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Himalaya, Terre des femmes

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himalayaMarianne Chaud s’immerge pendant 3 mois au cœur d’un des villages himalayens les plus isolé du Zanskar (Inde). A 4 000 d’altitude, il faut 4 jours de marche pour l’atteindre.

Passionnée par la région, dont elle connaît la langue, l’ethnologue va à la rencontre de quatre générations de femmes pendant la saison des moissons.

L’herbe récoltée à la faucille avant qu’elle ne soit recouverte de neige, servira à nourrir les yaks, moutons et chèvres pendant plus de six mois. La farine d’orge, seule culture à cette altitude se mange à tous les repas, avec du yaourt ou du lait.

Dans 10 ans, la vallée devrait être traversée du nord au sud par une route qui déversera touristes et militaires. Ce quotidien sera alors bouleversé.

Les prix obtenus par le film :

Festival du film de Montagne de Vancouver (Canada) – Finaliste
Festival de Trento (Italie) – Meilleur film de montagne
Festival du film de Montagne d’Aurans (France) – Prix du Public & Prix du Meilleur Film (Catégorie « Vie des Hommes »)
Festival de Cervino (Italie) – Prix du Public
Festival della Lessinia (Italie) – Prix Lessinia d’argento
Festival d’Aventure de Dijon – Grand Prix (Toison D’Or)

Fin aout, nous avons pu découvrir sur Arte, ce magnifique documentaire . Durant sept années, l’ethnologue Marianne Chaud a passé six mois par an au Sanskar dont elle parle la langue, ce qui lui a permis de rentrer dans l’intimité des gens d’une façon qui n’est jamais possible quand il y a la barrière de la langue. Avec tact et pudeur, elle réalise ce magnifique documentaire sur la vie de quatre générations de femmes dans un village isolé à 4000 mètres d’altitude. La plupart des hommes sont au loin, en ville ou ailleurs, ce sont les femmes qui cultivent les champs d’orge, et récoltent le fourrage pour le bétail.

Les portraits : une adolescente de 13 ans qui garde le troupeau de chêvres depuis l’âge de sept ans, s’ennuie à mourir et voudrait tellement étudier. Sa mère est dans les alpages, avec d’autres femmes, à garder et à traire les yacks. C’est la seule perspective de liberté loin du village, moment d’autant plus apprécié que ces bergères bénéficient de yaourts et de lait, alors qu’au village, la seule nourriture est de la farine d’orge, sans rien d’autre, à chaque repas, sauf de temps à autre quelques suppléments pour un repas de fête. La mère de cette adolescente a eu huit enfants, l’un d’eux s’est pendu à l’âge de treize ans, les autres sont désormais au loin, les grandes filles mariées, les garçons à la ville, il lui reste un enfant encore jeune qu’elle amène à l’alpage et cette fillette qui reste seule au village.

La jeune femme qui héberge l’ethnologue a eu quatre enfants en six ans, son mari est au loin, elle sait qu’il est malade mais n’en a aucune nouvelle. Elle doit couper l’herbe du matin au soir pour nourrir le troupeau durant l’hiver, et aussi assurer la moisson de l’orge, tout à la main bien sûr, sans aucune mécanisation, ni aucune aide pour des travaux écrasants. L’un des rares hommes présents dira : on travaille à en mourir et jusqu’à la mort.
La mortalité infantile est très élevée, près de la moitié des enfants meurent en bas âge. Cette jeune femme n’est jamais sortie de son village, n’a jamais rien vu, ni entendu hors son univers de survie. La vie est si dure, si précaire que des disputes parfois violentes éclatent au village pour la limite des champs, pour la répartition des zones où ramasser le moindre brin d’herbe. Il n’y a pas d’arbre à cette altitude, seulement de l’herbe et l’orge, la seule céréale poussant à cette hauteur. Comme combustible, des bouses de yacks qui se consument en dégageant une fumée grasse dont l’odeur âcre irrite la gorge.

Enfin la génération la plus âgée, une vieille femme aveugle, de quatre-vingt ans, qui travaille quand même, car il faut travailler si l’on veut manger. On la voit assise par terre, se laissant glisser sur le côté, épuisée. Elle mourra trois jours plus tard.

Pourquoi je donne tous ces détails ? à cause des commentaires relevés sur internet concernant ce documentaire. On est surpris ! Nous n’avons pas vu le même film. En résumé : « merveilleux village, la beauté des âmes et des paysages, l’humanité bouleversante formidablement mise en image par Marianne Chaud. » et aussi : « C’ est vraiment un site exceptionnel à préserver pour son authenticité ». et enfin le plus étonnant : « Comment rendre la vie des Zanskaris de Sking plus facile sans qu’ils perdent le sentiment d’être les plus heureux dans le plus beau des pays ? « 

Bien sûr, j’admire la beauté des images, la relation remarquable entre l’ethnologue et les villageoises, mais aimerai-je vivre dans ce « petit coin à préserver pour son authenticité » ? sans eau courante, sans électricité, sans contraception, des enfants à la chaine, une mortalité infantile très élevée, pas de soins autres que ceux du chaman. Et le travail harassant de la terre, du matin au soir simplement pour survivre.

Ces femmes qui, en plus des soins aux enfants, travaillent comme des bêtes de somme dans les champs, à porter des fardeaux plus lourds qu’elles. Ce travail épuisant dont on ne voit pas la fin, comme c’est « authentique », oui, sûrement, mais c’est le moyen âge et pire qu’en Europe, en raison du climat et de l’altitude. Quand Marianne Raud part, la femme qui l’a accueilli et pour qui sa visite a été une ouverture sur le monde pleure : Ta vie est facile, la mienne si difficile…

Ce qui est vraiment frappant, c’est le décalage entre la parole de ces femmes sanskaris et la projection de l’Occidental sur ces lieux si pittoresques que l’on aime filmer avant de faire un superbe album sur internet.
L’Asie mythique, c’est la projection de nos rêves. La quête d’un paradis perdu qui se situe forcément ailleurs. Nous prenons comme un fait allant de soi la possibilité que nous avons de visiter le monde, de le filmer, de le rapporter en boite chez soi, tandis que la plupart des habitants de cette planète sont « assignés à résidence » par la pauvreté et l’ignorance.

Le progrès a des conséquences dramatiques, c’est vrai, nous le savons, les cultures traditionnelles disparaissent avec la même rapidité que la biodiversité, et pourtant ? serions nous prêts à renoncer aux soins médicaux modernes, à l’école, à l’accès aux livres, au monde ? Est-ce que nous voudrions mettre nos enfants, et plus particulièrement, nos filles, dans ce village à garder des chèvres ? est-ce que nous aimerions y vieillir ? et travailler coûte que coûte jusqu’à notre dernier jour ?

L’Occident voudrait sauver ce qu’il n’a pas détruit. Les populations indigènes se verraient presque interdire l’accès au développement pour ne pas « abimer » leur authenticité. La route qui va désenclaver le village va certainement apporter des choses indésirables, mais aussi des médicaments et l’accès à l’école.

Quant à la religion, que nous imaginons omniprésente dans ces contrées, elle n’est jamais évoquée. La seule référence qui y est faite est la perspective d’une renaissance à revivre le même esclavage…

L’ethnologue a vécu sept ans dans ces contrées, ce n’était que six mois par an, elle n’y travaillait pas physiquement comme les femmes indigènes, et en plus c’était son choix, c’est ce qui fait toute la différence ! Jacqueline

extrait :