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Wangari Maathai, la Nobel qui plante des arbres

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Interview Le Point 2009

wangari maathai

Wangari Maathai n’est pas femme à abandonner. La Kenyane ne l’a jamais fait. En 1964, elle était la première femme d’Afrique de l’Est à obtenir un baccalauréat en biologie. Sept ans plus tard, elle était la première à décrocher un doctorat. Quand, en rentrant d’études menées aux Etats-Unis grâce à la fondation Kennedy, elle fait le constat dramatique que le pays de son enfance n’a plus assez d’eau potable, manque de nourriture, que des forêts entières sont dévastées, que des rivières sont asséchées, que la neige fond sur le mont Kenya, elle décide d’agir. Elle rencontre un forestier et lui demande… 15 millions de plants. Le mouvement Ceinture verte, visant à promouvoir la biodiversité tout en créant des emplois pour les femmes, était né. Deux ans plus tard, lorsque son mari demande le divorce, c’est parce que, dit-il, elle est « trop instruite, trop forte, trop brillante, trop têtue et trop difficile à contrôler »… Et Wangari d’écoper de quelques jours de prison pour outrage à magistrat.

Wangari Maathai n’abandonne jamais, et c’est en 2004 que son travail en faveur du développement durable est reconnu dans le monde entier : elle devient la première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la paix. Et l’ancienne secrétaire d’Etat à l’Environnement dans son pays, qui a été menacée de mort pour ses prises de position dans la crise kenyane en 2008, de continuer à faire entendre sa voix. Dans le film « Nous resterons sur Terre », elle est l’une des quatre personnalités à analyser les conséquences de la situation actuelle sur l’environnement.

Le Point : Ces jours-ci, les grands pays se retrouvent au G20. Ils vont trouver des solutions pour lutter contre la crise financière. Comment expliquez-vous que, pour l’environnement, les sommets internationaux se succèdent les uns après les autres sans qu’ils soient suivis d’effets ?

Wangari Maathai : Détrompez-vous. Ces réunions sont très importantes. Elles permettent au moins de poser le problème de la dégradation de la planète. Cela dit, vous avez raison. Aux yeux des pays développés, les questions environnementales ne sont pas vraiment urgentes. Personne n’a le sentiment de perdre un peu de la santé du globe lorsqu’une forêt ou une rivière disparaît ou quand la glace fond. Voilà pourquoi il faut que cette mobilisation touche chaque habitant du monde et pas seulement les Etats.

Mais qui est responsable de la détérioration de l’environnement ? Les Etats riches ?

Tout le monde est coupable. Il n’y a qu’à voir le film « Nous resterons sur Terre » pour se rendre compte que les activités des humains, qu’ils soient dans des pays riches ou dans des nations moins développées, contribuent à dégrader l’environnement de manière dramatique. Chaque individu, où qu’il vive sur la planète, est responsable d’elle. Chacun de ses habitants contribue à détruire l’environnement. Et chacun peut donc décider d’agir pour la préserver.

Le film dresse un tableau sans équivoque : il n’y a qu’à voir comment on se comporte, comment on se nourrit, comment on produit, comment on consomme les ressources de la planète. C’est la course à la démesure. C’est aux gens de décider s’ils veulent soutenir un tel rythme. Mais en en assumant les conséquences ! En étant honnête, on voit très clairement qu’une telle pollution et un tel gaspillage des ressources sont insupportables. Nos ressources sont limitées. Il n’y a pas d’alternative. Seul le développement durable peut nous sortir de cette impasse. Ce choix doit être fait par les individus, par les entreprises et par les gouvernements. Tout le monde a un rôle à jouer.

Mais que doit-on faire concrètement ?

Il faut tout d’abord s’éduquer pour être persuadé qu’en effet la planète est menacée. Nombreux sont ceux qui pensent encore qu’il y a assez de ressources dans le monde, qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Voilà pourquoi des films comme celui-ci sont extrêmement importants. Beaucoup de gens travaillent dans le monde entier pour tenter de faire passer le message, mais je suis étonnée de voir avec quelle lenteur il se diffuse !

La deuxième chose à faire, c’est de faire des choix. Vous pouvez décider de ne pas manger d’aliments venus de l’autre bout du monde et de soutenir les productions locales : ce choix-là, toutes les maîtresses de maison peuvent le faire. Les enfants peuvent aussi agir : quand ils se brossent les dents, ils peuvent économiser l’eau. Quand ils sont à l’école, ils peuvent écrire des deux côtés de la feuille. Chacun peut décider, quelle que soit sa place dans la société, de ne pas gaspiller. Les Japonais ont un très beau concept inscrit dans leurs traditions, le Mottainai. Son principe repose sur trois « R » : réduire, réutiliser, recycler. Il faut être reconnaissant de ce que l’on a, respecter et ne pas gâcher les ressources. Certains investissent dans l’énergie solaire ou dans l’éolienne ; d’autres, comme je l’ai constaté à Paris, préfèrent les vélos à leur voiture… Chacun doit comprendre qu’il n’y a pas de geste inutile. La planète a besoin de nous. Et c’est surtout nous qui avons besoin de la planète.

Les plus démunis ont-ils aussi les moyens d’agir ?

Les populations les plus pauvres sont souvent responsables de la déforestation, car elles sont très dépendantes du bois. Elles détruisent les forêts, les terres agricoles et la biodiversité. Elles génèrent de l’érosion. Bien sûr, il s’agit pour elles de survie. Mais elles détruisent tout de même l’environnement. Elles doivent pourtant comprendre qu’elles sont toujours très dépendantes des matières premières, de leurs terrains pour l’agriculture, des forêts pour le bois de chauffe, des rivières pour l’irrigation de leurs cultures… Et que si elles n’y prennent garde, elles en subiront directement les conséquences. C’est pour cela que j’ai lancé des campagnes comme celle du « milliard d’arbres », pour que ces populations réalisent qu’elles peuvent participer, même en faisant un tout petit quelque chose. Les Africains sont aux avant-postes de la protection de la planète, et ils ne doivent pas attendre que les gouvernements ou les agences d’aide internationale interviennent. Planter un arbre ne nécessite ni argent ni technologie avancée. Certaines actions essentielles et durables peuvent être menées sans grands moyens.

Parlez-nous de la campagne du « milliard d’arbres ».

Le Programme des Nations unies pour l’environnement, la Ceinture verte et le Centre international pour la recherche en agroforesterie ont lancé cette campagne en octobre 2006, pour lutter contre le changement climatique en encourageant les individus, les communautés, les organisations et les gouvernements à s’engager à planter des arbres. Nous avons déjà contribué à faire pousser 2 milliards d’arbres, et nous espérons atteindre les 7 milliards avant le sommet de Copenhague, en décembre prochain. C’est un geste tout simple, mais qui montre que chaque citoyen du monde a un rôle à jouer.

Votre combat n’est-il pas perdu d’avance ?

Certains disent que c’est déjà trop tard. J’ai lu un article de James Lovelock [l’un des intervenants du film, NDLR], le père de la « théorie Gaïa » [« la terre doit être considérée comme un organisme vivant »], qui dit que l’on perd notre temps en plantant des arbres. Mais je suis de nature optimiste : je pense que nous sommes encore là et que nous pouvons agir pour changer le cours des choses. Ne serait-ce que pour nos enfants. Il n’y a pas de temps à perdre.

Vous avez reçu en 2004 le prix Nobel de la paix pour votre action écologique au sein du mouvement Ceinture verte. Quel lien y a-t-il entre la paix et l’environnement ?

Ceux qui m’ont remis le prix ont compris qu’en protégeant l’environnement et en promouvant le développement durable et les droits de l’homme, il s’agit de paix. Si on n’a pas de gestion durable des ressources, celles-ci ne seront plus en quantité suffisante pour tous. Cette répartition inégale des matières premières engendre une compétition, et donc des conflits. Si on pouvait gérer les ressources de manière plus durable, on serait plus à même d’anticiper les sources de conflits. C’est là que la gouvernance de l’environnement rencontre la paix.

Source : Le point, avril 2009