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Question aux enseignantes : Guérir ou accepter l’impermanence ?

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Deux enseignantes répondent à une questions posée par un(e) pratiquant(e):
– Zenkei Blanche Hartmann de la tradition Zen, ancienne abbé du San Francisco Zen center,
– Narayan Helen Liebenson, enseignante au Cambridge Insight Meditation Center de la tradition Théravada.

Question: J’ai reçu un diagnostic de cancer du sein en janvier dernier. J’ai presque terminé la chimiothérapie, qui sera suivie d’une radiothérapie. Beaucoup de survivant.e.s du cancer disent que l’attitude est la clé de la survie. Je comprends qu’avoir de l’espoir et une bonne attitude, manger de la bonne nourriture, faire de l’exercice, et ainsi de suite peut probablement aider, mais il y a toujours la possibilité que le cancer revienne. Une partie de cette maladie est purement génétique, un bon régime et une bonne attitude peuvent ne faire aucune différence. Donc, je suis perdue entre accepter l’impermanence et avoir l’espoir et le désir de vivre jusqu’à un âge avancé, ce qui peut aider à ma guérison.

Zenkei Blanche Hartman: Je ne vois aucun conflit  entre l’acceptation de l’impermanence et le désir de vouloir vivre aussi longtemps que vous le pouvez. Après mes propres expériences de maladies quasi mortelles, c’est exactement où je me trouve. Cependant, j’ai un sentiment de mise en garde lorsque je lis votre lettre. C’est la possibilité que, si vous aviez une récidive, même après avoir suivi tous les meilleurs conseils médicaux disponibles, vous pourriez vous blâmer « parce que vous n’avez pas eu la bonne attitude. » S’il vous plaît, ne vous embarquez pas dans un voyage de culpabilité.

Une rencontre avec l’impermanence peut donner à quelqu’un, pour la première fois, une conscience aiguë de sa propre mortalité, et cela peut être terrifiant. Comme l’a dit Maître Mumon dans l’un de ses commentaires: «Il est préférable pour vous de prêter attention à ce que je dis, sinon, lorsque le moment viendra où les cinq éléments se sépareront (c’est-à-dire le moment de la mort), vous serez comme un crabe dans un pot, agitant ses  huit bras et jambes pour en sortir. »

Le grand maître Nagarjuna a dit: «Dans ce monde de naissance et de mort, voir  l’impermanence est bodhicitta, l’esprit d’éveil.» Cela peut tourner l’esprit vers la pratique, comme cela s’est produit pour moi. Je me suis concentrée sur la question, «Comment vivre si tu sais que tu vas mourir?» Dans ma quête, j’ai rencontré la pratique du Zen et Suzuki Roshi. Il m’a semblé savoir ce que j’avais besoin de savoir, et j’ai commencé à pratiquer avec beaucoup d’enthousiasme, comme une personne qui se noie s’agrippe à un sauveteur. Donc, mon expérience d’une maladie grave m’a donné le don de la pratique.

Vingt ans plus tard, j’ai eu une crise cardiaque. Quand j’ai senti la lumière du soleil après avoir quitté l’hôpital, j’ai eu cette pensée, « Ouah! Je suis vivante! Je pourrais être morte. Le reste de ma vie est juste un cadeau gratuit! Ouah, en fait, c’est toujours un cadeau, dommage que je ne l’ai pas remarqué auparavant ! » Le formidable sentiment de gratitude qui a résulté de cette réalisation ne m’a jamais quitté.

L’une des choses que j’ai appris dans cette vie et que je veux donner aux autres est cette gratitude pour tout, y compris le don de cette précieuse vie humaine. J’espère que vous apprécierez votre don de la vie aussi longtemps que cela vous sera donné.

Narayan Helen Liebenson: Nous vivons tou.te.s avec le fait de l’impermanence, que nous ayons ou non une maladie mortelle. Quand nous sommes très malades, nous pouvons peut-être voir plus clairement et plus directement combien la vie est vraiment imprévisible et l’inévitabilité que chacun.e. de nous meure d’une certaine manière, à un moment donné. La pratique du Dharma nous aide à travailler avec cette perspective.

Mais il ne s’agit pas seulement de voir plus clairement l’impermanence ; nous devons développer une relation de sagesse par rapport à l’impermanence dans notre vie quotidienne. Une relation de sagesse comprend le développement de sadha, ce qui signifie confiance. Dans ce cas, c’est la confiance que, quelles que soient les conditions, nous serons en mesure de répondre avec intelligence et bienveillance.

Tout comme dans la pratique de metta (la bonté bienveillante), nous souhaitons une bonne santé pour nous-mêmes et les autres parce que c’est une bénédiction dans la vie. En même temps, nous sommes conscient.e.s que les choses sont comme elles sont. Nous pratiquons ainsi la bonté bienveillante et l’équanimité. Une ligne dans un poème de T.S. Eliot exprime bien ceci: «Apprends-moi à prendre soin et à ne pas prendre soin». Nous prenons soin du corps du mieux que nous pouvons, sans croire que nous ayons le dernier mot sur la nature. Nous pouvons être conscients de la fragilité du corps et avoir encore la liberté de l’esprit. C’est le développement de la sagesse et de la compassion.

Il y a une croyance populaire New Age de penser que nous pouvons « vaincre » la maladie par notre seule attitude, mais une perspective dharmique est que nos attitudes ne déterminent pas le résultat. Le Dharma a à voir avec la souffrance et la libération de la souffrance, pas l’effort pour contrôler l’incontrôlable. Je vois cette sorte de croyance du New Age comme conduisant à une double souffrance : la souffrance du corps avec en plus la souffrance qui est expérimentée parce que «si on avait juste une meilleure attitude, cela ne se produirait pas.» Cela conduit inévitablement à un sentiment d’échec personnel lorsque le corps ne coopère pas avec l’ordre du jour et suit plutôt les lois de la nature.

Il est dit que le Bouddha n’était ni pessimiste ni optimiste. Il était un réaliste. Le Bouddha a enseigné le chemin du milieu. L’espoir et le désir sont d’un côté; la résignation et la dépression de l’autre. Le chemin du milieu est celui de la conscience et de la compréhension.

Accepter l’impermanence est une clé vers le bonheur. Comme le Bouddha l’a enseigné, « Toutes les choses conditionnées sont impermanentes. Leur nature est d’apparaitre et de disparaître. Être en harmonie avec cette vérité apporte le vrai bonheur. « 
Apprécier votre vie, vivre dans l’ici et maintenant, et connaître la réalité des choses, c’est une attitude sage. Cette prise de conscience nous enseigne à ne pas prendre tant de choses pour acquis, et, entre autres choses, la naissance de l’amour véritable.

Source Buddhadharma  Juillet 2015 – Traduction Bouddhisme au féminin