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Une ordination de Bikkhuni dans le Theravada

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Ajahn THANASANTI  témoigne de la joie de sa pleine ordination en tant que bhikkhuni

 

En 1991 Ajahn Thanasanti Bhikkhuni est ordonnée « siladhara », une forme unique de formation religieuse établie dix ans plus tôt par la tradition de Ajahn Chah-Ajahn Sumedho  en Angleterre. L’ordre siladhara y a prospéré sur une petite échelle, tout en restant non reconnue officiellement par la communauté bouddhiste en général. La création de la communauté siladhara a servi la noble intention de soutenir les aspirations des femmes occidentales  à pratiquer en tant que nonnes.

Une bhikkhuni, contrairement à une siladhara, est une nonne pleinement ordonnée dont le statut dans la Sangha bouddhiste inclut l’autorité d’ordonner d’autres femmes. Alors qu’elle avait été établie par le Bouddha lui-même, l’ordination de bhikkhuni a disparu dans les pays bouddhistes de tradition Theravada depuis plus d’un millénaire. Ces dernières années, cependant, elle a été rétablie dans quelques pays, apportant de l’espoir à nombreuses nonnes et suscitant la controverse et même la condamnation de certains moines.

En 2009, les anciens de la lignée d’Ajahn Chah-Ajahn Sumedho en Thaïlande ont réaffirmé leur conformité avec la position thaïlandaise du conseil d’administration de la Sangha que l’ordination de bhikkhuni avait cessé d’exister et ne pouvait être légitimement réinstaurée. De plus, le conseil des anciens, en Angleterre a réaffirmé que l’ordre siladhara ne devait pas être considéré comme un tremplin à l’ordination complète de bhikkhuni pour les femmes,  et il a demandé aux membres de la communauté  siladhara de reconnaître cela par écrit. Être invité à signer une telle déclaration a jeté la communauté siladhara dans la tourmente. Nombreuses ont été les siladharas, y compris Ajahn Thanasanti, qui ont quitté la communauté, dont certaines ont  abandonné complètement la vie de nonne. 

– La rédaction d’Inquiring Mind

Nous sommes fin août 2010. Après un superbe voyage de trois heures jusqu’à la côte de Sonoma, j’arrive à la fois avec plaisir et  résignation à l’Ermitage de la forêt Aranya Bodhi. Je suis ici pour assister à la première pleine ordination de  bhikkhuni Theravada  dans l’hémisphère nord, mais sans y prendre part.

Deux ans aupravant, il était devenu clair pour moi que l’inégalité de genre entre les moines et les nonnes de notre communauté était non négociable, et j’ai réalisé que je ne pouvais plus participer à une communauté monastique qui compromettait  les principes fondamentaux du bouddhisme de ne pas blesser et de ne pas discriminer. Avec une profonde conviction et le cœur désespéré, je n’avais d’autre choix que de quitter mes sœurs et la communauté qui avait été comme un prolongement de mon corps pendant vingt ans. Je n’étais pas seule. Dans les dernières années, en raison à la fois de la place des femmes dans la tradition et du récent décret par les anciens, la moitié des nonnes  – dont certaines étaient seniors et totalisaient des centaines d’années d’expérience et de leadership dans notre lignée –  avaient également décidé de quitter la communauté.

Après avoir pris formellement congé de ma communauté en Angleterre, je m’étais retrouvé seule dans le Colorado, vivant encore comme une nonne et maintenant le code de conduite des siladharas, en l’adaptant selon les besoins. J’avais la vision de forger une nouvelle voie et de créer une nouvelle communauté, apportant l’essence des enseignements bouddhistes dans le monde moderne. Mais en tant que nonne solitaire, sans le soutien d’une communauté monastique, d’une communauté laïque ou de bienfaiteurs, j’étais atrocement vulnérable et j’avais dû adapter la règle siladhara. Je me demandais : comment puis-je survivre en tant que nonne sans aucune sœur, sans parler même de créer un monastère de nouvelles moniales, sans l’autorité de les ordonner?

Telle était ma situation en mars 2010, lorsque je rencontrais pour la première fois Ayya Tathaaloka, abbesse du Dhammadharini Vihara à Fremont, en Californie, puis de l’Aranya Bodhi Hermitage. Sa communauté ne fait pas partie de la lignée d’Ajahn Chah-Ajahn Sumedho et n’est donc pas liée par les mêmes restrictions de genre. Nous avons parlé de mon ordination dans l’ordre bhikkhuni émergent en différents points de monde, et dont elle fait partie, mais je ne voyais pas qu’est-ce que je pouvais faire à ce moment-là. Le code de conduite bhikkhuni est plus restrictif que celui d’une siladhara, et je n’avais pas encore un niveau de soutien communautaire dans le Colorado pour pouvoir maintenir ce code. Par exemple, je n’avais personne qui puisse me proposer chaque jour de la nourriture. Ainsi, avec un sentiment de résignation et d’abattement – parce que le désespoir était si grand que je ne pouvais pas l’affronter – je pensais que l’ordination de bhikkhuni ne serait possible pour moi que dans un lointain futur. Je m’attendais à ce que cela prenne plusieurs années pour que les conditions mûrissent pour moi dans le Colorado.

Après une année de transition difficile et en étant si coupée d’autres monastiques, visiter Aranya Bodhi en Californie m’apportait une telle joie. Être avec d’autres nonnes, c’était comme de me reconnecter avec ma tribu. C’était mon premier contact avec des nonnes depuis que j’avais quitté le Royaume-Uni. Même si je n’avais pas rencontré la plupart de ces nonnes auparavant, avant, notre but commun, le silence de l’environnement, et l’attention à vivre la vie monastique firent que je me sentais tout de suite chez moi.

Peu après mon arrivée à l’ermitage, je rencontre Ayya Tathaaloka, qui sera la préceptrice pour l’ordination du lendemain. Elle me demande pourquoi je n’ai pas répondu à deux courriels qu’elle m’avait envoyé dans les deux derniers mois. « Je n’en ai reçu aucun » lui dis-je. L’un d’eux, m’explique-t-elle, contenait une invitation à être ordonné ce week-end comme bhikkhuni avec les autres nouvelles sœurs. Dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais imaginé que cela puisse se passer pour moi maintenant. Toutes les fibres de mon corps et de mon esprit plongent en plein tumulte et de chaudes larmes coulent sur mon visage. Je ne sais pas quoi dire.  J’ai besoin de temps pour réfléchir à cette décision cruciale –  et j’ai juste une heure avant que la répétition ne commence !

Je vais m’asseoir dans un bosquet de séquoias pour méditer et m’accorder à ce qui est présent. La confusion de ces années de préoccupations, de doutes et de questionnement sur la voie à suivre pour les femmes – et pour moi – est le premier obstacle que je rencontre. Lorsque je questionne ce qui est en dessous, j’atteins très vite un état silencieux, clair, paisible et joyeux et j’y demeure pour le reste de ma méditation. Je me retire en un lieu intérieur où le discernement opère et vérifie toutes mes inquiétudes et mes doutes face à mon intuition. À ma surprise, il n’y a pas d’obstacles. Je sens qu’il y aura du soutien pour faire face à toutes les conséquences résultant de la prise de la règle stricte de bhikkhuni.

Ma réponse est oui, et soudain soulagé, je verse des larmes de joie. C’est comme si un énorme poids était levé et la clarté de mon intention initiale d’être une nonne brille désormais pleinement, sans entrave. Enfin, je suis libre de vivre ma vie entièrement dévouée à la réalisation de la fin de la souffrance. Cela a été mon aspiration depuis 1979, quand j’avais dix-sept. La joie est presque trop lourde à porter.

Par la simple invitation qu’Ayya m’a proposé, des années de questionnements, de doutes et de dynamique communautaire ingérable ont pu passer en un instant. Pourtant, ce qui semble être un mouvement spontané est aussi l’aboutissement d’un processus interne qui se déroulait en moi sous la surface  depuis vingt ans – et pour les nonnes bouddhistes en général, depuis des millénaires.

Dix minutes avant que la répétition ne commence, je marche calmement vers Ayya et lui fais part de ma décision. Sa réponse radieuse est inoubliable. Elle m’accueille avec chaleur dans la sima, la plate-forme d’ordination,  je prends tranquillement  ma place aux côtés des autres candidates, avec les feuillets de chants dans mes mains. Je sens la profondeur de leur acceptation.

Malgré tout cela, le matin de l’ordination, des craintes persistantes me hantent. Je saisis la première opportunité pour parler à Ayya. Je ne peux aller plus loin dans l’ordination à moins d’être sûre qu’elle comprenne un certain nombre de points. Me soutient-elle dans mon intention de quitter le patriarcat et tout ce qui est nocif  qui semble intégré dans l’aspect institutionnalisé du monachisme? Elle convient que c’est nécessaire. Comment va-t-elle gérer les choses si elle et moi avons des divergences sur l’interprétation des règles qui régissent la vie de bhikkhuni? Elle dit qu’elle accueillera ces divergences, que ce qui est important, c’est la bienveillance et la flexibilité qui permettent la diversité. Encore une fois je me sens à l’aise.

Bientôt, je reçois mes nouvelles robes que j’attache ensemble en mémorisant les chants. Une fois encore, juste avant la procession de la sima, je plonge dans le doute. Tout va si vite. Est-ce que je fais une erreur ? Puis-je passer par cette cérémonie sans avoir appris par cœur les chants ou soigneusement étudié les nombreux nouveaux préceptes quet cette ordination me demandera de respecter? Et je n’ai pas été en mesure de parler des implications de devenir un bhikkhuni avec les laïques dans le Colorado qui ont pris soin de moi jusqu’ici. Seront-ils/elles capables de m’aider à maintenir les règles strictes qui régissent l’offre alimentaire quotidienne ou les protocoles nécessaires à une monastique féminine lors de la proximité d’hommes? Il y a tellement de questions. Un tumulte mental et nerveux se lève à nouveau.

Après environ quinze minutes de chaos interne, je tourne mon attention vers le moment que j’ai passé la veille dans le bosquet de séquoias. Je reviens à cet endroit paisible d’où ma décision initiale a surgi. Prendre l’ordination de bhikkhuni n’est pas une question de chants ou de contrôler les choses, il s’agit de s’abandonner à un flux, à un fleuve  ou courant océanique immense et bienfaisant. L’ordination nécessite d’avoir confiance en la bonté de ce qui est présent et trouver un moyen de vivre une vie pour le bénéfice de tous les êtres. Je suis sortie de l’isolement et suis revenue à la maison. Calme et tranquille de nouveau, je reviens vers le lieu où les autres candidates attendent.

Puis je vois Ajahn Pasanno, le moine le plus ancien de ma précedente communauté d’Ajahn Chah-Ajahn Sumedho aux États-Unis. Je ressens sa présence comme une bénédiction extraordinaire et une guérison. Il rencontre mon regard et mes gestes avec Anjali, joignant ses mains devant son cœur. «Félicitations » dit-il, sa voix et son attitude n’expriment qu’encouragement et bienveillance. Je lui rappelle  qu’il était l’abbé de Wat Pah Nanachat, le monastère en Thaïlande que j’ai visité en 1988, quand j’ai décidé de devenir nonne. Il s’en souvient.

Lorsque le temps est venu, nous nous nous dirigeons en procession vers la sima, alors que  la communauté laïque jette des pétales de fleurs et chante « Sadhu! Bien accompli ». Bien que j’ai mémorisé les chants, je les ai maintenant oubliés. Les achariyas en chantant viennent à ma rescousse quand c’est nécessaire. Je sens quelque chose de profond qui change et mon corps accompagne ce changement par l’ouverture et la détente tandis que mes fonctions cognitives faiblissent. Je me sens joyeuse et profondément paisible; je fais quelque chose de complètement naturel. Encore une fois je suis libérée d’un fardeau et soulagée tandis que j’entends les moines chantant avec ferveur leur confirmation, et se réjouissant de nous voir devenir bhikkhunis.

Juste après l’ordination, je célèbre avec Ajahn Anandabodhi et Ajahn Santacitta, deux autres siladharas qui résident à Aloka Vihara dans les environs de San Francisco. Je les ai connus depuis dix-sept ans, pendant notre temps ensemble en Angleterre. Nous confirmons combien tout ceci est simple et naturel. (J’apprendai quelques mois plus tard qu’elles avaient annoncé leur intention de quitter la lignée d’Ajahn Chah-Ajahn Sumedho et de prendre l’ordination bhikkhuni à l’automne de 2011.)

Le lendemain je me réveille en me sentant à l’aise. Durant tout le chemin vers  le petit déjeuner, je ne cesse de me répéter: «C’est fini, c’est fini, c’est fini. » Pendant les derniers mois, je me sentais de plus en plus comme quelqu’un plongé dans l’espace, sans un vaisseau spatial et manquant d’un système de support pour ma vie. L’année précédente, j’avais officiellement quitté la seule communauté monastique que j’avais jamais connue. Même si je ne l’avais pas bien réalisé, mon sens de l’identité était toujours intimement lié à l’ordre des siladharas. J’avais vécu dans cet ordre pendant dix-neuf ans, et alors que j’entendais de plus en plus de mes sœurs qui décidaient de le quitter, je sentais comme si le « je »  se désagrégeait. Je vois cela maintenant avec une nouvelle compréhension: je l’avais pris personnellement. Mais an réalité « je » n’était pas en train de s’effondrer, c’est le véhicule siladhara lui-même, en dessous et autour de moi, qui semblait se désintégrer.

Maintenant, ma situation intenable comme une siladhara isolée est révolue. Maintenant, je fais partie d’un ordre naissant de sœurs qui partagent les mêmes règles monastiques. Maintenant, je peux visiter de nombreux endroits et être « l’une du groupes ». Maintenant, sans avoir à affirmer formellement l’ancienneté des moines sur les nonnes, je peux voir un chemin pour réaliser ma vision d’un monastère de formation pour les femmes, fondée sur la non-discrimination et la non blessure. Je me sens comme une pousse vibrante de riz immergée dans un clair bassin jaillissant.

Immédiatement ma nouvelle communauté m’accueille avec chaleur. Mes nouvelles  sœurs m’invitent dans d’autres monastères de bhikkhunis à travers le monde, me donnant accès à l’infrastructure qu’elles sont en train de créer et qui peuvent me permettre de vivre ma vie de nonne avec intégrité. Confiante dans l’intérêt et le soutien des laïcs/laïques de Colorado Springs et d’ailleurs, et avec les bhikkhunis chevronnées avec qui je peux parler des aspects épineux de notre règle monastique commune, j’ai le sentiment que mon avenir pourra être moins ardu que je ne l’avais imaginé durant toutes ces années.

Je regarde d’où je venais à peine deux jours auparavant et où je suis maintenant. Je me souviens de ce qui peut arriver quand les femmes sont en bonne relation avec elles-mêmes et entre elles. Lorsque, en tant que sœurs, nous avons la possibilité et les compétences pour diriger nos propres communautés, quand notre réalité intérieure rencontre une validité extérieure dans la sangha, nous avons un fondement sûr. Lorsque nous sentons notre appartenance et un soutien, nous avons un endroit pour être.

Je n’ai pas de regret des difficultés que j’ai surmontées pour être ici aujourd’hui. Je me sens bénie par la possibilité de m’éveiller et d’utiliser toute ma vie vers  cet éveil. Je peux voir mon parcours intérieur comme le lieu d’où la clarté apparait, et apprécier la puissance de la transformation qui s’est produite dans le bosquet de séquoias. Je pense à l’autonomie des sœurs, ainsi qu’à la bénédiction et à la participation sans réserve des moines. Je me souviens du soutien joyeux de la communauté élargie des enseignants laïcs, ainsi que des nombreux laïcs et laïques présents. Je me sens une profonde gratitude pour cette quadruple sangha – de nonnes et de moines, laïques et laïcs – et une joie viscérale qu’il y ait maintenant une voie à suivre.

A PROPOS DE L’AUTEURE : Ajahn Thanasanti Bhikkhuni est né en Californie, elle enseigne à un  niveau international depuis 1996. Afin de poursuivre sa vision sur la façon dont les pratiquant(e)s monastiques et laïcs  peuvent travailler ensemble et apporter l’essence des enseignements dans le monde moderne, elle a fondé « Awakening Truth »

Source : Inquiring Mind – traduction Bouddhisme au féminin

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