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Quelques réflexions sur le vocabulaire :

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Toute langue a ses richesses et ses limites qui influent largement sur la psyché des personnes qui la parlent et qui la font vivre. Le français, contrairement à l’anglais, beaucoup plus souple, doit toujours préciser le genre (féminin ou masculin) d’un substantif et d’un adjectif. Le résultat est tout à fait significatif.On peut ainsi constater qu’il n’y a pas de féminin pour « sage », un sage certes mais « une sage »? Les femmes ne peuvent être des sages que collectivement !De même le mot « maître » n’a pas d’équivalent féminin en français, puisque le mot « maîtresse » est soit lié à l’enfance, soit connoté sexuellement.Le mot « penseur » est noble, il évoque toute la puissance du psychisme humain, mais « penseuse » est ridicule et fait songer à « panseuse » celle qui fait des pansements, et non celle qui pense. Un mot inutile car, à l’évidence, une femme ne pense pas.

En anglais, il y a teacher, master, thinker, sans genre, et la personne ainsi désignée peut être aussi bien une femme qu’un homme.Bien entendu, l’anglais non plus n’est pas exempt de l’influence prégnante du patriarcat et on retrouve comme en français le mot man (homme) employé pour désigner tout à la fois l’humanité et la moitié masculine. On ne peut pas exprimer plus clairement que les hommes, qui ont de tout temps monopolisé la parole, le savoir et la transmission de ce savoir, se considèrent comme étant, à eux seuls, toute l’humanité.

Dans l’article d’Actualités des Religions que vous citez, rapportant une réunion de six cents femmes pour la paix, la journaliste déplorait que la présence de quelques journalistes masculins l’oblige à dire « ils » au lieu de « elles ». Mais naturellement ce genre de règle ne peut s’appliquer que si elle est acceptée par toutes et tous, autrement dit la domination ne peut avoir lieu qu’avec l’accord tacite des dominées. Or, nous ne sommes pas obligées d’accepter cette règle et, en parlant de six cent femmes et de deux hommes journalistes, nous pouvons et nous devons apprendre à dire « elles ». Rappelons que cet usage était courant au Moyen Age.

Nous pouvons changer les choses. Rien n’est statique et le vocabulaire n’échappe à la règle. Trouvons des mots pour désigner les femmes qui sont nos « maîtres » et nos « sages ».Françoise Dolto a inventé le mot soeural pour exprimer des relations dans la famille qui ne soient pas des « fratries ». Il existe des relations maternelles ou paternelles, mais une amitié est dite « fraternelle », et non soeurale. Il est courant de « parrainer » un enfant dans le tiers-monde. Or ce sont des femmes qui sont les plus nombreuses à le faire, elles ne « parrainent » pas, nous dirons donc qu’elles « marrainent »

Aux États-Unis où cet usage constante du « he, him » a été clairement perçu comme l’expression du pouvoir du genre masculin sur le féminin, il est courant de trouver dans des magazines bouddhistes une considération générale sur « somebody » exprimé avec « she, her » ou avec un pluriel systématique « they, their ». Le conditionnement étant là, au début on est surpris et cela nous amène à une réflexion sur l’importance du vocabulaire dans la formation de la psyché.Puisque ce premier numéro de votre magazine traite des nonnes dans le bouddhisme tibétain, je rappelerai qu’en tibétain, femme signifie aussi inférieur.

Il y a bien du chemin à parcourir dans les esprits et dans les faits pour que les femmes soient traitées comme des êtres humains à part entière, le premier pas étant de rendre compte de l’état des lieux.   Florence