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Hommage à Lucie Aubrac

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C’est l’une des dernières héroïnes de la Résistance qui s’en va. Lucie Aubrac est décédée le 15 mars 2007 à l’Hôpital suisse de Paris, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), à l’âge de 94 ans.

Rencontrer madame Aubrac, c’était prendre rendez-vous avec l’Histoire, c’était recevoir une leçon de courage et d’humanité, de celles qui vous inspirent dans votre quotidien. Chacune de ses rides reflétait le combat d’une vie, et elle en parlait avec tant de simplicité, tant d’humilité qu’on ne côtoyait plus un personnage mais une amie.

Elle avait le don de s’imposer dans la plus grande discrétion, non pas parce qu’elle représentait une glorieuse figure de la Résistance, mais parce qu’elle incarnait ce qu’il y a de meilleur en nous, cette petite flamme qui nous anime, trébuche et vacille, et se renouvelle toujours. Sa flamme à elle consumait pourtant une jeunesse éternelle que ses combats contre l’injustice et le totalitarisme avaient à peine entamées.

En décembre 2004, son nom avait été donné à un collège de Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) pour «associer son nom à la liberté et à l’audace», deux qualités dont elle aura fait preuve toute sa vie.

Née le 29 juin 1912, dans une famille de vignerons bourguignons, Lucie Bernard a vécu une vie intense et mouvementée. Dans les années 1930, membre des Jeunesses communistes, elle affiche déjà un courage physique singulier. « Elle faisait le coup de poing contre les ligues d’extrême droite » , relate l’un de ses proches. Elle devient professeur à Strasbourg où elle rencontre Raymond Samuel qui deviendra Raymond Aubrac dans la clandestinité – qu’elle épouse le 14 décembre 1939.

En août 1940, elle organise une première fois son évasion d’une prison de Sarrebourg (Moselle). A l’Automne 1940, Lucie Samuel rencontre, en zone libre, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, à qui elle doit l’élogieux sobriquet de « Madame conscience ». Bientôt, elle sera, avec Raymond, l’une des fondatrices du réseau Libération-sud. « Elle fut une pionnière, atteste l’historien Laurent Douzou. Leur organisation de combattants de l’ombre était l’une des plus puissantes».

Le couple est maintenant à Lyon. Elle enseigne au lycée de jeunes filles Edgar-Quinet (elle sera révoquée fin 1943 pour gaullisme) ; lui, plus réservé, exerce son métier d’ingénieur. Surtout, ils résistent aux envahisseurs nazis et à leurs complices de Vichy. Le chef de la Gestapo locale est un certain Klaus Barbie, obsédé par la traque des « terroristes ». Raymond Aubrac -?l’un de ses noms de guerre – est arrêté une première fois en mars 1943, mais il s’en sort. Les Allemands croient avoir affaire à un gagne-petit du marché noir, ils ignorent, tout comme lui d’ailleurs, que sa femme, avec un toupet monumental, est allée menacer le procureur de représailles au cas où il lui arriverait malheur.

En revanche, le coup de filet du 21 juin 1943, à Caluire, est catastrophique : les sbires du Reich, informés par une trahison, interpellent plusieurs chefs de la Résistance, dont l’envoyé du général de Gaulle, Jean Moulin, qui mourra, muet sous la torture.
C’est là que Lucie entre dans la légende. Elle avait déjà monté des évasions de juifs ou de patriotes, mais le coup de main orchestré le 21 octobre, pied-de-nez à Barbie-le-boucher, éclipse tout le reste. Raymond est délivré avec d’autres camarades lors d’un transfert.

En février 1944, sa femme accouche, à Londres, de leur fille Catherine. À la Libération, elle rejoint Raymond, commissaire de la République à Marseille, avant de regagner Paris pour représenter le Mouvement de libération nationale à l’Assemblée consultative et siéger au jury de la Haute Cour qui juge Philippe Pétain.

Résister d’abord, témoigner ensuite, militer – à gauche – toujours.

Lucie Aubrac n’aura de cesse d’arpenter le pays. Pour apprendre aux enfants des écoles, dont certaines portent son nom, qu’il existe une désobéissance splendide. Elle poursuit son engagement militant pour Amnesty international, puis dans les rangs du Réseau Femmes pour la parité et s’était récemment mobilisée pour les sans-papiers.

En 1997, le réalisateur Claude Berri lui avait rendu hommage avec son film « Lucie Aubrac », dans lequel elle était incarnée par Carole Bouquet.

Un ami se souvient : « Lucie disait : si on n’avait pas été fous, on n’aurait pas été résistants. » C’était une femme chaleureuse, tout d’une pièce, qui tutoyait rapidement. Je me souviens de sa bienveillance à l’égard du monde, elle faisait honte aux sceptiques. Avec elle disparaît une partie de nos certitudes « .

Grand officier de la Légion d’honneur, elle était l’auteur de «Ils partiront dans l’ivresse» (1984), et de «Cette exigeante liberté» (1997).

et sur Youtube

1-1995. Résistances et Libérations France 1940-1945
Lucie AUBRAC

Florence ROCHEFORT et Laurence KLEJMAN

Lucie Aubrac, co-fondatrice du mouvement Libération, est une de nos héroïnes de la Résistance qu’il n’est plus nécessaire de présenter. Les spectaculaires évasions qu’elle organisa pour arracher son mari, Raymond Aubrac, des mains de Klaus Barbie notamment, font partie de la légende. Elle-même en fit le récit en 1984 dans un ouvrage intitulé « Ils partiront dans l’ivresse (Seuil) ». Une bande dessinée américaine avait déjà, dans les années 1950, immortalisé l’histoire de « Lucie to the Rescue », sans en référer d’ailleurs à la première concernée. Mais de Lucie Aubrac après la guerre, que sait-on ? Nommée membre de l’Assemblée consultative provisoire d’Alger puis chargée de superviser les Comités départementaux de Libération, elle est une des rares résistantes à qui sont confiées de telles responsabilités officielles. Comment a-t-elle tenté de poursuivre son action de résistante après 1945 et pourquoi ne s’est-elle pas lancé dans la carrière politique ? C’est ce que lui ont demandé Laurence Klejman et Florence Rochefort.

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Lucie AUBRAC : J’ai été membre de l’Assemblée consultative issue de la Résistance. Je pensais participer au renouveau politique d’un début de vie parlementaire dans la France libérée, mais je ne me suis inscrite dans aucun des partis qui se sont reconstitués ou créés en 1944-45, et donc je n’ai pas été candidate lors des deux élections successives aux Constituantes.

Quand Waldeck Rochet, en octobre 1946, m’a proposé d’être seconde sur la liste qu’il avait constituée en Saône-et-Loire, liste de la Résistance Unie, j’ai accepté. Arrivée en Saône-et-Loire pour la campagne de ce scrutin de liste, Waldeck Rochet a accepté qu’après lui figurent le Secrétaire de la Fédération du PCF, et un bon militant PC. Je me suis retrouvée quatrième et j’ai fait avec eux toute la campagne, en précisant ma spécificité de résistante et mon indépendance. La liste n’a eu que trois élus…

Je me suis engagée ensuite dans un mouvement créé par Yves Farge pour la défense de la Paix. Ce fut la grande campagne contre la bombe atomique dite « Appel de Stockholm ». Je l’ai quitté quand j’ai compris le rôle dirigeant qu’y jouait l’Union Soviétique par l’intermédiaire du PC français. Je ne suis pas du tout anticommuniste. J’ai été moi-même de 1930 à 1937 aux Étudiants communistes, mais je n’aime pas les appareils.

J’ai présidé un temps les « Femmes du MLN » et mes contacts avec Claudine Chomat et l’Union des femmes françaises n’ont pas été heureux. J’avais l’idée de faire un journal de femmes. Comme co-fondatrice du mouvement Libération, j’avais droit à une attribution de papier, à cette époque très sévèrement contingenté. En 1945 ne pouvaient paraître que les journaux qui n’avaient pas collaboré et ceux issus de la Résistance. J’ai appelé ce journal Privilège de femmes et mon premier éditorial commentait, en l’actualisant, le début d’une fameuse citation de Louise Labbé, au XVIe siècle, « Étant le temps venu ». Pour moi, le mot « privilège » signifiait avoir la puissance et la compétence de…, dans le sens du XVIIe siècle. Cela signifiait qu’en 1945, les femmes avaient acquis enfin le doit d’être à part entière dans la vie politique, économique, intellectuelle du pays.

Ce fut pour moi une expérience exaltante. Madeleine Jacob faisait la chronique judiciaire, Gertrude Stein la critique de théâtre, Louis Saillant expliquait la Sécurité sociale et j’avais des couvertures de François, Jean Eiffel, Peynet. Bien entendu, mon journal n’a pas duré longtemps – 13 numéros – : trop intellectuel, peut-être, mais surtout sans appui solide. Il apparut comme un concurrent du journal des femmes de l’UFF et de celui des femmes du MLN. Pour ne pas être en faillite, nous avons, mon mari et moi, payé pendant plusieurs années jusqu’à extinction toutes les dettes que j’avais faites.

C’est alors que j’ai investi mon besoin de militantisme dans le Mouvement de la Paix, puis dans des engagements en faveur des pays qui se battaient pour leur indépendance : l’Indochine d’abord, l’Algérie ensuite.

Je n’ai plus alors fréquenté de mouvement politique. Ce n’était pas commode pour moi : pour toute une frange socialiste, j’étais communiste ; pour les communistes, j’étais anar ou trotskiste. Mais je n’ai jamais rompu avec mes amis de l’un ou l’autre camp. C’est tout de même là qu’on trouve le plus de dévouement sincère sans ambition ou carriérisme.

La politique elle-même : on m’a proposé plusieurs fois de faire partie de cabinets ministériels, Farge le premier. J’ai finalement souhaité reprendre mon métier de professeur d’histoire. Je l’ai d’ailleurs interrompu quelques années pour faire partie d’une commission historique qui étudiait l’évolution de la vie politique en Europe après 1933. C’était intéressant. Nous interrogions les politiques, les diplomates, tout le monde responsable entre 1930 et 1940. Quand la commission est arrivée à l’Ile d’Yeu pour interroger le Maréchal Pétain, le Maréchal a dit : « Pas la femme ». J’ai dû rester dehors. Il faut dire que par un hasard extraordinaire j’avais été tirée au sort comme juré au moment de son procès, et bien entendu récusée.

J’ai bien compris alors que j’avais fait les bons choix dans ma vie de résistante et de militante. J’ai enseigné l’histoire avec passion. J’ai remarquablement réussi ma vie conjugale. Mais il me reste maintenant à accompagner dans leurs revendications toutes les femmes d’ici et d’ailleurs pour qui le « temps » de Louise et de la Libération n’est pas encore tout à fait « venu ».

Florence Rochefort et Laurence KLEJMAN, « Lucie AUBRAC », Clio, numéro 1-1995, Résistances et Libérations France 1940-1945, [En ligne], mis en ligne le 01 janvier 2005. URL : http://clio.revues.org/index529.html.