Accueil Articles - Nouvelles des numeros precedents L’IVG dans un pays bouddhiste : en Thaïlande – 2015

L’IVG dans un pays bouddhiste : en Thaïlande – 2015

PARTAGER

La triple peine des femmes qui avortent en Thaïlande –

par Sanitsuda Ekachai

muay-maxim-3Quand un mannequin avoue dans les médias que, contrainte et forcée par son ancien compagnon, elle vient de se faire avorter – une décision qu’elle regrette maintenant amèrement – que se passe-t-il, d’après vous ? La jeune femme s’attire de la sympathie ? Son cas encourage un débat sur la question ? Nous prenons conscience de la nécessité de prodiguer des conseils aux femmes tombées enceintes malgré elles, et de leur permettre de choisir en connaissance de cause ? Nous réfléchissons à obliger les hommes à assumer davantage les conséquences de leurs rapports sexuels non protégés ? Si c’est ce à quoi vous pensez, alors vous avez totalement sous-estimé la violence de la société thaïlandaise à l’encontre des femmes.

Depuis la fin du mois dernier, les journaux font leurs choux gras de la confession du mannequin Muay, de son vrai nom Pilawan Areerob. Ils abreuvent leurs lecteurs de détails sur la réticence initiale de Pilawan à recourir à une IVG (interruption volontaire de grossesse), sur les pressions exercées par son ami de l’époque, le chanteur et acteur Howard Wang [accusé en outre de trafic de drogue], sur l’endroit où l’opération a eu lieu et sur le traumatisme qui s’en est suivi. En Thaïlande, l’avortement est interdit, sauf si la grossesse nuit à la santé de la mère ou si elle fait suite à un viol ou à un rapport incestueux. Le cas de Pilawan ne répond pas à ces conditions, aussi est-elle est passible d’une peine de trois ans d’emprisonnement et/ou d’une amende pouvant atteindre 6 000 bahts [150 euros].

Le 28 février, traînant dans leur sillage une horde de journalistes, les forces de l’ordre ont effectué une descente dans la clinique désignée par Pilawan [située dans l’enceinte du restaurant Cabbages & Condoms géré par le militant de longue date du planning familial, l’ancien sénateur Mechai Viravaidhaya]. Toute institution, ont-elles souligné, qui propose des IVG illégales sera fermée et toute personne qui se livre à cette activité écopera de cinq ans de prison et/ou d’une amende de 10 000 bahts [250 euros].

Les médias présentent Pilawan, son ex-compagnon et la clinique comme les méchants de l’histoire, coupables d’avoir transgressé la loi. Les policiers, eux, font figure de héros, maintenant la loi et l’ordre. On atteint là les sommets du ridicule. Il s’agit d’une législation obsolète qui tue plus d’un millier de femmes chaque année. Elles meurent parce qu’il leur est interdit d’avoir accès à des services médicaux fiables pour mettre un terme à une grossesse non désirée. En désespoir de cause, elles doivent faire appel à des charlatans ou ingurgiter de dangereuses substances abortives, qui souvent provoquent un avortement incomplet et entraînent de terribles complications. Aucune tentative pour réformer cette loi draconienne n’a abouti parce que la société préfère maintenir un vernis de moralité plutôt que de protéger la vie de femmes.

L’avortement est un péché, croit-on. L’autoriser, c’est écorner l’image que nous avons de nous-mêmes, celle d’une société pieuse et vertueuse. Une société qui, pourtant, laisse dans le même temps libre cours à la décadence morale. Si vous tombez enceinte sans être mariée, vous êtes une femme aux mœurs légères qui mérite d’être ostracisée. Si vous décédez des suites d’un avortement bâclé, tant pis pour vous. Ces pratiques ne sont-elles pas clairement des violences faites aux femmes ? De fait, Pilawan a eu de la chance. Elle a interrompu sa grossesse sans que sa santé en ait souffert. Selon le ministère de la Santé publique, 300 000 femmes se sont fait soigner à l’hôpital l’année dernière pour des complications à la suite d’une IVG. La mortalité provoquée par les avortements est de 300 pour 100 000 dans le royaume, l’un des taux les plus élevés au monde. Pourtant, la situation ne semble émouvoir personne.

thailande-115

Et ce n’est pas tout. Ces 300 000 femmes en quête d’aide médicale subissent un traitement archaïque “destiné à leur servir de leçon”. Qu’importe si les complications font suite à une fausse couche ou à un avortement incomplet. On procède au curetage ou à l’ablation de l’utérus, souvent sans anesthésie. Pourquoi infliger un traitement aussi barbare quand le reste du monde médical utilise des méthodes plus sûres et moins douloureuses, comme une rapide aspiration intra-utérine ou des pilules pour retirer le contenu de l’utérus après un avortement spontané ou mal réalisé ? Peut-on continuer à nier qu’il s’agit là de violences perpétrées contre les femmes ? Nous refusons d’aider celles qui ont une grossesse non planifiée. Nous les faisons souffrir. Nous les laissons mourir. Non, je ne peux admettre qu’une telle société soit vertueuse. Et vous ?

Sanitsuda Ekachai