de Jeanne d’Arc, dont la représentation (bien des études ont été écrites sur ce thème) est erratique, avec toutefois, permanents, les traits qui caractérisent son identité féminine : elle n’a pu être grande qu’en étant pucelle ; elle s’efface devant sa mission, le service du roi et de la patrie ; elle ne recherche pour elle-même aucun pouvoir ; elle est victime. « Elle réconcilie en sa personne le service de la France et l’identité féminine » écrit Mme Michelle Perrot. L’exception est ainsi coulée dans le moule d’un éternel modèle féminin.

Les quelques autres femmes présentées parfois dans les manuels de l’enseignement primaire, rarement toutes dans le même manuel, sont de trois types, analysés par Mme Denise Guillaume :
– les héroïnes populaires : Jeanne, Blandine mangée par les lions, toutes deux héroïnes et victimes ;
– Jeanne Hachette, enfin, dont le caractère exceptionnel est souligné ;
– les reines et les régentes, en général mauvaises.

Michelet, par exemple, voit en Catherine de Médicis (1519-1589) le symbole du « pôle noir » de la féminité : la femme politique. Le pôle blanc est la maternité. Jamais, pourtant, n’est évoquée la loi salique, qui interdit aux femmes d’accéder de plein droit à l’exercice du pouvoir royal.

Auparavant, sous les Mérovingiens, par exemple (481-750), certaines reines, à l’image de Clotilde, femme de Clovis, ou de Brunehaut, avaient pourtant de vrais pouvoirs, et cela ne nuit pas pour autant à leur image. La reine n’est désormais plus que la femme ou la mère du roi. Cette oblitération de la loi salique et de ses conséquences est regrettable pour l’image des femmes. Celles-ci ne régnant plus, contrairement à d’autres pays, elles n’apparaissent donc jamais au premier plan, sauf dans les périodes de régence, où l’affaiblissement du pouvoir central favorise en général des troubles.

Bien plus, l’unification relative du royaume de France, à partir de la fin du Moyen-Âge, favorise la recherche d’unions avec des princesses étrangères. De ce fait, la figure de la femme dans l’histoire apparaît sous le double signe négatif de la Régente (qui n’est donc pas le souverain légitime) et de l’étrangère ; Participent de ce type de figure diverses reines, telles Catherine et Marie de Médicis, ou Anne d’Autriche ; – les femmes d’influence, Mme de Maintenon ou la Pompadour qui, pour la plupart, sont présentées comme devant leur position à leurs charmes plus qu’à leur génie.

D’une façon générale, très peu de femmes créatrices sont de même évoquées dans les manuels de l’enseignement primaire : Mme de Sévigné, très rarement, d’autres figures, comme Mme de La Fayette, Mme Vigée-Lebrun ou Camille Claudel, par exemple, n’étant jamais évoquées.
En ce qui concerne l’enseignement secondaire, Mme Catherine Marand- Fouquet s’est notamment penchée sur la représentation dépréciée des femmes lors de la Révolution française. La frivolité de Marie-Antoinette est, pour les révolutionnaires, une justification supplémentaire pour exclure les femmes du droit de vote. Charlotte Corday est violente et présentée sur arrière plan de « tricoteuses », archétypes des mégères. Quant à Joséphine de Beauharnais, Bonaparte la répudie; elle est, comme Marie-Antoinette, non seulement frivole, mais surtout stérile.

Olympe de Gouges, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, texte connu du féminisme du monde entier, et qui, déplorant que les femmes ne soient pas considérées comme de véritables citoyens, déclarait en septembre 1793 : « la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune », n’est évoquée que dans un seul manuel récent.

Des femmes dans la révolution industrielle, des femmes ouvrières, on ne parle pratiquement pas, comme si la révolution industrielle était un acte viril, produit de la technique des grands métiers virils que sont les mines et la métallurgie », note encore Mme Michelle Perrot. Il suffit pourtant de relire Germinal pour voir la place tenue dans la réalité par les femmes qui, alors, descendaient, elles aussi, au fond, dans les mines, ou de prendre en compte les réalités de l’industrie textile, où les femmes représentaient une grande part de la main d’oeuvre.

Les manuels sont édités par des maisons d’éditions privées, et le choix de tel ou tel manuel pour faire cours est laissé au bon vouloir des enseignant(e)s. Prenons quelques exemples :
– le manuel pour le cycle 3 de l’enseignement primaire de chez Nathan semble ne s’adresser qu’aux seuls garçons (« Avec ton manuel « Gulliver » tu trouveras toute l’année une aide dans ton travail d’historien »). Aucune femme n’est évoquée, ni dans le texte, ni dans la très riche iconographie pour « les temps préhistoriques », trois femmes en tout et pour tout sont présentes pour l’ensemble du manuel : Jeanne d’Arc, Louise Michel et Marie Curie ;
– le manuel Belin de 6ème (2000) évoque les femmes dans la catégorie des « non citoyens », de la démocratie athénienne. Il n’omet pas les «femmes athlètes» dans la page consacrée aux loisirs dans le monde romain, montrant ainsi ce qu’il est possible de faire.
– dans la cinquantaine de biographies (d’Aristote à Voltaire, en passant par Copernic, Krupp et Verdi) que propose Nathan aux élèves de 3ème, aucune femme n’est présentée, pas même Jeanne d’Arc.

Il ne s’agit pas de saupoudrer  les programmes de quelques femmes ou de quelques évocations du genre, mais de montrer, à travers quelques exemples bien choisis, comment l’introduction de l’histoire des femmes modifie sensiblement le récit et l’explication historiques.

Être lucides et capables d’explorer des choix nouveaux sans se laisser abuser par des exclusions, des assignations perçues comme des évidences, des partages qui paraissent « naturels » ou des choix « spontanés », passe par l’enseignement d’une histoire qui sache prendre en compte sans les nier ou les occulter les différences sociales entre les sexes, les hiérarchisations et les formes qu’elles ont prises et prennent encore aujourd’hui.

La Convention des Nations-Unies du 19 mars 1964, relative à « l’élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes » (Convention on the elimination of all forms of dicrimination against women), engageait ainsi les pays qui l’ont ratifiée à procéder notamment à «l’éliminationde toute conception stéréotypée des rôles de l’homme et de la femme à tous les niveaux et dans toutes les formes d’enseignement».

Ainsi, en Allemagne, la loi scolaire du 20 décembre 1964 affirme que « la transmission des connaissances ne doit pas oublier l’appréciation de la valeur égalité entre les hommes et les femmes surtout pour la reconnaissance du rôle des femmes dans l’histoire, la culture et la société ».