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Parler de la mort à un enfant Beth Roth

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enfants voiture

En tant que parent, j’ai constaté que les possibilités de contempler le mystère de la mort avec mes enfants apparaissent sans cesse. Je n’ai pas à les chercher ni à les créer. La mort de plantes, d’animaux et d’êtres humains due à la fois à des causes naturelles et non naturelles nous entoure constamment. Les exemples abondent, les journaux, la radio, la télévision et Internet nous bombardent de nouvelles de la mort et de la destruction de toutes les espèces d’êtres vivants et même de notre planète Terre. Oberver simplement les cycles de la naissance et de la mort dans le monde naturel, tels que les feuilles qui tombent des arbres chaque automne, nous offre d’autres possibilités de comprendre le changement, l’impermanence et la mort.

Nos enfants seront inévitablement exposés au fait de la mort, et il y a de nombreuses possibilités pour nous, en tant que parents, de guider leur compréhension de cette réalité. Comme pour de nombreux aspects de la parentalité, il n’y a pas de formule toute faite et il n’y a pas la bonne façon. Les choix que nous faisons sont influencés par notre philosophie personnelle, nos expériences de vie, notre conditionnement familial, notre niveau d’aise vis à vis du thème de la mort, et notre confiance dans notre capacité à répondre aux émotions de nos enfants avec sagesse et compassion.

La fille d’une amie, âgée de quatre ans, a demandé à sa mère: «Maman, tu vas mourir? » Mon amie lui a assuré qu’elle ne mourrait pas. Elle m’a dit plus tard que cette réponse lui avait semblé juste à ce moment là, car elle ne voulait pas susciter la peur chez son jeune enfant. Elle a ajouté qu’elle lui expliquerait les choses de manière plus approfondie quand sa fille vieillirait. Un autre ami m’a dit que, quand la grand-mère de son fils de cinq ans était morte, sa femme et lui avaient décidé qu’il était préférable de ne pas le dire tout de suite à leur fils. Pour lui expliquer pourquoi il ne profiterait plus des visites hebdomadaires à la maison de sa grand-mère, ils lui ont dit que grand-mère était partie pour un long voyage. Leur plan était de dire la vérité plus tard, quand leur fils serait mieux équipé pour comprendre la mort.

Je comprends les intentions de ces stratégies, et je souhaite pouvoir justifier une façon quelconque de protéger mes propres enfants de la douleur de la perte et de la nature incompréhensible de la mort, mais je ne peux tout simplement pas trouver une telle justification. Je me souviens d’une expérience que j’ai eue alors que mon mari et moi nous nous préparions à devenir parents adoptants. Il nous a été demandé par l’agence d’adoption de participer à une courte série de réunions avec d’autres futurs parents adoptants. Dans l’une des séances, le travailleur social a demandé notre opinion sur l’âge «juste» pour dire à un enfant qu’il ou elle avait été adopté. Les membres du groupe ont proposé différentes réponses, mais chaque personne a donné la même justification pour leur opinion particulière. Le raisonnement était «Je crois que c’est l’âge auquel l’enfant est capable de comprendre l’adoption. »

J’écoutais, stupéfaite de cette discussion, et il m’a fallu quelques minutes pour identifier pourquoi j’étais si surprise. Quand ce fut mon tour de parler, je marmonnai quelque chose sur la façon dont je pensais que le bon moment pour dire à mon enfant la vérité sur son adoption dépendait principalement de ma capacité d’être à l’aise avec la création de ma famille par adoption. Je demandai au groupe, «Quand les parents amènent les bébés et les jeunes enfants à l’église ou à la synagogue, est-ce que nous nous demandons si ils sont assez vieux pour comprendre Dieu et la religion ? Quand nous faisons cuire un gâteau, allumons la lumière des bougies, et chantons « joyeux anniversaire » à nos enfants à leur premier, deuxième ou troisième anniversaire, ou même à leur dixième ou onzième anniversaire, nous inquiétons-nous du fait qu’ils pourraient être trop jeunes pour comprendre le sens de la naissance ou de l’importance d’un anniversaire? « 

Nous exposons en permanence nos enfants à des choses qu’ils ne peuvent pas comprendre. Ceci est la nature de l’enfance. Ils observent la façon dont nous, leurs parents, sentons et nous comportons dans des situations différentes. Ils écoutent nos explications sur ce qui se passe, et attendent nos réponses à leurs questions. Ce que nous disons sera influencé par notre appréciation de la particularité de chaque enfant, et sera naturellement plus élaboré et sophistiqué au fur et à mesure que nos enfants grandissent. Tout au long du chemin, ils tirent de chaque expérience tout ce qu’ils peuvent à chaque étape de leur développement. Je me suis demandée pourquoi il devrait en être autrement avec l’adoption – ou la mort ?

Depuis qu’ils sont très jeunes, j’ai pris mes enfants avec moi pour les funérailles, les services commémoratifs, les rassemblements dans des cimetières. Ils m’ont aidé à cuisiner et à apporter de la nourriture à des amis endeuillés. Lorsque de telles occasions se présentent, je leur parle de là où je vais, ce qui va s’y passer, et ce que les gens probablement sentiront, diront ou feront. Par exemple, lors de la préparation pour apporter de la nourriture à la maison d’un ami dont le père était décédé subitement lors d’une visite en Amérique du Sud, je dis à mon fils ce qui était arrivé et je l’ai invité à venir avec moi. Il a demandé, « Est-ce que tout le monde sera en train de pleurer? » Je lui ai dit que je pensais que les adultes seraient très triste et pleureraient probablement, et je lui ai demandé si il pensait que ce serait ok pour lui. Il répondit: «Oui, ce sera bien. Je me demandais juste. » J’ai ajouté que la fillette de mon ami ne comprendrait probablement pas bien ce qui se passait, et qu’elle aurait peut-être envie de jouer avec lui. Il a décidé de venir, et il s’est avéré qu’il s’est passé à peu près ce que j’avais imaginé.

Quand je décris ce que je crois que nous allons trouver dans ces rencontres avec la mort et la douleur, je rajoute toujours que c’est ce que je pense, et que je ne peux pas être certaine de ce qui va se dérouler exactement. Après que mes enfants aient une idée de ce qui les attend, ils décident si oui ou non ils veulent venir. Quand ils m’accompagnent, je leur donne des explications simples sur ce qui se passe, et je fais de mon mieux pour apporter des réponses appropriées et satisfaisantes à toutes les questions qu’ils pourraient poser. Ils apprennent les différentes pratiques religieuses et culturelles sur la mort et le deuil. J’assure à mes enfants que notre présence est un réconfort pour la famille endeuillée, tout comme la présence de nos parents et amis est un grand réconfort pour notre famille pendant les périodes de perte et de deuil.

Je ne voudrais jamais infliger un moment de douleur physique ou émotionnelle inutile à mes enfants. Pourtant, la vie leur présente, comme elle le fait à chaque être humain, beaucoup de ces expériences. Ceci est la première Noble Vérité du Bouddha. « Il y a de la souffrance dans la vie. » La mort est un exemple. Mon rôle en tant que parent, comme adulte sur un chemin spirituel bouddhiste, est de fournir un refuge, un contenant sécurisant, et de cultiver une attention consciente à l’égard des émotions de mes enfants. Mon souhait est que mes enfants développent acceptation et tolérance pour toute la gamme de leurs émotions, et qu’ils acquièrent « une maîtrise émotionnelle » – la capacité de comprendre et d’exprimer ce qu’ils ressentent, ainsi que de comprendre les émotions des autres. Ces compétences leur serviront dans toutes leurs relations avec les autres à chaque étape de leur vie.

Je me rends compte qu’aider mes enfants à faire face à la mort en général, les aider à pleurer les pertes réelles et à en imaginer de futures, est différent de les aider à considérer l’inéluctabilité de leur propre mort. Rétrospectivement, il ne m’avait jamais traversé l’esprit que je devrais informer mes enfants qu’ils auront à mourir un jour. Je n’avais jamais vraiment pensé à ce détail. Je pense avoir assumé qu’ils en arriveraient à cette conclusion par eux-mêmes et que, quand cela arriverait, nous en parlerions. Mais ce n’est pas comme cela que c’est arrivé.

Comme nous le savons, de profondes réalisations arrivent généralement à leur propre rythme. Des moments cruciaux surviennent souvent dans la vie quand on s’y attend le moins. C’est ce qui s’est produit il y a quelques années quand ma fille Claudia était sur le point de célébrer son cinquième anniversaire. Au cours des deux derniers mois précédant son anniversaire, elle était dans un état d’excitation perpétuelle. Elle parlait de son anniversaire en permanence, racontant à qui voulait l’entendre qu’elle aurait bientôt cinq ans, et récitait les noms des nombreux amis et parents qu’elle inviterait à sa fête d’anniversaire. Puis elle se demandait à haute voix qui viendrait, qui serait celui ou celle qui couperait le gateau fait maison, quels seraient les cadeaux qu’elle allait recevoir, et combien elle serait fatiguée et heureuseà la fin de la journée.

Un après-midi au cours de cette période, je conduisai Emilio et Claudia à un rendez-vous. Claudia annonça à nouveau qu’elle aurait bientôt cinq ans, et jacassait avec enthousiasme sur sa fête d’anniversaire. Emilio, qui avait alors neuf ans, avait apparemment entendu cela une fois de trop. D’un ton de voix qui était quelque part entre l’énoncé brut et l’exaspération, il dit à Claudia, « Ok, tu as presque cinq ans. Ensuite, tu auras six ans, puis tu en aura sept, puis huit, puis neuf, plus tard,tu seras une adolescente, puis une jeune adulte, alors tu vas vieillir et puis tu vas mourir.  » Sa proclamation fit taire Claudia instantanément. Bien que mes yeux aient été rivés sur la route en face de moi, mes oreilles étaient tendues vers sa réponse. Enfin, elle vint. Elle déclara fermement: « Je ne vais pas mourir. » Ce à quoi Emilio répondit: «Si tu vas mourir. »

Je devins consciente de mes mains agrippant le volant et de ma poitrine montant et descendant à chaque souffle, me demandant comment cette conversation allait tourner. Il y eu de brefs allers retours entre eux ; Claudia répétant chaque fois encore plus fermement, « je ne vais pas mourir », et Emilio répondant catégoriquement, « Si, tu vas mourir . » Puis Claudia se tut à nouveau. Cela me parut une éternité. Je continuai à regarder la route devant moi tout en écoutant ce qui se passait sur le siège arrière. Du silence surgit la question sincère de Claudia, qui m’était adressée spécifiquement : « Maman, est-ce que je vais mourir? »

Le volant durcit sous la pression de mes mains et mon souffle s’arrêta. Bien que le temps me sembla s’étirer et ralentir, je n’avais pas la possibilité d’élaborer une réponse. J’ai entendu ma propre voix dire la vérité nue. « Oui, Claudita, un jour tu vas mourir. J’espère que ce sera après une vie très longue et saine et heureuse, mais un jour tu mourras. » Elle se tut à nouveau, et même Emilio était sans voix. Craignant de l’avoir effrayée, je jetai un coup d’oeil sur le visage de ma fille dans le rétroviseur. Son expression marquait l’étonnement plutôt que la peur. Je voulais dire quelque chose qui viendrait d’une sagesse maternelle, mais rien ne me vint à l’esprit. Je continuai à conduire la voiture. Emilio et moi attendions ce que Claudia dirait ensuite, et c’était comme si elle était à l’écoute d’elle-même, en essayant de donner un sens à cette nouvelle information. Puis vint sa simple question, « Pourquoi? »

Emilio était apparemment arrivé au bout de sa sagesse de neuf ans, et j’étais clairement responsable de la réponse à cette question. Une partie de mon esprit était frénétiquement à la recherche de la bonne réponse, la réponse appropriée d’une mère intelligente et bienveillante. Une autre partie de mon esprit savait que, même s’il y avait une réponse parfaite, il n’avait pas le temps de la trouver. Mon seul choix était de parler depuis mon cœur. « La raison pour laquelle tu devras mourir un jour, Claudia, c’est parce que tu es en vie aujourd’hui. Tout ce qui est né, tout ce qui est vivant, devra mourir un jour. Chaque personne, chaque animal, chaque insecte, chaque plante et chaque fleur et chaque arbre devront mourir un jour. Tous les êtres vivants naissent et meurent plus tard.  » Elle écoutait attentivement, paraissant toujours un peu étonnée, mais commençant à comprendre mes paroles.

À ce stade Emilio rentra dans la conversation. Il commença à nommer toutes sortes de plantes et d’animaux qui devront mourir un jour, élargissant et illustrant ma thèse. « Nos chiens vont mourir un jour, et les moustiques et les mouches, les dauphins et les requins vont mourir, les aigles et les vautours chauves vont mourir, les écureuils et les souris mourront, les herbes et la mousse, les buissons et les arbustes, les palmiers et les pins et toutes les fleurs vont mourir, les chats et les poissons vont mourir. » Claudia en avait assez entendu. La mort des poissons tropicaux dans sa salle de classe maternelle était encore fraiche dans son esprit. Je ne sais pas si elle a arrêté Emilio ou s’il a tout simplement manqué d’idées.

Ça y était, c’était fait. Il n’y avait pas d’autres questions sur la banquette arrière. Mes enfants étaient partis sur un autre sujet de conversation, bavardant joyeusement ensemble tandis que je poussai un soupir de soulagement. Je m’émerveillai de la nature profonde de cette brève conversation, et me rappela d’être vigilante pendant la conduite, non seulement pour la route, mais aussi pour les passagers. Même si je dois m’en amuser, cette expérience m’a confirmé encore une fois que, dans notre culture, au moins, des choses importantes se produisent « dans la voiture. » Je remerciai silencieusement le Bouddha, pour l’héritage de ses enseignements de sagesse qui continuent d’enrichir ma vie.

Source : Tricycle 2006 – Traduction Bouddhisme au féminin